Le sourire retrouvé de la Tunisie
Comme les jeunes cubains en 1959 et ou le peuple iranien en 79, les jeunes tunisiens ont gouté dés le soir du 14 Janvier à l’ivresse délicate de la liberté tant attendue depuis des décennies, … des siècles !
Quoi que modérée par l’appréhension anticipant de possibles lendemains qui déchantent …
Il faut bien comprendre que les tunisiens n’ont jamais été libres !!! Il ne s’agit pas que des 23 ans de Ben Ali, mais d’un mode de vie social séculaire:
Rome ?? tu protestes … la crucifixion !!! (ou les lions, les romains ne manquaient pas de raffinement dans l’horreur:)
Les Arabes ?? tu protestes … le sabre !!!
Les beys ?? tu protestes … la corde !!!
La France ?? tu protestes … le peloton !!!
Bourguiba ?? tu protestes … le cachot à vie !!!
Ben Ali ?? tu protestes … il faudra espérer la grâce de Leila ou une couverture de l’Elysée, sauf si t’es barbu, alors là désolé, tu n’as aucune chance !!!
Les Trabelsi ?? tu protestes … ta société fait faillite, tu te retrouve au chômage, ainsi que tous les membres de ta famille, ta femme te quitte, ton chien aussi, et tu prends le premier vol qui se présente à l’Aéroport !!!
La Liberté !!!
La Liberté !!! Ce mot au sens si précieux, pour lequel les tunisiens ont bravé les balles des cagoules noires.
La Liberté !!! Une notion si fondamentale, si nouvelle, tant refoulée par l’éducation même de nos parents : « tais-toi », « ne parle pas », « fais attention », « idiot, tu veux qu’on t’arrête ou quoi ??», « tu as oublié ce qui est arrivé au cousin du mari de la tante de la voisine ? -Arrête idiot, ne prononce pas son nom cela attire le malheur!-»
La liberté !!! Une source d’ivresse en ce 14 Janvier bénit !!!
Ceci est notre arme: révolution numérique
La liberté !!! Une gueule de bois nationale une semaine après, où le gouvernement de transition est paralysé par des contestations à ne plus finir, et le pays au bord de l’implosion sociale entre des « révolutionnaires jusque-boutistes » qui veulent en finir rigoureusement avec tout ce qui traitait avec le système précédent et rétablir une justice sociale puritaine immédiatement (le spectre du comité de salut public de la révolution française n’est pas loin), et les « réalistes » qui tentent de se persuader que les gains de la révolution sont déjà là avec le départ de la dictature et la liberté retrouvée à jamais, et qu’il faut déjà sortir de la crise vu que l’économie dépend d’un grande partie du tourisme et des capitaux étrangers …
Aujourd’hui, a eu lieu le retour des classes et amphis pour les universités, les lycées et les écoles primaires. Il plane une certaine appréhension ambiante, comme si les tunisiens réalisaient l’énormité de ce qui s’est passé … Mais quoi qu’il en soit de la pagaille actuelle, du gel économique, et des craintes d’une élite qui se demande si les « tunisiens d’en bas » sauront faire bon usage d’une liberté trop vite acquise, … Il en reste que les tunisiens se sentent dignes et fiers comme ils ne l’ont jamais été !!!
Tunisien … parce que je le vaux bien !!!
POURQUOI LA TUNISIE NE SERA PAS ISLAMISTE
« Moi je mourrais bien un jour, sans doute bientôt, mais je sens que mon œuvre d’émancipation de la femme et de l’éducation à tous me survivra très longtemps », Habib Bourguiba.
En espérant de ne pas tomber, dans une « république de Terreur », et remplacer ainsi une dictature par une autre faisant ainsi vain « le martyr » de plus de 300 tunisiens … il est intéressant déjà de noter que la Tunisie se découvre en ces temps de crise, profondément laïque !!!
