Qu’est-ce qu’une doctrine ? C’est un système cohérent de convictions et de jugements de valeur. Mais comment élaborer une doctrine ? Raoul Audouin (1907-2005) l’avait bien compris : il faut se mettre à l’école des grands maîtres de la pensée occidentale. Traducteur de Mises et de Hayek en français, mais aussi de Bastiat en anglais (1), Raoul Audouin fut, selon la belle expression de Jacqueline Balestier, « un inlassable passeur des idées de liberté ». En effet, pour Audouin, il existe une philosophie qui correspond à l’instinct profond de la France et plus largement de l’Occident, c’est une philosophie de la liberté, fondée sur une société de droit. Selon lui, « l’Occident a servi l’humanité tout entière en visant à accroître et à systématiser les libertés individuelles, économiques et politiques. »
(1) Frédéric Bastiat, Providence and Liberty, Philosophical Selections translated by Raoul Audouin, The Acton Institute, Grand Rapids, Michigan, 1991
Dans « Vivre libres : la splendeur de l’économie », Raoul Audouin se fait pédagogue. À la façon de la de Saint Thomas d’Aquin dans la Somme Théologique ou de Jean-Baptiste Say dans son Catéchisme d’économie politique, il initie son lecteur à cette doctrine par une série de questions-réponses. Il aborde des sujets aussi variés que le droit naturel, la monnaie, la fiscalité, la souveraineté, l’entreprise (définie comme « école de liberté dans la coopération ») ou le profit.
Comme l’a écrit Jacques Garello, Raoul Audouin dans cet ouvrage suit de très près l’idée maîtresse de Bastiat : la vie économique est faite d’échanges, le marché est une façon d’aller au devant des besoins des autres et seul le service de la communauté mérite une rétribution. L’homme est la fin de toute activité économique et la liberté responsable, ancrée dans le droit de propriété en est le moyen privilégié.
Plus précisément, le projet visé par ce livre
« est de discerner quel genre de règles, comparables à celles de l’hygiène, permettrait de favoriser les libertés innées des hommes, en pacifiant leurs relations à l’intérieur et au travers des frontières. Une telle recherche implique, de la part de ceux qui l’ont entreprise, un postulat initial : l’homme est un être constitué pour devenir de plus en plus libre, c’est-à-dire de plus en plus maître et responsable de son propre sort. »
Résumons en quelques points les grands axes de cette « hygiène des libertés », présentée dans Vivre Libres :
Pourquoi est-il utile à la société que l’individu soit libre ? La réponse à cette question, nous dit Raoul Audouin, est que la liberté constitue, dans la société, la fonction exploratrice : l’individu sert les autres, même sans le vouloir ni le savoir, lorsqu’il invente pour ses propres buts des moyens que d’autres pourront imiter et améliorer. Autrement dit, l’intérêt social est de mettre le plus possible les individus à même de déployer leurs énergies créatrices.
Et comment garantir qu’en disposant de sa liberté, il nuise le moins possible aux chances qu’ont ses semblables d’être libres aussi ?
Pour éviter qu’il s’en serve mal, il faut faire en sorte que les conséquences bonnes ou mauvaises de ses initiatives retombent le plus directement possible sur lui-même ! La responsabilité remplit, dans la société, la fonction régulatrice. Et comme il est évident que les hommes cherchent volontiers à éluder les sanctions de leurs fautes et erreurs, il est nécessaire d’organiser la responsabilité et d’en faire respecter les règles, au besoin par force.
Enfin, dans son testament intellectuel, en 1997, Raoul Audouin écrivait :
« Il faut brièvement disculper, une fois de plus, le capitalisme libéral, d’avoir engendré la situation actuelle de chômage et d’inégalités criantes. La vérité est que nous n’avons jamais rétabli ce régime, détruit dans ses fondements par les deux guerres mondiales ; le symptôme irréfutable en est l’absence depuis soixante-dix ans d’une monnaie internationale librement circulante et stable, comme l’était celle qui assura, de 1815 à 1914, l’unification économique planétaire. »
Pour lui, le secret de la fécondité du système de marché est d’une simplicité déroutante : c’est que lorsque deux personnes se mettent d’accord pour un échange, chacune d’elle s’enrichit en acquérant ce dont l’autre a moins besoin ! Le total des deux patrimoines n’a pas changé, mais l’utilité de chacun pour son détenteur a augmenté. Le recours à la monnaie est indispensable à la spécialisation des tâches qui valorise les talents, et à la constitution des épargnes finançant les outillages, lesquels multiplient l’efficacité du travail humain. C’est pourquoi « une monnaie honnête » (c’est-à-dire convertible en une marchandise-étalon) est le pilier central de ce système, où le pouvoir politique (le gendarme) n’intervient que pour réprimer les violations des engagements mutuels.
Dans les mois qui viennent, l’Institut Coppet diffusera régulièrement une sélection de questions-réponses extraites de Vivre Libres. Cette diffusion prendra la forme d’un feuilleton intitulé : Guide pour l’étude de la philosophie économique et sociale.
En voici le plan :
INTRODUCTION
L’objet de l’étude
Qu’est-ce que l’homme ?
Comment tout a commencé
Qu’est-ce que le droit naturel ?
La vie en société fonde-t-elle des droits innés ?
