Dès le début du cours de mardi soir, je sentais une agitation que je n'avais pas retrouvé depuis la petite école secondaire (que nous appelions d'ailleurs à l'époque "la grande école"). Habituellement la classe se terre dans un silence gêné attendant le professeur, lit quelques chapitres d'un bon livre (moi), ou est enfouie dans le silo de l'univers proposé par un Ipod, un téléphone intelligent ou un ordinateur.
Ma nouvelle session en traduction m'a amené de nouveaux cours, de nouveaux professeurs, de nouvelles têtes.
Encore une fois, sur 30 élèves la proportion est toujours de 28 filles pour 2 gars. Je ne serai pas celui qui m'en plaindrai puisque sur 30 filles, il y en a toujours une bonne douzaine de très agérables à l'oeil. "Soft to the eye" disent les chinois. Et forcément, les gars ne passent pas inaperçus ce qui, par l'effet de rareté, nous rend assez putes.
En général, à 38 ans (39 dans 9 dodos), je suis généralement ni dans les plus vieux, ni dans les plus jeunes. On m'a même dit que la moyenne d'âge dans mes cours était justement de 38 ans. Mais dans cette classe du mardi soir, la moyenne d'âge doit être de 21 ans. Ce qui a un impact certain sur la testostérone du lapin de 38 printemps mais qui a aussi une influence sur la courbe d'apprentissage du cours.
Le cours se nomme "interprétation en milieu social", il s'agit justement d'intérprétation comme dans "trait d'union entre A qui parle une langue et B qui en parle une autre". Il est donc convenu que l'élève de ce cours doit comprendre les deux langues. Celle de celui qui ne parle pas la langue indigène et la langue indigène elle-même. Toutefois, il a fallu l'expliquer à une jolie jeune fille dont la camisole était franchement trop lousse ce qui laissait entrevoir les dunes du bonheur.
L'enseignante a une méthode d'enseignement plutôt moche.
Une méthode dite "participative", j'en conviens puisque le cours nous apprends un métier plutôt impliqué, mais une méthode qui la fait poser presque tout le temps des questions à ses élèves. Elle dit des choses comme : "Et selon vous qu'es-ce qui motiverais celui qui n'a aucune ressource langagière à vous faire confiance?" ou "La méthode la plus simple serait de...?". Et son auditoire (21 ans d'âge moyen je le répète) qui répond absolument n'importe quoi.
"Qu'es-ce qui influencerait votre interprétation?"
"Le salaire" a répondu une fille.
"Ah Oui?"
Et nous voilà parti sur une discussion de 25 minutes sur les valeurs dans la vie.
"Qu'es-ce que communiquer?"
Et la voilà qui prend les suggestions de définitions d'une quinzaine d'élèves, les écrits au tableau, nous les écrivons tous dans nos notes pour se faire dire au bout d'une heure:
"Et bien il y a très peu de bonnes réponses là-dedans..."
Duh!
Oui on est forcé d'être éveillé et de suivre attentivement, oui on devient forcé de participer mais dans tous ce qui est raconté, majoritairement par la classe, il y a peu de vrai matière. Et quand ce sont toujours les mêmes pignoufs qui participent, ça devient agaçant. On les voit lever la main et on se surprend à tourner les yeux parce qu'on devine que l'intervention sera hors propos ou un simple prétexte pour se mettre soi-même en lumière sous un certain jour aux yeux des autres élèves.
"Oui ben moi mon chum est japonais"
"Ouin...Pis?"
"Ben j'ai des fois à essayer d'expliquer des affaires aux membres de sa famille"
"Vous parlez japonais?"
"Non, on se fait des signes..."
Duh!
Une jeune fille très très enceinte, et donc les traits tirés laissent deviner qu'elle en aurait peut-être deux autres en couches à étiré le cours d'au moins une heure avec des questions assez bêtes qui auraient mérité un cours privé à lui tout seul.
Patience, le vieux, patience.
Une autre, pas enceinte du tout mais qui avait les courbes d'une jeune femme enceinte de dix mois, n'a pas cessé d'intervenir et de tirer la couverte de son côté en interrompant un rare exposé du professeur pour nous entretenir de son expérience dans le langage des signes.
C'était intéressant au début, jusqu'à ce que les anecdotes des gens avec lesquels elle travaille ne viennent apporter une certaine gêne sur la classe qui questionnait son jugement.
"Le monsieur avait déféqué dans ses culottes et j'essayais de le faire comprendre à sa femme malentendante..."
O.k. o.k. le gong s.v.p.
Bien entendu comme le métier d'interprète en serait un au minimum triangulaire, ce cours multiplie les travaux par équipe.
Jumelé à deux filles (c'est sur), une jolie blonde poitrinale et une ronde mexicaine, l'un d'entre nous devait faire dos aux autres avec des morceaux de bois, l'autre devait donner des instructions à voix haute une seule fois et la troisième personne devait observer nos comportements.
Full laboratoire.
J'étais le communicateur, la blonde aux boules moulées était l'observatrice et la ronde mexicaine était celle qui allait construire une croix latine. J'aurais préféré perdre mon latin à observer les boules de la blonde sur une plage du Mexique mais bon...
On a bien fonctionné cette première fois, toutefois par la suite on a inversé les rôles. C'étais moi qui devait faire une croix grecque avec les mêmes morceaux et cette fois la fille pouvait m'aider en répétant les instructions.
Étrangement ça a été catastrophique. Elle ne me donnait pas d'informations claires, butant sur les mêmes deux morceaux pendant 15 minutes. J'ai réussi à faire une croix gammée nazie mais bon, c'était pas ça l'exercice.
On saura au prochain cours qu'es-ce que ça valait tout ça.
À la fin du cours, une fille est venue me voir.
"T'es...T'es tu Marc Bismuth avec qui j't'allé au secondaire?"
"Oui" ai-je menti.
Elle était belle...
pute qu'on devient je vous dis...
"Vicky Robitaille! Tu te souviens? Eille faudrait prendre un verre ensemble pour se rappeller les belles années à un moment donné!" M'a-t-elle lancé.
"C'est sur..."
Que je suis bête...Comment vais-je tenir un mensonge du genre...
12 mardis à jouer Marc Bismuth...
Il s'agit d'un cours d'interprétation, j'interprèterai donc Marc Bismuth pour 12 semaines...