La contestation, le soulèvement, la rébellion, n’avaient aucun emblème religieux, même si les islamistes ont été longtemps persécutés par Ben Ali … A une époque se rappelle-t-on, il suffisait de fréquenter une mosquée plus d’une fois par jour pour être arrêté sans procès. Personnellement dans ma famille large, deux de mes cousins, se sont retrouvés dans de pareilles situations emprisonnés plus d’une année, isolés, juste parce qu’ils se trouvaient au mauvais moment au mauvais endroit, sans procès, faisant les frais d’une politique anti-terroriste impitoyable …
Alors, certes il ya un parti politique tunisien exilé « Ennahdha », dont le chef est basé à Londres la St-Tropez des barbus, qui a essayé de récupérer et de tirer à lui l’essence du mouvement de protestation, … mais il n’en fut rien !!! Ces apparitions répétées à Al-Jazira ne convainc pas les tunisiens. Ce Leader au passé sulfureux, interdit de séjour aux USA, Espagne et autres pays arabes, jugé à la prison à vie en Tunisie avant sa fuite en 1989, reste aux yeux de la Majorité des Tunisiens, religieux compris, la pire des alternatives à la kleptocratie décomplexée de la Famille des Ben Ali.
Toutefois, et si l’économie tunisienne ne redémarre pas, invitant une installation d’une pauvreté chronique tant économique qu’intellectuelle, il faudra craindre le glissement d’une frange de la société tunisienne vers les extrêmes … le risque de dérive islamiste demeure réel.
Quoi qu’il en soit, Ben Ali, champion de la lutte anti-islamiste qui va à se réfugier en Arabie Saoudite une fois déchu, … Le syndicat des dictateurs arabes fait aussi dans l’humour désormais …
HORIZONS MEDICAUX
Le président Ben Ali au chevet du jeune Tarek Mohamed Bouazizi: monde ancien contre monde moderne
Globalement les tunisiens font confiance aux institutions et aux compétences tant publiques que universitaires qui leur sont offertes dans le pays. Parallèlement, L’investissement privé s’est nettement développé les dernières années dans le domaine médical : différentes clinques pointues ont vu le jour. Leur clientèle est surtout étrangère, de par les formules de « tourisme médical » proposés par les tour-operators (la chirurgie plastique à titre d’exemple est bien développée en Tunisie, avec un coût beaucoup moindre pour le patient), mais surtout de par l’espace économique commun qui lie la Tunisie et la Lybie.
Les professionnels privés de la santé tunisiens demeureront très attentifs par ailleurs à la position officielle de la Lybie par rapport à ce changement. Les cliniques privées seront en nette difficulté si elles auraient à manquer de leur clientèle habituelle.
Concernant la Biologie Clinique, La Tunisie a adopté depuis les années 80 un système universitaire en beaucoup de points similaires à celui Français : Les docteurs en Médecine ou en Pharmacie, passent un concours classant national de résidanat en Médecine ou en Pharmacie respectivement, pour s’engager sur une spécialisation sur huit semestres. Tous les diplômes conséquents de spécialistes donnent bien droit à l’installation en laboratoire privé, ou une carrière HU. Pharmaciens et Médecins confondus, il y a une quarantaine de nouveaux spécialistes diplômés chaque année en Biologie Clinique. La société tunisienne de biologie clinique (www.biologieclinique.org), membre de l’IFCC, est présente dans les principaux congrès internationaux.
Il y a quatre pôles HU en Tunisie : Tunis, Sousse, Monastir et Sfax. Un simple survol de la carte géographique montre bien que ces quatre pôles et leurs hôpitaux dépendants, sont étalés sur la bande côtière du pays.
L’intérieur se sent délaissé.
Les hôpitaux régionaux sont certes bien équipés, mais cela ne suffit pas.
