Il faut avoir lu le rapport Sauvé, qui a été remis aujourd’hui au Président de la République, pour se convaincre avec pragmatisme que… malgré la qualité des personnes qui y ont travaillé et ont été auditionnées, on n’est pas près de sortir du magma dans lequel la sarkozie nous amis.
Ledit rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, et mis en place suite au décret n° 2010-1072 du 10 septembre 2010, a été dirigé par un haut-fonctionnaire du nom de Jean-Marc S.(je ne vais pas le répéter cent sept fois et le désignerai donc ci-après JMS), vice-président du Conseil d’État et président de l’Institut Français des Sciences Administratives (IFSA).
Deux autres personnes l’ont secondé dans la coordination de ces travaux : M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes et M. Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la cour d’appel de Paris.
La lettre de commande était libellée ainsi :
« faire toute proposition pour prévenir ou régler les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement, les responsables des établissements publics et des entreprises publiques ainsi que, le cas échéant, les autres agents publics dont la nature particulière des missions le justifierait ». Il invite également la Commission à proposer « d’autres mesures qui lui paraîtraient de nature à améliorer les règles déontologiques applicables » à ces personnes.
Pour réaliser ce travail, la Commission a procédé à une soixantaine d’auditions de personnes issues d’horizons divers dont vous pourrez consulter la liste complète dans le pdf en lien, annexe 3. J’ai noté entre autres la présence de Badinter, Bayrou, X.Bertrand, F. Delapierre (PG), E. Guigou, L. Hénart, M. Hirsch, P. Laurent (Secrétaire national du PCF), H. Morin et Alain-Gérard Slama pour les noms qui vous diraient un peu quelque chose…
La définition opérationnelle des conflits d’intérêts (ils auront au moins abouti à ça….) retenue par la commission est la suivante :
« Un conflit d’intérêts est une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.
Au sens et pour l’application du précédent alinéa, l’intérêt privé d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public s’entend d’un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d’affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles.
Ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits d’intérêts, les intérêts en cause dans les décisions de portée générale, les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes, ainsi que ceux qui touchent à la rémunération ou aux avantages sociaux d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public. ».
Suivent ensuite 29 propositions opérationnelles de nature à légiférer, prévenir, traiter et sanctionner lesdits conflits d’intérêts : mise en place de chartes et code de déontologie, possibilité d’abstention ou de déport dans les cas ci-dessus mentionnés, création de dispositifs de déclaration d’intérêts obligatoires pour les membres du gouvernement ¹ bien entendu, mais également pour directeurs et et adjoints de cabinets, les directeurs d’administration centrale, les présidents et les membres des collèges des autorités administratives indépendantes chargées de missions de régulation économique, les directeurs généraux des centres hospitaliers universitaires et les directeurs généraux des centres hospitaliers dotés d’un emploi fonctionnel… (Voir liste détaillée en annexe p.115).
Parmi l’ensemble de ces propositions qui disons le tout net, sont de nature si elles étaient adoptées (mais j’en doute fortement compte-tenu des intérêts personnels en jeu, auxquels bien peu sont suffisamment costauds moralement pour y résister) à rendre la vie publique un peu plus saine et transparente qu’elle ne l’est actuellement, j’en ai retenu deux : une pour son caractère symbolique qui me fait toutefois sourire (peut-être parce que je pense aux diamants de Bokassa offerts à Valréry) et l’autre parce qu’elle me semble de nature à permettre de prendre la mesure de l’efficacité de ces dispositions si elles étaient appliquées :
Proposition n° 14 :interdire les cadeaux, libéralités et invitations, à l’exception de ceux qui sont mineurs. Mettre en place un régime de déclaration et de remise à la collectivité des cadeaux supérieurs à un montant de 150 euros
Proposition n° 23 : instaurer une sanction pénale d’amende (assortie, le cas échéant, d’une peine d’inéligibilité ou d’interdiction d’exercer une fonction publique) en cas de méconnaissance des injonctions de l’Autorité de déontologie de la vie publique constatant un conflit d’intérêts.
Avec une telle sanction, dont on aura pu noter au passage la particulière détermination de ses rédacteurs à travers l’expression « le cas échéant », on peut être certain que nos grands oligarques vont pouvoir continuer tranquillement leurs petites ou grandes affaires en toute sérénité… Sans parler du caractère technique difficilement (voir pas du tout) applicable de certaines de ces dispositions, qui vont pourtant dans le bon sens.
Pour le reste, aller voir Rue89, tout est dit :
La faiblesse des propositions de la commission Sauvé à ce sujet traduit une opposition frontale des lobbies et de leurs défenseurs à accepter quelque contrôle que ce soit. Nous en avons eu une magnifique illustration mardi au Parlement européen où les membres de l’UMP ont en totalité soutenu l’amendement de leur groupe Parti populaire européen (PPE) et de celui des socialistes européens (S&D) de supprimer tout contrôle des déclarations d’intérêt. (voir contexte ici).
Ce Qu’il Fallait Démontrer…
¹ ça va mieux en le disant… on pense ainsi à la charge d’avocat d’affaires d’un certain nombres d’anciens ou actuels membres du gouvernement, comme Jean-François Coppé et, pire, au début de son quinquennat, N. Sarkozy lui-même himself…