Magazine Cinéma
Au centre de l’œuvre de la cinéaste catalane Isabel Coixet, il y a toujours une femme, une blessure, un secret. Dans La Vida secreta de las palabras, Hanna- jeune femme mystérieuse prenait soin d’un Josef blessé sur une plate-forme pétrolière ; dans My Life Without Me, Anne, mourante, cachait sa maladie à son mari et lui organisait un futur paisible ; ici, dans ce Map of the sounds of Tokyo, ces mêmes thématiques s’entrelacent : la femme (Ryu) qui guérit l’homme (David) de ses souffrances, les mots que l’on ne dit pas (elle est une tueuse à gages engagée par le père de feu Midori pour tuer David, tenu pour responsable du suicide de la défunte), les sens qui s’exacerbent avant l’issue que l’on devine fatale. Soit un gros projet pour Coixet : la peinture sonore d’un Tokyo qui isole, détruit, donne autant qu’il retire, et un plaisir pris à jouer avec les sons, un désir de retranscrire les goûts, les odeurs, les couleurs. Ainsi, le personnage masculin devient le tentateur sensuel et sexuel (Sergi López, tendre et animal), d’une femme froide et éteinte (Rinko Kikuchi), la vie versus la mort, goûtant le vin, célébrant le charnel (ces rendez-vous érotiques à l’hôtel), électrisant des sens mis en veille par la sécheresse tokyoïte. Dans cette valse voluptueuse, ode à l’imagerie japonaise, Coixet se sert de la musique (les notes fabuleuses de Max Richter) et du décor comme des protagonistes à part entière, et s’y perd, la faute à des enjeux flous, un ensemble décousu et ennuyeux, une démarche étrange, brumeuse. Alors que sa romance très wong kar-waïenne et son duo de contraires se veut hymne à la pudeur, et qu’elle s’amuse tout du long avec le concept de ce qui est dit/ce qui ne l’est pas (ces rencontres muettes entre Ryu et un preneur de son, ce David endeuillé qui chantonne Enjoy the silence en karaoké), Coixet sombre- dès la seconde partie- dans une mièvrerie assommante : La Vie en Rose de Piaf remplace les hollandais Kraak & Smaak, la tueuse insensible devient gamine amoureuse, l’habituelle continence émotionnelle de Coixet se mue en géant mochi à la fraise gluant, où sacrifice final et mignardise digne des mélos US se conjuguent grossièrement sur du Antony & the Johnsons (!). Soit la subtilité de Coixet, rattrapée, annihilée, broyée, par de soudains (et écoeurants) penchants sentimentalistes.