Du pain, de l’eau, mais plus Ben Ali! Chroniques de liberté 2/3

Publié le 26 janvier 2011 par Tnlavie

Prise de la bastille, manifestants au mur du ministere de l'interieur

Je ne reviendrais pas ici sur les hauts faits de cette révolution, ni sur son déroulement, qui a été largement relayé par les médias ces jours-ci.

Le jeune Mohamed Tarek Bouaziz

Il est à noter toutefois qu’elle est sans précédent dans l’Histoire moderne : Tout commence par un fait divers certes tragique et fort en symboles, mais surtout apolitique. A Sidi Bouzid région plutôt pauvre de l’intérieur du pays, contrastant avec les villes aisées de la côte, un jeune vendeur de fruits à la sauvette, Tarek Mohamed Bouazizi, s’immole par le feu, suite à la confiscation de son étalage par les autorités municipales. Ceci put passer totalement inaperçu, un banal fait divers … C’était sans compter sur la chaine d’infos qatari Al-Jazira, qui révéla l’information aux tunisiens, et contribua à lui donner un sens politique. Comment en arriver alors, et en moins de quatre semaines, à la fuite « à l’anglaise » d’un président jusque-là omnipotent ??

L’onde de choc créée dans la population par l’immolation fut mitigée, même si une réflexion profonde s’en cristallisait : L’acte en lui-même ne tiendrait sans doute d’aucun motif politique clairement formulé, ou motivation envers les autorités, … Oui, mais voila, Bouazizi, jeune homme fier a senti son honneur bafoué, son amour propre blessé, sa dignité prise à mal … Ce sentiment de rabaissement, l’entourage plutôt pauvre de Sidi Bouzid le partageait vis-à-vis du chômage chronique, L’ensemble des tunisiens le partageait au delà vis-à-vis des Trabelsi.
L’image frappa tous les esprits : l’image d’un corps s’enflammant … d’une vie qui n’en valait plus la peine si elle était dénuée de dignité !!!

« Pain et eau, mais plus de Ben Ali » : cri populaire général lors de ce soulèvement, les tunisiens désormais étaient prêts à se délaisser de leur confort quoique relatif, en se satisfaisant d’eau et de pain, rien que pour voir finalement le pays se libérer du joug des pilleurs, et retrouver ainsi leur dignité.
Ben Ali pensait pouvoir toujours mâter le peuple, en lui donnant du foot, de la bière, quelques mosquées contrôlées, et de la matraque pour les récalcitrants … Avouons qu’il a eu quand même raison pendant 23 ans !!!

Les violences ont eté cantonné à Sidibouzid pendant deux semaines. Ce n'est que le soir des émeutes de Kasserine-Thala-Regueb que le regime a commencé à vasciller.

Même avec l’émotion de l’immolation, la plupart des tunisiens n’osaient pas se soulever et finirent même par passer à autre chose, la vie quotidienne reprit, les émeutes étant limités à certains villages limitrophes de Sidi Bouzid. Le régime affichait un air implacable, inébranlable, les images du pouvoir étant partout. L’élément qui a fait plier l’opinion nationale contre son Leader, fut l’incident que je décris en tout début … douze morts en un seul soir dans différentes émeutes sur trois villes !!! Les tunisiens, peuple de paix, qui voulaient encore accorder un semblant de légitimité à la réponse gouvernementale à ses émeutes, au vu de la répression qui a dépassé les limites de l’acceptable, sont désormais unanimes.
Les bruits des faits s’éparpillaient à la vitesse d’un clic, les vidéos amateurs inondaient le réseau Facebook, … Du voyou frustré des quartiers insalubres de Sousse, aux minettes branchées de la Marsa, du paysan bohémien du Kef, à l’homme d’affaire accroché à son portable de Sfax, toute la Tunisie qui vivait mentalement en dehors des frontières du pays de part les paraboles et la pauvreté médiatique des canaux télé nationaux, sont soudainement confrontés à la réalité sanglante du terrain et d’une remise en cause profonde : nous ne nous reconnaissons plus dans ce Pouvoir !!!
La situation échappa vite au contrôle du régime.
Cinq jours plus tard, les tunisiens eurent leur « prise de la bastille », que vous pouvez admirer à travers cette vidéo Facebookienne.

