Tout le roman ressemble finalement à une pâle illustration des propos de Hannah Arendt. Alors pourquoi écrire ce type de livre en 2007 ? Peut-être parce que la Seconde Guerre mondiale, avec son lot d'horreurs et de culpabilité, reste encore un sujet fascinant, donc vendeur (voir le succès du Littell). La Shoah, un nouveau fonds de commerce ?
Moi, c'est le style qui m'a profondément énervée, ce style que Philippe Lançon de Libération appelle du Gothique Charpenté. Il a fait un florilège des images dont Philippe Claudel use et abuse :
Ça sent le choux, la modestie : une dictée faite sous la IIIe République, dans une classe mal chauffée. Les clichés populaires paysans sont essentiels. La petite église du village a des murs «larges comme l’envergure d’un aigle». La nuit «a jeté son manteau sur le village comme un roulier sa cape sur les restes de braise d’un feu de chemin». Le maire a «des mains larges comme des sabots de mule», pas du pape. Quant à l’hiver, il est «long comme des siècles embrochés sur une longue épée».
Agacée par les images sirupeuses de Philippe Claudel, j'ai voulu aussi les noter mais cela aurait considérablement ralenti la lecture dont je voulais me débarasser au plus vite. Cependant, pour la bonne bouche, je vais en citer quelques unes : Pour dire "c'était la nuit " il écrit :
C'était une belle nuit, froide et claire, une nuit qui d'ailleurs ne semblait pas vouloir se terminer, qui prenait plaisir à paresser dans son encre, à s'y tourner et retourner, comme on aime parfois demeurer au matin entre les draps empreints de chaleur.
ouf !
Visiblement, la nuit l'inspire (p 177) :
Les étoiles avaient sorti leurs parures d'argent.
Celle-là il fallait la faire !
Il continue :
En levant la tête et en les regardant, j'eus l'impression de plonger dans une mer tout à la fois sombre et étincelante dont les fonds d'encre étaient ornés d'innombrables perles claires.
Chez P. Claudel, la nuit et l'encre vont bien ensemble !
Toujours dans le registre de la nuit (p 20):
Je me souviens que j'ai regardé le ciel et que je me suis dit, à voir toutes ces étoiles ainsi pressées les unes contre le autres, à la façon d'oisillons qui ont peur et qui cherchent compagnie, que bientôt nous plongerions d'un coup dans l'hiver.
Bon, je ne vais pas faire une liste, des images, véritables tics d'écriture de P. Claudel. En effet, la chaleur de l'été est régulièrement comparée à celle d'un four, la foule à un cour d'eau et bien d 'autres curiosités du genre :
Les sentiers sont comme les hommes, ils meurent aussi.(p 212)
Ses yeux semblaient être des papillons...(p212)
...ses cheveux flottaient dans l'air comme des flammes brunes et froides.(p 215)
À la fin du roman, on peut se demander si P. Claudel fait preuve de lucidité quant à son écriture car à travers un de ses personnages, le Maire, il dit : (p 392)
"Tu écris bien Brodeck, nous ne nous sommes pas trompés en te choisisssant, et tu aimes les images, un peu trop peut-être, mais enfin..."
Mais enfin... ça m'a profondément agacée son style Gothique Charpenté !