Il n'aura sans doute pas échappé aux amateurs de science-fiction que les éditions Denoël ont créé il y a peu une nouvelle collection - baptisée Grand Public - dédiée elle aussi aux littératures de L'Imaginaire, et jouant même sur la frontière des genres. Si on avait encore ne serait-ce qu'une raison de s'interroger sur l'orientation de tel ou tel titre dans cette collection (Les Démons de Paris, Le Vaisseau ardent, Terre sans mal et d'autres à venir...), et pour peu qu'on s'intéresse seulement à la question, il faudrait vous rendre sur le blog de la mythique collection Lunes d'Encre où Gilles dumay, son directeur, n'hésite pas à réagir aux commentaires, à argumenter sur ses choix ou à nous faire vivre de l'intérieur les remous de l'édition française en général, et de la science-fiction en particulier.
Quoi qu'il en soit, ces interrogations de chapelle n'ont vraiment pas lieu d'être. Il m'aura suffi de lire Terre sans mal pour m'en convaincre. Ça ressemble à de la science-fiction, on dirait de la science-fiction, mais ce n'est pas de la science-fiction. Pas vraiment en tout cas. Ou, pour être exact, pas seulement. Afin de n'induire personne en erreur, disons que la science-fiction sert plus ici de socle à un discours philosophique et politique qu'à une rencontre du troisième type au sens où on l'entend habituellement en ce qui concerne ce genre.
Cette approche constitue d'ailleurs le seul écueil du livre. Non pas que le propos soit incompréhensible – loin de moi l'idée de me plaindre lorsqu'un livre invite à une telle réflexion. A vrai dire, il est même plutôt accessible et pertinent. Mais à l'image de ce que j'avais déjà évoqué concernant le Peindre au noir de Russell James, le fond et la forme ont évolué en parallèle sans jamais se confondre totalement. Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas accroché aux personnages, sauf peut-être à U'Tal, ce jeune Guarani du XIV siècle ayant fui sa tribu pour marquer son désaccord avec celle-ci. Emmené – enlevé ? - par des extra-terrestres, il a pour mission, sept siècle plus tard sur notre échelle de temps à nous, un an sur la sienne, de servir d'intermédiaire concernant le marché qu'ils ont à proposer aux Terriens. Quant aux autres, qu'il s'agisse des résidents de la base sur Mars, les premiers à établir un contact avec le vaisseau extra-terrestre, du président des Etats-Unis, figure par trop caricaturée du mal, ou bien de ses opposants, je ne les ai pas sentis incarnés. Ils me sont plutôt apparus comme les souffleurs dans les théâtres à l'ancienne : des voix dont le seul but est de faire transiter une parole. Une belle parole, certes, mais qui n'a pas contribué à magnifier l'histoire pour autant.
Et c'est bien dommage parce qu'au final, toutes les réflexions, toutes les interrogations qu'il suscite sont du plus grand intérêt. Qu'il s'agisse de notre place en ce bas-monde, en tant qu'homme ou que citoyen, de notre implication nécessaire dans les décisions qui relèvent du droit commun, du respect des gouvernements envers la population, de la notion de choix, de libre arbitre... les pistes sont multiples, toujours riches, captivantes, utiles.
Impression en demi-teinte, donc, mais qu'on ne s'y trompe pas, Martin Lessard est un auteur à surveiller. Je ne dis pas cela juste pour lui faire plaisir – il vient sur le blog régulièrement – mais parce qu'à la lecture de Terre sans mal, cela ne fait aucun doute qu'il y en a sous le capot. Je guette...
Terre sans mal, Martin Lessard, Denoël, 409 p.