Il y a d’abord Josephine Linc. (pour Lincoln) Steelson, qui a la stature d’un chœur grec à elle toute seule. C’est elle qui ouvre le roman:
Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis près de cent ans, j’ai ouvert ma fenêtre ce matin, à l’heure où les autres dorment encore, j’ai humé l’air et j’ai dit: « Ça sent la chienne. » (p. 11)
La ‘chienne’ dont parle Josephine, c’est la tempête dont ses vieux os pressentent l’arrivée plus sûrement que le plus précis des baromètres.
Il y a Keanu Burns, cet ouvrier parti 6 ans plus tôt pour travailler sur une plateforme de forage au large du Texas mais qui reviendra à la Nouvelle-Orléans après qu’un accident en mer ait coûté la vie à ses camarades. Comment ne pas y voir une préfiguration de la tragédie récente de BP dans le golfe du Mexique.
Il y a également les détenus de la Parish Prison que les gardiens laisseront à leur sort, enfermés dans leur cellule alors que la tempête déferle et que le niveau de l’eau monte sans cesse. On a pourtant pensé à évacuer les chiens de la prison. C’est tout dire:
Les chiens ont été bagués. Chacun va avoir son dossier et sera tracé. Ils sont montés dans ces camions douillets avec air conditionné et sont partis en direction de Houston. On les met à l’abri. C’est une opération rondement menée. Nous les avons vus démarrer, une longue colonne de quatre véhicules spéciaux, flambant neufs, vitres teintées et enjoliveurs immaculés. Ils ont quitté la prison dans un bruit calme de moteur, et les grilles se sont refermées. Nous restons là, nous, avec la certitude qu’il n’y aura pas de camion pour nous, et les murs de nos cellules rient parce que nous sommes moins que des chiens (p. 37)
Il y a enfin un pasteur illuminé (et donc dangereux) qui croira reconnaître l’intention de Dieu dans le déchaînement des éléments.
Rien ne manque à l’accomplissement complet du désastre dans la Nouvelle Orléans, cette ‘tombe humide’ comme l’appelait la vieille tante de Josephine. Les digues qui cèdent, les alligators qui investissent la ville, la population qu’on parque sans eau, sans aucun service sanitaire dans le Superdome. On repense à l’hystérie de Céline Dion sur les ondes américaines: ‘Take a Kayake’ a-t-on également envie de crier avec elle.
J’aime bien l’écriture de Laurent Gaudé. Son roman La porte des enfers m’avait fait une très forte impression. Il faut dire que cette histoire d’un père prêt à aller jusqu’aux enfers pour arracher son fils à la mort était particulièrement touchante. Par contre, j’ai un peu moins aimé Le soleil des Scorta. Cette histoire de famille, de terre et de sang campée dans le sud de l’Italie, pourtant couronnée par le Goncourt m’a laissée plutôt froid. Affaire de goûts sans doute.
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GAUDÉ, Laurent. Ouragan. Arles, Actes Sud, 2010, 188 p. ISBN: 9782742792979
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