« Il faut détruire la Halde » (la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Ce voeu, signé Z comme Zemmour, remonte au 8 mars 2010. La Journée des femmes. Une date toujours un peu douloureuse pour notre éditorialiste. Deux jours plus tôt, il vient de justifier les contrôles au faciès chez Ardisson et le droit à la discrimination sur France O. Des agences d’intérim refusent d’embaucher des Noirs ou des Arabes ? Eric Zemmour ne voit pas le problème : « Ils ont le droit ! » Eh oui, « la discrimination, c’est la vie ». En tout cas, c’est la sienne. Donc un peu la nôtre.
Le débat ne porte pas seulement sur la liberté de dire (liberté d’expression), mais également sur la liberté de faire (droit à la discrimination). Dans l’absolu, notre monde est bien fait. Eric Zemmour a le droit de s’exprimer. Et nous avons le droit de lui préférer le pamphlet de Mohamed Sifaoui : Eric Zemmour, une supercherie française (Armand Colin, 264 p., 16,50 €).
Certes, lorsque la ligne rouge de l’incitation à la haine est franchie, les tribunaux sont là pour trancher. Mais rien ne vaut de combattre une idée par une autre. Même lorsque l’éditorialiste choisit d’user de sa liberté d’expression pour légitimer une pratique illégale ?
En l’occurrence, il invoque la République pour combattre le modèle républicain et sa subtilité, faite d’indifférence aux origines et de volontarisme contre les discriminations. Otez ce volontarisme, et vous obtenez un modèle indifférent… aux discriminations. D’où l’intérêt d’autorités indépendantes, capables de renforcer le camp des victimes, souvent démunies pour établir la preuve d’une injustice. Les tribunaux conservant le dernier mot, cette médiation sert donc la loi.
Tout se complique lorsque deux principes républicains fondamentaux, la laïcité et l’égalité, se trouvent en conflit. La Halde se trouve très exactement postée à cette frontière. D’où l’émotion soulevée par l’un de ses avis, en faveur d’une salariée voilée qui refusait d’appliquer le règlement d’une crèche. Depuis, la Halde est revenue sur cet avis. Son service juridique doit certainement veiller à ne pas servir de caution à certains « chantages » au racisme cachant un militantisme ou un règlement de comptes. Mais cela ne délégitime en rien l’existence même de cette autorité, bien au contraire.
Dans un pays où plusieurs lois restreignent le droit de manifester son appartenance religieuse de façon outrancière, de façon légitime, nous avons besoin qu’une autorité veille à l’équilibre entre laïcité et égalité. C’est le cas lorsque la Halde désavoue une auto-école de Saint-Denis ayant refusé de donner des cours de conduite à une cliente portant un voile simple. Contrairement à l’école ou aux services publics, les commerces n’ont pas à trier leurs clients en fonction de leurs choix, fussent-ils religieux ou politiques. A moins de remettre en cause totalement le principe des lois antiracistes fondé sur le refus de prestation de service.
C’est bien ce dont rêvent les ennemis de l’égalité. On discerne ici la frontière, décidément majeure, séparant les républicains laïques des nationalistes. Les républicains laïques ne veulent pas voir la Halde servir d’instrument contre la laïcité, mais souhaitent la préserver. Les nationalistes souhaitent profiter du prétexte laïque ou républicain pour détruire son volet antiraciste.
Le gouvernement s’apprête à leur donner satisfaction. En fondant toutes les autorités indépendantes en un seul poste : le Défenseur des droits. Un enterrement de première classe, puisque la force de ces autorités – qu’il s’agisse du Défenseur des enfants ou de la Halde – réside dans leur visibilité. Les regrouper sans toucher à leurs sigles ni à leur spécificité serait plus sage. Dans un climat où les idées du Front national reprennent du poil de la bête, une autorité comme la Halde n’est sûrement pas du luxe.
Caroline Fourest pour son « blog «
Merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré