Sarkozy voulait être crédible à Saint-Nazaire, mais dérape à Pornic 8 jours trop tard.

Publié le 26 janvier 2011 par Juan
Mardi, Sarkozy a dérapé. Salement, une vraie bévue dans sa séquence préélectorale si bien préparée. Il n'a fallut qu'un fait divers, dramatique, pour que Sarkozy redevienne Sarkozy. Oublié l'exercice zen d'un président protecteur qui prend le temps de la réflexion ! Avant de partir à Saint-Nazaire pour un grand show industriel à la faveur d'un double évènement, le lancement d'un appel d'offre pour l'éolien offshore et la commande de deux navires de guerre par la Russie, le candidat avait reçu quelques parlementaires UMP à l'Elysée, pour leur confier son indignation après le drame de Pornic et son souhait d'une nouvelle loi... A Saint-Nazaire, son discours commença par un message sur le même fait divers. Chassez le naturel, il revient au galop ! Cette capacité toute sarkozyenne à déraper sur l'émotion s'est illustrée, grandeur nature, et en public, ce mardi 25 janvier.
Sarkozy redevient Sarkozy
Avant de partir à Saint-Nazaire, le candidat Sarkozy avait reçu des élus de « sa » majorité, pour son traditionnel petit-déjeuner hebdomadaire à l'Elysée, aux frais du contribuable. La vraie surprise fut de constater qu'à huis-clos, Sarkozy a perdu sa maîtrise du moment. Sarkozy est redevenu Sarkozy ! Se saisissant de la disparition de la jeune Laetitia à Pornic, il a demandé à ses parlementaires de voter rapidement une nouvelle loi sur les délinquants sexuels : « La responsabilité politique, c'est de faire en sorte qu'ils (les délinquants sexuels) ne puissent plus passer au travers des mailles du filet. » Il a réclamé que la surveillance des délinquants sexuels (via notamment le port d'un bracelet électronique après leur sortie de prison) soit une priorité. Surfer sur l'émotion est un travers bien connu de l'ancien ministre de l'intérieur.
Plus tard dans l'après-midi, son ministre ministre de la justice Michel Mercier a expliqué aux députés lors des questions au gouvernement que Sarkozy avait souligné « la nécessité d'apporter une réponse rapide à des situations comme celles-ci.» « Il est indispensable que les récidivistes fassent l'objet d'un suivi spécifique et approprié dès leur sortie de prison. (...) Lors de la discussion à venir du projet de loi sur les jurés populaires, actuellement en cours de préparation, nous aurons l'occasion de débattre largement de cette problématique et d'adapter notre législation en conséquence
Mais la seconde surprise du jour fut la réaction, à chaud, de certains députés UMP, et pas des moindres... Christian Jacob, président du groupe UMP, a récusé toute « loi d'opportunité », se refusant à « réagir dans l'instant ». Son vice-président, Jean Léonetti, a rajouté : « Je souhaite qu'il n'y ait pas une proposition de loi Pornic.» Les deux ont promis d'y réfléchir dans un groupe de travail pour les 3 mois à venir. Il n'y eut que Christian Estrosi pour publier un communiqué abscons et vengeur.
Quelques heures plus tard, Sarkozy arrivait à Saint Nazaire, pour son grand moment de politique industrielle. Et pourtant, il débuta son discours par tout autre chose. On comprit que la résistance de l'UMP du matin l'avait profondément agacé... au point de le faire déraper. Voici ses premières paroles, à Saint-Nazaire, in extenso, devant des ouvriers en bleu de travail et casque de chantier, et des militaires en uniforme dans le hangar à hélicoptères d'un navire Dixmude de la marine nationale.
« Qu'il me soit permis avant toute chose, d'exprimer ma très grande émotion et ma profonde compassion à l'endroit de la famille de Laëtitia Perrais qui est aujourd'hui dans la douleur et dans l'angoisse. Mes pensées comem celles de tous les Français vont vers cette jeune fille, disparue, à Pornic, dans des conditions qu'il appartiendra à la justice d'éclaircir, mais qui hélas, laissent aujourd'hui craindre l'indicible. Un tel drame ne peut rester sans suite. Des tels actes criminels, si l'enquête les confirme, ne peuvent rester impunis...» Il prend quelques secondes de silence «... Je souhaite que la justice travaille très vite...» Avec quels moyens ? «... très efficacement afin que toute la vérité soit connue. Je recerrai...» Il bafouille «... Je recevrai la famille dès mon retour. Mais je veux vous dire que la récidive criminelle n'est pas une fatalité, et je ne me contenterai pas d'une enquête sans suite. Je le dis très sereinement, mais il n'y aura pas une enquête de plus où on dira aux Français que tout a été parfait, sauf une petite jeune fille qui ne demandait qu'à vivre mais qui a disparu. C'est pas possible.... Faut attendre de voir... Mais si c'est l'indicible... faudra des décisions, et pas des commissions de réflexions. Il y a eu trop de cas comme celui-ci. Et bien sûr, je recevrai cette famille. Pardon de parler de cela avant de parler de vous... »
Cette instrumentalisation est doublement triste et indigne. Non seulement Sarkozy joue-t-il d'un fait divers pour sa cause personnelle... mais en plus, il réagit bien tard. Il fallut que les proches et la famille organisent, la veille, une « marche blanche » pour que le Monarque se décide à utiliser l'émotion populaire. Pour lui, tout est possible.
Ce mardi, Nicolas Sarkozy n'improvisait pas. Il lisait son discours. Surfer sur l'émotion, toujours. On aurait dû lui renvoyer à la figure l'inefficacité de ses lois à répétitions, la réduction des effectifs des forces de l'ordre, la surpopulation carcérale, l'échec des peines planchers, la suppression de la police de proximité, l'engorgement insoluble de la justice, ou, plus simplement, la hausse constante depuis 2002 des violences aux personnes.