Comment passa-t-on de la prédation à l’échange ?
Quels sont les principes d’un droit humain ?
I) UNE ÉCONOMIE DE SERVICES MUTUELS
Qu’est-ce qu’une économie de services mutuels ?
Nature de la société économique
L’économie n’est-elle pas le champ de bataille des intérêts ?
L’homme est-il captif des phénomènes économiques ?
L’économie au service de qui ?
Peut-on déterminer un juste prix?
Le rôle de la monnaie commune dans une économie d’échanges
Comment des valeurs subjectives peuvent-elles se traduire en prix objectifs?
Peut-on donner un prix au travail comme à de simples marchandises ?
Qui a le droit de battre monnaie ?
L’or n’est-il pas trop rare pour servir de monnaie universelle ?
Le bimétallisme n’a-t-il pas échoué historiquement ?
La monnaie, vecteur de la coopération économique mondiale
Qui est souverain en matière de monnaie : l’État ou l’individu ?
Quelle expérience avons-nous d’une monnaie internationale ?
Comment en est-on venu à l’idée d’étalon monétaire ?
Un État n’a-t-il pas le droit d’édicter le cours forcé de son papier monnaie?
Le sterling-papier n’a-t-il pas été avant 1914 la véritable monnaie internationale ?
Pourquoi l’or servait-il aux paiements particuliers?
Les moyens de paiement supplétifs de la monnaie réelle
Comment peut-on développer les liquidités selon l’activité ?
La comptabilité bancaire ne peut-elle remplacer la monnaie ?
Quelles furent les utilités spécifiques de la monnaie métallique ?
Les crédits à découvert sont-ils ou non un « mal nécessaire ? »
Le binôme fondamental : initiative et coopération
Les institutions sont-elles des créations biologiques ou idéologiques ?
Le marché est-il effectivement un coordinateur général des activités ?
L’entreprise n’est-elle pas une enclave féodale ?
Comment « l’anarchie » des entreprises peut-elle aboutir à un ordre productif
La recherche individuelle du profit peut-elle servir la société ?
II) L’ÉTAT ET L’ENTREPRISE
L’État, structure sociale et agent économique
La cité politique n’a-t-elle pas priorité sur l’organisation économique ?
L’État n’est-il pas un producteur économique ?
Les services publics ne fournissent-ils pas au prix coûtant ?
L’État n’a-t-il pas la liberté d’intervenir dans la vie économique pour en corriger le cours ?
Notre époque n’a-t-elle pas besoin d’un nouveau droit économique ?
L’État ne doit-il pas protéger les intérêts de ses nationaux ?
L’État pourrait-il être géré comme une entreprise ?
L’État n’est-il pas seul capable de promouvoir les techniques de pointe ?
N’est-il pas normal que l’État oriente l’activité de la nation ?
Légitimité du profit et du commandement d’entreprise
L’entreprise individualiste est-elle moralement justifiable ?
La liberté d’entreprendre a-t-elle un fondement philosophique ?
Peut-on contrôler le profit ?
À qui les profits réinvestis appartiennent-ils en équité ?
L’entreprise ne doit-elle pas être démocratisée ?
Un système coopératif ne peut-il remplacer l’économie de marché ?
Les maladies du marché libre
Les dangers du marché ne sont-ils pas excessifs pour l’individu ?
Dans un État économiquement neutre, les faibles ne sont-ils pas exploités ?
La concurrence ne se détruit-elle pas elle-même ?
Les crises ne sont-elles pas le vice rédhibitoire d’une économie de marché ?
La spéculation n’est-elle pas la cause essentielle des crises ?
Le marché et les inégalités sociales
L’économie de marché n’est-elle pas condamnée par des profits trop faciles ?
L’entreprise n’a-t-elle pas des responsabilités sociales ?
Une économie axée sur le profit n’est-elle pas un danger pour l’environnement ?
L’économie de marché n’accroît-elle pas l’écart entre pays riches et pauvres ?
Le marché peut-il réduire les inégalités ?
III) LA QUESTION DE LA SOUVERAINETE
La souveraineté n’est-elle pas la liberté du groupe ?
L’idée de souveraineté n’a-t-elle pas permis d’étouffer les libertés ?
Une force publique mondiale ne pourrait-elle assurer la paix entre nations ?
La morale peut-elle être la même pour les nations et les individus ?
La prévoyance collective
Le corps social ne doit-il pas avoir une tête ?
Le dirigisme n’est-il pas insuppressible ?
Le dirigisme ne reprend-il pas des politiques archaïques ?
En quoi les objectifs et les procédés du dirigisme sont-ils nouveaux ?
Le problème des déséquilibres
Le gouvernement ne doit-il pas parer aux à-coups de conjoncture ?
L’inflation n’a-t-elle pas rendu nécessaire le dirigisme ?
La législation ne ratifie-t-elle pas dirigisme et planification ?
La fiscalité n’est-elle pas un instrument d’équité sociale ?
L’effritement de la liberté
Sommes-nous condamnés aux excès de pouvoir ?
La science ne peut-elle structurer une société rationnelle ?
Un dirigisme démocratique n’est-il pas le compromis souhaitable ?
Un État fort n’est-il pas indispensable au progrès social ?
Les institutions ne sont-elles pas là pour neutraliser le pouvoir de l’argent ?