Tout écrivain qui se confronte à la mort d’un proche dans un récit achoppe sur un obstacle majeur : la rencontre du vécu et de la fiction ne font pas bon ménage. D’abord parce que des larmes peuvent couler sur le manuscrit. Ensuite parce que l’écrivain qui frôle ces abîmes a toujours l’impression qu’il va ennuyer son lecteur : au fond, quoi de plus banal que la mortdans son universalité ?
L’amour après la mort
Quoi de plus obscèneaussi, que de broder alors sur les « circonstances » de la mort (comme si certaines avaient un « supplément d’âme » ou un « plus-produit »)Par exemple, la mort d’un enfant, d’un bébé (l’infanticide comme l’a traité d’Annunziodans le film de Visconti) bref tout ce qui réveille des pulsions autour de cette mort, parfois les plus inavouables comme la peine, l’immense chagrin, parfois comme la peine de mort. Dans « Le fils » de Michel Rostain, par un tour de passe-passe de quelques deux cents pages, l’auteur semble échapper à la Croix de tout un chacun. D’abord par l’humour. Sur un sujet pareil une vraie performance saluée par la grande Nancy Huston. Ensuite , par un procédé narratifclassique dans le cinéma (comme dansSunset Boulevard de Wilder ) qui consiste à faire parler les morts. Le fils mort en l’occurrence et qui de l’endroit d’où il parle (limbes, paradis ?) peut observer les effets du deuil sur son père. Mieux, les disséquer, les interpréter…mieux encore, évaluer au sens propre ces effets sur les êtres et les corps.
Un exemple du début du livre : le fils voit son père renifler comme un clébard la couette dans laquelle il dormait alors qu’il se rend au pressing pour la faire nettoyer. Autre scène , un peu plus loin : le père jongle avec les dernières photos du fils sur ordinateur etfait danser les pixels dans une danse macabre digne de François Truffaut . L'auteur - qui dirige une scène nationale- a des références, il sait mêler intime de sa vie et Opéra mortel.
C’est bouleversant mais aussi, quelquefois, rassurant.