Il y a à peine 5 jours, le ministre de l'Intérieur Hortefeux tentait encore sur TF1 de nous faire croire que la délinquance régressait. Il suffisait de lire son bilan. Les atteintes aux personnes, crapuleuses ou pas, ne cessent d'augmenter, année après année. Rappelons, par exemple, que que les « vols violents sans armes contre des femmes sur la voie publique » ont explosé de 44.000 en 2009 à 50.000 en 2010.
Sarkozy voulait être crédible
A Saint-Nazaire, Sarkozy avait pourtant deux autres enjeux politiques. Le premier, redevenir écolo. Il a lancé le grand chantier de l'éolien offshore : un appel d'offres pour 5 projets qui seront choisis juste avant l'élection présidentielle en 2012, 10.000 emplois promis dans l'Hexagone, 600 éoliennes au large des côtes françaises, une puissance prévue de 3000 mégawatts (MW), soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires EPR, 10 milliards d'euros d'investissement. On allait voir ce qu'on allait voir ! « Je vous propose de relever le défi de l'énergie éolienne en mer. (...) Je viens vous dire que l'éolien offshore, c'est pour vous
Le candidat y jouait sa crédibilité écolo, malmenée depuis 2009 après l'échec aux élections européennes puis régionales, du sommet de Copenhague puis le fiasco de la taxe carbone. En 2010, le détricotage de quelques engagements du Grenelle de l'environnement (suspension du plan photovoltaïque, réduction des crédits bio, autorisation de circulation des poids lourds de 40 à 44 tonnes, etc) avait complété le tableau. Sa nouvelle ministre de l'écologie, absorbée jusqu'à lors par les défaillances de la SNCF et les évènements neigeux de décembre dernier, avait chauffé la place. Elle attendait avec impatience cette annonce présidentielle, promise depuis août dernier.
A Saint Nazaire, le candidat Sarkozy devait aussi célébrer en grandes pompes la signature de la commande russe de deux navires de guerre. Une « victoire », claironnée par l'Elysée le 25 décembre dernier et à nouveau ce mardi : « Ce projet est le plus important parmi ceux jamais réalisés par la Russie et par un pays occidental dans ce domaine. Sa réalisation garantira de très nombreux emplois pour les entreprises russes et françaises et ouvrira de nouvelles perspectives de coopération entre la France et la Russie.» Effectivement, aucun Etat membre de l'OTAN ne s'était risqué jusqu'alors à céder du matériel militaire de cette importance à la Russie.
Le 23 juillet dernier, Sarkozy s'était un peu rapidement avancé en annonçant l'affaire, qui ne fut bouclée que 5 mois plus tard, après que la France eut concédé de jolis transferts de technologies: les deux premiers bateaux seront construits en commun (à 80% en France), et les deux suivants... en Russie. Les officiels russes ont expliqué, en décembre dernier, que cette acquisition visait à combler leur retard technologique. Ce mardi, Sarkozy, accompagné d'Igor Setchine, vice-premier ministre du gouvernement russe, et d'une brochette de ses ministres, voulait prouver la réalité de sa politique industrielle : « Je n'accepterai jamais la disparition des chantiers de l'Atlantique. Jamais. » Cette commande russe était un exercice de crédibilité politique. Le président était trop fier de revenir ainsi en fanfare devant des ouvriers. La photo était belle comme un poster de campagne. Le discours fut globalement court, une grosse trentaine de minutes, avant la signature filmée des contrats de commandes  : « J'ai vu des doutes sur les visages et j'ai entendu des critiques, rappelle Nicolas Sarkozy, en référence à sa venue il y a 6 mois. Aujourd'hui, c'est signé ! » Et il promit « mille deux cents emplois seront garantis pendant quatre ans par ce chantier.» 
Il s'est même exclamé : « On n'a pas le droit de mentir. » Les ouvriers de Dassault, à qui Sarkozy avait promis une commande brésilienne... en octobre 2008, apprécieront. Ceux de Gandrange également. Nicolas Sarkozy, ce mardi, n'eut pas un mot de commentaire sur la prochaine entrée en Bourse de l'activité inox d'Arcelor Mittal.
Pour que la fête fut complète, Sarkozy promit 3 milliards d'euros de prêts supplémentaires chaque année pour les PME industrielles, via la mobilisation de 75 % des dépôts supplémentaires sur les Livrets A et de développement durable. Il jongla avec les milliards : il demanda que les 84 milliards d'euros d'épargne salariale soient réorientés vers les PME, sans qu'on sache juridiquement comment (puisque rien n'a été prévu lors de la loi de finances 2011) ; il promit 1,5 milliard d'augmentation de capital pour « renforcer les moyens » du Fonds stratégique d'investissement ; il demanda qu'on place les 1 400 milliards d'euros d'assurance vie des Français dans « dans un actionnariat stable et de long terme pour nos entreprises ». Ce mardi, Sarkozy racontait n'importe quoi. Déplacer l'assurance vie, dont les placements boursiers ne sont ni contrôlés ni contrôlables par la puissance publique (sauf à changer les incitations fiscales, ce qui n'a pas été fait en 4 ans de mandat), est une déclaration en l'air.
A Saint-Nazaire, Sarkozy avait gâché son occasion. Trop fébrile pour sa réélection, il préféra parler du drame de Pornic. Trop vantard, il se plu à penser que deux navires de guerre et quelques éoliennes remplaçaient une politique industrielle d'envergure.