L'auteur des Triplettes de Belleville adapte un scénario inédit de Jacques Tati. Et fait de cette lettre d'amour d'un génie à sa fille un joyau de l'animation ludique, sensible et bouleversant. Une merveille!
Il n'est jamais simple de rebondir après un premier long qui a engendré une aussi forte unanimité que Les triplettes de Belleville. Quelques plans de L'illusionniste suffisent pourtant à balayer ces questions et à comprendre que ce joyau de l'animation s'impose déjà comme l'une des oeuvres majeures de 2010. L'influence de Jacques Tati planait déjà dans l'imaginaire du Chomet des Triplettes... Au-delà d'une scène hommage à Jour de fête sur un écran télé, il y avait développé des personnages lunaires et facétieux qui n'auraient pas dépareillé dans l'oeuvre du grand Jacques.
Avec L'illusionniste, il franchit une étape supérieure et ô combien périlleuse: porter à l'écran un scénario resté inédit du maître, une lettre d'amour à sa fille qu'il n'a jamais osé partager avec les autres. Chomet s'empare avec bonheur de ce récit à la première personne: la rencontre entre le double de Tati, un artiste de music-hall vieillissant, et une jeune fille naïve encore capable de l'émerveillement de l'enfance. Le premier voit le succès le fuir et se retrouve obligé d'aller de villes en villages, dans des lieux de plus en plus confidentiels pour tenter de vivre de son art ludique. La deuxième décide de le suivre et de ne plus le quitter, se découvrant un père qui l'aidera à passer de l'état d'adolescente à celui de femme.
On pénètre dans ce récit comme dans une parenthèse enchantée où, de même que chez Tati, les mots sont remplacés par des silences, des regards, des onomatopées. Écrit il y a plus de cinquante ans, ce récit est porté par une intemporalité captivante.
Chomet raconte avec une délicatesse infinie une poignante histoire d'amour filial, de ses premiers battements de coeur jusqu'au moment inévitable où les liens se défont pour laisser la chrysalide devenir papillon. L'univers baroque des Triplettes... fait place à l'épure. On n'est jamais dans la nostalgie, dans l'air fameux du "c'était mieux avant". On vit cette aventure dans les yeux de ce vieil homme prêt à tous les sacrifices pour laisser encore sa protégée croire au merveilleux de l'enfance, à l'idée que tout peut se résoudre d'un coup de baguette magique, jusqu'à ce qu'il la sente prête à affronter la réalité.
L'élégance de ce récit doit évidemment beaucoup aussi au graphisme des décors du film, à la reconstitution étonnante des lumières changeantes des paysages écossais, où se déroule la majeure partie de l'intrigue. L'animation façon Chomet ne paraît jamais artificielle ou faite "à la manière de". L'ombre de Tati aurait pu l'écraser. Elle l'emporte vers des sommets. Et on s'envole avec lui vers les cimes de l'imaginaire avec aux yeux des larmes de rire, d'émotion(s) et de joie.
Note: grand film