Entre Auvergne et Velay, au pays des pêcheurs et du saumon, la petite ville de Brioude en Haute-Loire, s’arrondit autour de sa basilique Saint-Julien du haut de sa terrasse dominant la fertile plaine de la Limagne.
Important marché agricole, Brioude est située à la lisière de l'Auvergne et du Velay, dans une région de transition souriante, parfois tourmentée. L'agréable cité brivadoise revendique son appartenance à l'Auvergne dont elle est l'appendice en Haute-Loire. Assez comparable à sa voisine d'Issoire, avec sa carapace de toits rouges et son remarquable sanctuaire roman, la paisible cité préserve une atmosphère de sérénité.
Brioude, dont le nom pourrait avoir la même étymologie celte que Brive-la-Gaillarde ( briate, briva, " le pont " ), s'est développée et est entrée dans l'histoire grâce au tombeau de Julien, martyr fort populaire pendant tout l'Ancien Régime. Dès le Ve siècle, le poète Sidoine Apollinaire put ainsi évoquer " Brioude la douce, qui garde les ossements de saint Julien... ".
Brioude ne ressemble à aucune autre. Petite ville à la campagne où se fabriquent aussi bien des salaisons que des emballages en carton ou des bijoux en or, la cité brivadoise est si agréable et charmante que l'on en oublierait presque qu'elle est aussi une sous-préfecture où il fait bon déambuler à pied et terminer, toujours, à la basilique Saint-julien.
La toute puissance des chanoines nobles
Située près d'un pont sur l'Allier, passage important dès l'époque gallo-romaine, Brioude reçut plusieurs fois Grégoire de Tours, qui consacra un livre à Julien, puis des milliers de pèlerins, notamment aux XIe et XIIe siècles. Au XIVe siècle, la cité avait fait fortune. Son église était l'affaire des seigneurs et des chevaliers qui avaient tronqué l'équipement militaire pour l'aumusse, suivant la règle monastique de l'évêque Chrodegang de Metz. La fonction de chanoine était assortie du titre de comte, l'abbé était élu. Les ecclésiastiques assuraient le bon ordre du pèlerinage et la sécurité.
Les chanoines relevaient du Saint-Siège pour la chose spirituelle et avaient pour unique suzerain, le roi. Leur puissance matérielle était fondée sur les " leydes ", impôts sur les barques et les marchandises parcourant l'Allier. La rue de la Monnaie laisse même penser qu'ils battirent leur propre monnaie. La parallèle avec l'abbaye des chanoinesses de Blesle et celle de Lavaudieu s'impose. Au XVIe siècle, alors que l'entrée avait été relativement accessible à tous, il devint nécessaire, mais pas toujours suffisant, de posséder seize quartiers de noblesse. Les chanoines-comtes n'étaient plus tenus d'embrasser les ordres sacrés. Le chapitre jouissait de tous les droits seigneuriaux. Au Moyen Âge, les religieux avaient empêché les habitants de jurer commune; en 1793, les villageois se révoltèrent contre la tyrannie des chanoines profiteurs et allumèrent un énorme feu de joie qui emporta pêle-mêle les archives, les trésors et les tapisseries symboles d'une opulence dont ils avaient été si longtemps privés.
La basilique Saint-Julien
" Illustre entre tous les pays d'Auvergne, la plus chargée d'histoire et l'une des plus belles, Saint-Julien de Brioude a toujours embarrassé les archéologues à l'esprit cartésien, déçus de ne pouvoir insérer l'édifice dans leurs catalogues, pas même l'Auvergnat, alors que tout près, à 33 kilomètres, dans le même val d'Allier, Saint-Austremoine d'Issoire y rentre à merveille ". Auteur de ces lignes, le chanoine Bernard Craplet ajoute dans son Auvergne romane : " Si la critique des écoles romanes était encore à faire, Saint-Julien, à lui seul, en démontrerait les lacunes et les limites ".
L'église a été construite en plusieurs campagnes, de 1060 environ à la fin du XIIe siècle, des remaniements ayant eu lieu aux XIIIe et XIVe siècles. Le fleuron de l'art roman à l'architecture originale et hétérogène se distingue extérieurement par la richesse des couleurs de son appareillage er par l'ordonnancement de son chevet, très ornementé contrairement aux usages de la basse Auvergne. Les arrondis du chevet s'appuient, sous le clocher refait, au mur rougeâtre du transept, dont les façades latérales sont pourvues, au sommet, de mâchicoulis.
L'originale présence de deux porches, de chaque côté de la nef, a inspiré les constructeurs de plusieurs églises du brivadois. Le porche sud se signale par des chapiteaux floraux d'une robuste facture et abrite une porte aux ventaux anciens ornée de deux étonnants animaux en bronze formant heurtoir ( tête de lion et tête simiesque ). Le porche nord, qui servit de chapelle et qui peut sembler moins séduisant, conserve des peintures à ses voûtes d'arêtes et les restes d'un tympan en stuc, qui figurait l'Assomption.
D'un plan simple, l'église est la plus longue ( 74 m ) et la plus large ( 20 m ) d'Auvergne. Le narthex est incorporé à la nef principale qu'enserrent d'amples bas-côtés ce qui lui donne une impression d'étroitesse. Ayant succédé à quelque rotonde très ancienne, abritant le tombeau de Julien, le plus populaire des saints gaulois qui aurait été décapité lors des persécutions de Dioclétien à la fin du IIIe siècle, la fausse crypte a été rétablie. Séparée du narthex par d'énormes piliers cruciformes, la nef, que ne croise aucun transept, compte cinq travées délimitées par de massifs piliers au noyau carré dans lesquels s'engagent des demi-colonnes très élancées, au sommet desquels fleurissent des chapiteaux romans. Effectué au XIIe siècle, le surhaussement des voûtes a permit l'établissement de fenêtres : la lumière met en valeur le bel appareil de la nef, alors que le chœur reste dans la pénombre.
Le vaisseau s'impose par sa majesté que soulignent les chaudes couleurs nuancées des pierres ocres, roses et rougeoyantes, ici et là, blanches ou grises. Attribués à différents ateliers, les chapiteaux de la nef et du puissant narthex constituent des pièces de choix. A la troisième travée, un superbe groupe de lanciers, à la deuxième, les beaux visages et les torses des tritons faisant face à des sirènes aux seins nus. Le narthex présente une série de chapiteaux à feuillages ou à figures qui exposent le thématique auvergnate : le bon pasteur, portant sa brebis, le châtiment de l'usurier ( sur le pilier sud ) sous-titré d'une explication latine et à côté, les démons...
A double étage, le narthex est coloré de fresques romanes dont les motifs végétaux ou géométriques constituent la trame; ils se poursuivent dans la nef. Dernière tranche construite à la fin du XIIe siècle, le chœur est cerné d'un beau déambulatoire couvert d'un berceau annulaire et qui s'ouvre sur cinq chapelles rayonnantes de dimensions décroissantes.
La basilique renferme d'autres œuvres de grand intérêt tel ce Christ de la Bajasse, en bois ( début du XVe ); en face, une Vierge à l'oiseau et une Vierge parturiente; le retable du sculpteur Vanneau, dans la chapelle de la Croix; le maître-autel du chœur ( XIIIe ) ainsi qu'un Christ en bois entouré d'anges où se détache saint Michel à qui était dédié cette tribune, ancienne chapelle funéraire des chanoines-comtes.
L'église qui attira tant de pèlerins éclipse un peu la petite ville développée autour d'elle. Le promeneur y admirera cependant les vieilles façades de la cité.