Boeing hésite ŕ emboîter le pas ŕ Airbus et ŕ remotoriser le 737.
Il peut arriver ŕ James McNerney, PDG de Boeing, d’ętre franchement présomptueux. Evoquant (sans le citer) l’A320 NEO, il vient de dire ŕ des analystes que le marché attendra la décision de remotoriser ou pas le 737. En d’autres termes, Airbus croît prendre les devants mais les compagnies aériennes patienteront jusqu’au moment du choix de Boeing. De deux choses l’une : soit que la tranquille assurance de McNerney se justifie, soit qu’il n’ait pas encore compris que nous avons changé d’époque. Le temps est loin oů la bonne parole venait de Seattle et de nulle part ailleurs.
Apparemment, le grand timonier de Boeing n’a pas non plus lu avec toute l’attention voulue les propos tenus il y a quelques jours par Richard Anderson, patron de Delta Air Lines. Evoquant une commande prochaine de 200 courts/moyen-courriers, il a exprimé tout l’intéręt de sa compagnie pour l’Airbus NEO, d’une part, le Bombardier C.Series, d’autre part. Il n’est visiblement pas impossible que Delta choisisse entre ces deux concurrents, et eux seuls, laissant Boeing sur le bord de la route. Ce serait un événement majeur, confirmant si besoin est que le duopole Airbus-Boeing fait bel et bien partie du passé.
Déjŕ, certains observateurs américains s’interrogent sur le sens véritable des propos d’Anderson : s’agirait-il d’une simple gesticulation destinée ŕ mettre la pression sur le constructeur de Seattle ? Ce n’est pas possible, encore que les évaluateurs de Delta se préparent tout naturellement ŕ donner la parole aux chiffres. Ils devraient ainsi constater et confirmer que les moteurs de nouvelle génération, CFM Leap-X et Pratt & Whitney PW1000G, permettent bel et bien une réduction de 15% de la consommation de carburant.
L’A320, certes, méritera bientôt d’ętre qualifié d’avion Ťancienť (il a été lancé en 1984) mais, dűment remotorisé, il devrait rester suffisamment séduisant pour permettre ŕ ses utilisateurs de patienter jusqu’en 2020 et męme au-delŕ avant de mettre en service un court/moyen-courrier entičrement nouveau. Le C.Series, lui, représente davantage l’état de l’art que ses rivaux mais n’est pas adossé ŕ une vraie gamme de modčles de capacités diverses. Il ira tout au plus ŕ 150 places, venant de versions initiales ŕ 100/140 passagers.
Sans contester les mérites et les capacités d’analyse des dirigeants de Virgin America et IndiGo, le fait est que le verdict de Delta influencera sérieusement la suite des événements. Soit que le prétendant québécois l’emporte, ce qui lui conférerait une solide crédibilité, soit que le NEO soit déclaré vainqueur, une gifle pour Boeing, soit que Delta choisisse prudemment le wait and see. Cette derničre hypothčse est la moins probable, sachant qu’une partie importante de la flotte de Delta aspire urgemment ŕ la retraite.
Delta souhaite passer commande fin 2011 et obtenir de premičres livraisons dčs 2013. Ce calendrier est incompatible avec les conditions de lancement du NEO, livrable au plus tôt ŕ partir de 2016, mais on devine que des compromis pourraient ętre envisagés, comme vient précisément de le montrer la maničre de faire de Virgin America (achat simultané d’A320 classiques et de NEO).
On en arrive ainsi ŕ se demander si la position d’attente de Boeing ne constitue pas une erreur stratégique. A moins, bien sűr, que les équipes de McNerney ne se trouvent dans l’obligation financičre d’attendre des jours meilleurs, compte tenu du coűt exorbitant des retards accumulés du 787. Resterait ŕ considérer un autre scénario, ŕ savoir que Delta, malgré son impatience ŕ rajeunir sa flotte, ne décide de ne rien décider.
L'influence de la compagnie d’Atlanta est considérable, ce qui explique l’intéręt que soulčve la décision qu’elle prendra dans quelques mois. Partenaire d’Air France lors de la création de l’alliance SkyTeam, elle illustre parfaitement la notion de Ťmajorť, dans l’acception américaine du terme : 160 millions de passagers par an, 815 avions, 79.600 personnes, un chiffre d’affaires de 31,7 milliards de dollars en 2010. Et, c’est l’essentiel, des comptes assainis aprčs la traversée d’une zone de fortes turbulences qui avait fait trembler l’édifice sur ses bases. Cet épisode fait maintenant partie du passé et, bientôt, on saura si la tranquille assurance de Boeing repose sur des bases fragilisées ou, tout au contraire, témoigne d’un grand réalisme.
Pierre Sparaco - AeroMorning