Il est à mentionner, qu’en plus de l’absence de pôles HU dans les gouvernorats intérieurs, la majorité des étudiants originaires de ces régions se voient volontiers rester dans les villes côtières plutôt que de retourner dans leurs villes une fois diplômés. Le comble pour un pays présentant un excédent de jeunes diplômés médicaux à l’échelle nationale, qui a dû faire appel à des compétences étrangères (médecins russes, bulgares, chinois) pour pallier à ce déficit médical à l’intérieur du pays. Une réforme générale de l’affectation des internes et des jeunes assistants a vu le jour début 2010 pour pallier à ce phénomène, et contenir ainsi le mécontentement de la population … Trop tard, la frustration était déjà palpable, la révolution en marche …
De cette révolution pourrait surgir un nouveau pôle HU, voir même deux, dans les régions concernés. En effet, dans un large plan économique la nouvelle gouvernance aura pour tâche l’énorme chantier de pallier au contraste côtes/intérieur. Ce défi ne sera pas possible sans l’investissement privé, vu que le patronnât tunisien (UTICA) était resté jusque là très mou par rapport aux relances gouvernementales, franchises, et autres encouragements fiscaux déjà lancées par Ben Ali. Il faudra faire évoluer les mentalités, surtout celles des locaux et les assimiler d’avantage à la modernité et le libéralisme qu’exige le marché de l’emploi actuel. Le coût sera grandiose. La Tunisie n’a pas le choix.
La Monde Médical aura tout à gagner de ces nouveaux pôles HU, y compris la Biologie Clinique. Les professionnels de la Biologie Médicale en France, pourront toujours compter avec les compétences tunisiennes dans ce secteur. Ces challenges futures ouvrent certainement de nouveaux horizons quand aux perspectives de collaborations inter-universitaires et professionnelles. Certes, La France est sérieusement et de plus en plus concurrencée par les universités américaines, mais il demeure que l’hexagone demeure de par sa proximité, la culture et les ascendants académiques de nos maitres, le premier partenaire stratégique.
FIN DES MONOPOLES ECONOMIQUES : RELANCE DES INVESTISSEMENTS
Pour conclure, je dirais qu’actuellement en Tunisie, nous observons un changement sans précédent, qui certes déstabilise la société civile et politique de par sa portée et sa profondeur induisant sans surprise une instabilité que les différents observateurs jugent transitoire et qui se terminera forcément avec les élections présidentielles dans six mois. Les Ben Ali / Trabelsi détenant auparavant un monopole écrasant dans différents secteurs économiques essentiels et très rapidement rentables (cimenterie, aviation, téléphonie, grandes surfaces, …), il devient très intéressant pour les investisseurs de reprendre ces marchés, surtout qu’il n’y a plus de Mafia pour statuer de l’invalidité ou de l’illégalité d’un autre investissement jugé autrefois concurrent à la « famille ». Ces verrous tombés, la corruption endiguée, la Tunisie s’apprête grâce à ses atouts économiques constants et son capital humain qualifié, à connaitre de meilleures réussites, les économistes tablant sur une croissance à 7% au lieu des 4% actuels si la kleptocratie serait supprimée.
Il nous faut cependant, peuple tunisien, demeurer vigilant à l’éthique et à la politique menée par les investisseurs auxquels il ne s’agit pas de donner un blanc seeing. Nous n’avons pas chassé une kleptocratie politique pour nous retrouver de nouveau asservis par une oligarchie économique cynique.
La confiance retrouvée, Les investisseurs sont dans leurs starting-blocks, … prêt à démarrer …
Pour peu que vous soyez éthiques messieurs, Feu Vert !!!!
Dr Elyes Slim Ghedira
— Dr Elyes Slim Ghedira
Docteur en Pharmacie, Spécialiste en Biologie Clinique
Journaliste
Ancien doyen des résidents Tunisiens en Pharmacie.
Représentant des FFI de France et des jeunes biologistes tunisiens auprès du Syndicat National des Jeunes Biologistes
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