Ces cinq dernières années, une longue rénovation menée avec le concours de la Fondation du Patrimoine a permis à l’Hermitage de retrouver son allure. Les énormes magnolias grandiflora centenaires ondoient doucement au-dessus des toits et ce spectacle toujours neuf m’envahit d’une douce quiétude. Sous leur ombre protectrice, la contemplation en contreplongée des cimes de ses arbres si majestueux, de leur charpente musculeuse et exotique, nous rend dérisoires. Vision d’orthoptère au milieu d’un champ de graminées… Le regard effleure la colonnade et l’esprit vagabonde vers la Vénétie… Les Foscari, Les Pisani, les Foscarini, passaient les mois les plus chauds dans leurs fastueuses demeures souvent érigées par le grand Palladio. Celui-ci écrivait à propos de La Malcontenta, au bord du canal de la Brenta: « Si l’on peut construire au-dessus de la rivière, ce sera une chose très commode et belle parce que, à peu de frais, par tous temps, on pourra amener les marchandises en ville, et cela fera une très belle vue et avec très grand profit et ornement, on pourra irriguer les terres, les jardins et les vergers, qui sont l’âme et le plaisir des villas. » Ces grands domaines emplis d’œuvres d’art et aux jardins sophistiqués -la noblesse vénitienne avait compris l’importance que peut avoir la culture, véhicule de renommée et garantie d’éternité- permettaient de recevoir avec faste, d’organiser des fêtes, mais produisaient aussi du vin, des légumes, des fruits, et assuraient des revenus complémentaires, plus modestes sans doute, mais moins aléatoires que l’affrètement de navires vers la Perse. Au calme, loin du vacarme et de la torpeur moite régnant sur le Canal Grande, la noblesse vénitienne dans une forme de rédemption après les fêtes, les rires, les jeux qui agitaient la Sérénissime tout le long de l’année, célébrait le travail de la terre comme purification des contaminations de la ville. Pétrarque fut l’inspirateur principal de ce nouveau mode de vie. Choyé par tous les grands de son temps, il finit sa vie sur une colline de Vénétie, dans un recueillement que seule la campagne pouvait lui offrir: « Chaque saison de l’année ne m’offre que grand concours de peuple, poussière, boue, bruit et immondices. En revanche, la campagne est toujours aimable, toujours pleine d’attraction pour les âmes nobles. » Ces questions, je les agitais souvent à propos de notre nouvelle vie ici, au bord de la rivière. La terre, son travail, ses produits, donnent une satisfaction concrète, tangible, qu’on ne trouve pas dans les spéculations intellectuelles ou financières. Sentiment sans doute puéril que croire que les activités humaines peuvent se hiérarchiser en fonction de leur vérité, de leur vertu…
Ces cinq dernières années, une longue rénovation menée avec le concours de la Fondation du Patrimoine a permis à l’Hermitage de retrouver son allure. Les énormes magnolias grandiflora centenaires ondoient doucement au-dessus des toits et ce spectacle toujours neuf m’envahit d’une douce quiétude. Sous leur ombre protectrice, la contemplation en contreplongée des cimes de ses arbres si majestueux, de leur charpente musculeuse et exotique, nous rend dérisoires. Vision d’orthoptère au milieu d’un champ de graminées… Le regard effleure la colonnade et l’esprit vagabonde vers la Vénétie… Les Foscari, Les Pisani, les Foscarini, passaient les mois les plus chauds dans leurs fastueuses demeures souvent érigées par le grand Palladio. Celui-ci écrivait à propos de La Malcontenta, au bord du canal de la Brenta: « Si l’on peut construire au-dessus de la rivière, ce sera une chose très commode et belle parce que, à peu de frais, par tous temps, on pourra amener les marchandises en ville, et cela fera une très belle vue et avec très grand profit et ornement, on pourra irriguer les terres, les jardins et les vergers, qui sont l’âme et le plaisir des villas. » Ces grands domaines emplis d’œuvres d’art et aux jardins sophistiqués -la noblesse vénitienne avait compris l’importance que peut avoir la culture, véhicule de renommée et garantie d’éternité- permettaient de recevoir avec faste, d’organiser des fêtes, mais produisaient aussi du vin, des légumes, des fruits, et assuraient des revenus complémentaires, plus modestes sans doute, mais moins aléatoires que l’affrètement de navires vers la Perse. Au calme, loin du vacarme et de la torpeur moite régnant sur le Canal Grande, la noblesse vénitienne dans une forme de rédemption après les fêtes, les rires, les jeux qui agitaient la Sérénissime tout le long de l’année, célébrait le travail de la terre comme purification des contaminations de la ville. Pétrarque fut l’inspirateur principal de ce nouveau mode de vie. Choyé par tous les grands de son temps, il finit sa vie sur une colline de Vénétie, dans un recueillement que seule la campagne pouvait lui offrir: « Chaque saison de l’année ne m’offre que grand concours de peuple, poussière, boue, bruit et immondices. En revanche, la campagne est toujours aimable, toujours pleine d’attraction pour les âmes nobles. » Ces questions, je les agitais souvent à propos de notre nouvelle vie ici, au bord de la rivière. La terre, son travail, ses produits, donnent une satisfaction concrète, tangible, qu’on ne trouve pas dans les spéculations intellectuelles ou financières. Sentiment sans doute puéril que croire que les activités humaines peuvent se hiérarchiser en fonction de leur vérité, de leur vertu…