Photographie poignante, prise par un photographe qui allait trouver la mort une heure aprés ce cliche, Lukas Mebrouk Dolega.

Une manifestation géante, devant le ministère de l’intérieur, symbole du pouvoir policier tant craint. En temps normal le passant n’a pas le droit d’emprunter le trottoir du bâtiment, il fallait qu’il traverse le boulevard pour poursuivre son chemin. Mais là, il n’est plus question de normalité, le reflexe footballistique de la foule pris le dessus, et c’est comme des Ultras que la foule crie au Régime  « Dégage !!! Dégage !!! Dégage !!! ».
Quelques heures après, Ben Ali prend la fuite pour Djeddah.

En tant que tunisien, je reste pétrifié à chaque fois que je visionne cette vidéo.

On pense aujourd’hui, qu’il est plus juste de parler de coup d’état, sur fond de contestation générale, plutôt que de révolution. Ben Ali, pouvait encore tenir longtemps, mais dans quelles conditions ??? L’armée, le parti au pouvoir et Hilary Clinton l’ont encouragé à se faire la malle, plutôt que de finir sur l’échafaud. Tant mieux, sinon ça aurait fini en bain de sang général. On lui sera reconnaissant pour ça au moins, même s’il a lui-même très maladroitement raté sa sortie …

La liberté a certes un prix, mais La Dignité retrouvée est, elle, inestimable !!!

LA REVOLUTION DE LA DIGNITE : UN CAMOUFLET SANS PRECEDENT
Plus d’une semaine après l’évènement, certaines joues picotent encore …

Tout comme Ibn khaldoun (statue en plein centre ville Tunis, en face de l'ambassade de France), l'intervention pacifiante de l'armée sera retenue dans l'histoire

Gifle pour les hauts cadres de l’administration tunisienne, qui subissent désormais l’aveugle loi d’une chasse aux sorcières, et de chasseurs, deviennent chassés.
Gifle pour l’élite Tunisienne, qu’elle soit politique, économique, financière, médiatique, culturelle … Elite où personne ne s’y attendait, … Surtout ceux qui étaient prêts à mettre leur principes et morale temporairement de coté pour faire des affaires avec les Trabelsi/Ben Ali, ou surtout ceux qui avait œuvré toute une vie pour être « des proches du palais ».
Gifle pour les diplomaties internationales, européenne (dont française, Michèle Alliot Marie, en plus d’avoir -comme le montrent les sondages-, profondément déçu le peuple Français, vous avez durablement froissé le peuple tunisien -qui se souviendra de la réaction de la droite française-) qui ont soutenu la « stabilité du régime de Ben Ali » jusqu’à ces dernières heures, et non jamais prévu son départ précipité.
Gifle pour les opposants de Ben Ali, qui n’ont rien vu venir non plus, et qui n’ont absolument pas eu le temps de faire monter la mousse ni de se faire connaitre, la fuite de Ben Ali les ayant eux aussi pris par surprise, la révolution ne pouvant donc être récupérée par personne !!!
Gifle pour les Islamistes, qui ont été (à leur grand damme!) très absents dans le mouvement, et qui même après des tentatives de récupération à posteriori, n’ont jamais été crédibles, la révolution de la dignité étant laïque avant tout.
Gifle pour le syndicat des dictateurs arabes (SDA:), qui voient en cette révolution touchant le plus imperméable et stable de leurs confrères, modèle de la profession, un précédent très dangereux remettant directement en cause leurs assises. Même une semaine après, à part Qaddhafi condamnant nettement cette révolution et qualifiant Ben Ali comme « président idéal et artisan du succès régional tunisien », aucun des pays arabes ne prend clairement ses distances avec la dictature Ben Ali.
Silence radio …
D’autres révolutions sont en marche, … Vu la béante fracture entre riches et pauvres, elles seront bien plus sanglantes !!!

Algérie, Egypte… les peuples sont en marche!

—Dr Elyes Slim Ghedira

Suite de la chronique à retrouver ici.