LA PIÈCE DE CHRISTOPHER MARLOWE
REVUE EN TRAGÉDIE PUNK ET BLASON DE LA RÉSISTANCE GAY
EDWARD II de Derek JARMAN, avec Steven WADDINGTON, Andrew TIERNAN, Tilda SWINTON, Kevin COLLINS
Sortie cinéma, le 19 mai
2010Les historiens vont râler, les puristes, s’étonner ! Mais qu’importe puisque l’œuvre ici portée est d’une magnificence hors-norme, du cinéma théâtralisé ou du théâtre filmé, qui vous emporte immédiatement ou vous rejette une fois les préliminaires assurées.
Derek Jarman les assume avec maestria, posant en trois images et deux dialogues, à la fois sa mise en scène et le prétexte d’une aventure historique soigneusement revue par ses soins.
Ou les amours licencieuses entre le roi Edward II (Steven Waddington )et son mignon Piers Gaveston ( Andrew Tiernan), tous deux à l’interprétation sans faille . Une révolte de palais s’ensuit, qui dans un décor dénudé (des murs, très hauts, le plus souvent, impersonnels) pose l’intemporalité d’un tel sujet et son universalité.
Ici nous sommes proches de notre monde d’entre deux-siècles, où les pairs de sa seigneurie, menés par un colonel parfaitement britannique, portent costume trois pièces et cravate assortie. Mais la manifestation qui s’en suit est sans équivoque vis à vis de l’époque … Leur rébellion est celle d’un peuple de nantis confortés par le pouvoir de l’église et celui des institutions.
Quand celles-ci flanchent devant le cérémonial amoureux de son mentor (le roi couvre de cadeaux et de titres honorifiques son protégé ) le peuple est aux abois et s’en remet alors à la force militaire, trop heureuse d’asseoir son autorité, en vue qui sait d’un futur coup d’état.
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L’adaptation de la pièce de théâtre éponyme écrite par le dramaturge et poète Christopher Marlowe en 1592, un contemporain de Shakeaspeare, demeure bien très actuelle de la part d’un cinéaste à la thématique homosexuelle récurrente. Voir The Garden (1990) ou Blue (1993). Séropositif, il nous a quittés il y a quinze ans, à l’âge de 52 ans.
Laissant une œuvre empreinte d’un cérémonial cinématographique très personnel dont « Edward II » est peut-être l’exemple le plus radical. On y joue, très bien, on y danse aussi et cette fois le cinéaste a également fait appel à la chanson, sous les traits et la voix d’Annie Lennox.
Piers Gaveston. le favori du roi, est banni . Mais il reviendra..
L’ensemble donne à voir et à entendre une histoire d’une extrême violence, mais toujours retenue par le regard attentif du cinéaste, qui fait de la passion et de la trahison ici arc-boutées, une peinture baroque d’une extrême beauté, et d’une sobriété monastique.
Si tous les acteurs sont à la hauteur des prétentions du cinéaste, j’avoue que Tilda Swinton dans le rôle d’Isabella, la reine rejetée, est assez exemplaire. Tour à tour vipère et statue de marbre, esclave et rebelle, elle est l’incarnation même de cette cour jalouse de Gaveston. Un très beau rôle pour une comédienne, coutumière des paysages de Derek Jarman, où elle se promène depuis « Caravaggio » (1985), « War requiem « (1989), « The Garden » (1990) et « Wittgenstein » (1995). Une fidélité exemplaire .
SUPPLÉMENT
. EDWARD SELON DEREK (24 mn)
Un retour sur la production d’Edward II et la personnalité de Derek Jarman, au gré d’entretiens avec les producteurs, le directeur de la photographie et l’acteur principal du film, Steven Waddington.
Des entretiens qui nous en apprennent beaucoup sur la personnalité d’un artiste qui vivait à Dungeness, dans une maison isolée, près de la mer, avec dans son jardinet plusieurs installations et en toile de fond une centrale nucléaire. Ce qui vous situe déjà le personnage encensé par ses deux producteurs Antony Root et Steve Clark-Hall qui n’en reviennent pas encore de la réaction du cinéaste quand on lui apprend que le budget n’est pas bouclé. « Habituellement, ils se mettent en rogne, nous accusent de tous les maux et puis basta. Mais après un moment de réflexion Derek s’est exclamé “ c’est génial, on va pouvoir le faire autrement ” ».
Ian Wilson, le directeur de la photographie en sait quelque chose, quand il découvre les décors, sans fenêtre, ni porte. «Des cubes de carton » résume-t-il. Le résultat de son travail est pourtant époustouflant, à l’image d’un film «cas unique où la restriction budgétaire a eu un effet positif » remarque Antony Root
Steven Waddington qui tient le rôle-titre s’étonne lui aussi de la façon dont il a été contacté : « normalement, on nous demande de jouer une scène, de lire un texte, mais là Derek n’a parlé que de son projet en disant que j’avais le rôle ».
Derek Jarman , en personne ...
Le volet de l’homosexualité est ouvert par Peter Tatchell, un ami du cinéaste, qui insiste sur son combat contre l’homophobie « Derek a été l’un des premiers à avoir déclaré sa séropositivité, et ce fut important pour notre combat politique sur la reconnaissance des homosexuelles à une époque où nos interventions étaient réprimées avec une très grande violence. Ca donnait un visage à notre combat et ce visage était très connu ».
Et dans « Edward II » Derek en rajoute une couche sur le fond et la forme, avec ces fameuses manifestations . Des membres de l’association « Outrage » participent au casting en criant les mêmes slogans que ceux chantés dans les rues de Londres en 1990. « Quand on pense à cette époque » reprend le producteur Antony Root « sa santé était une bombe à retardement, qu’il devait transporter avec lui en permanence »..
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