Serait-ce la vengeance de la tribune du stade Art Déco de Jean Bouin, honteusement rasée par Delanoë il y a quelques mois ?
En tous cas, une magnifique tribune d'une autre nature est parue hier dans le Monde, avec Françoise Hardy comme signataire de tête. Elle anéantit les mensonges municipaux sur le fait que le déménagement des serres chaudes n'aurait aucune conséquence. Pour ceux à qui ce texte aurait échappé, nous le reproduisons fidèlement.
"Madame la ministre de l'environnement, madame la ministre des sports, et monsieur le ministre de la culture, nous souhaitons vous faire part de notre vive inquiétude concernant le projet d'extension sur le site doublement patrimonial des serres d'Auteuil, haut lieu architectural et botanique remontant à Louis XV, d'une valeur inestimable au plan parisien, national et même international. Certes, le projet présenté par la Fédération française de tennis et la Ville de Paris devant la commission départementale de la nature, des paysages et des sites de Paris le 24 novembre 2010 n'a reçu qu'un blanc-seing pour en poursuivre les études, jugées trop vagues.
Cependant, un certain nombre de propositions nous inquiètent. Tout d'abord, l'idée de construire un court de tennis de 5 000 places, à usage polyvalent, à quelques mètres seulement des aériennes serres de fer et de verre imaginées il y a cent-dix ans par un brillant élève de Baltard et d'Eiffel. Outre que l'on peut se demander ce qu'un stade de sport viendrait faire dans l'un des quatre pôles constituant le jardin botanique de la Ville de Paris (imaginerait-on un court de tennis de 5 000 places à Bagatelle ?), nous craignons qu'une telle construction ne dénature et ne défigure ce lieu conçu dans les moindres détails par leur créateur, Jean-Camille Formigé, homme d'art et de science.
Car il s'agit bien d'un site homogène, à l'ordonnancement équilibré entre espaces verts, arbres rares et collections, témoignant d'un savoir-faire accumulé depuis plus de cent ans par des générations de botanistes et de jardiniers pratiquant la biodiversité bien avant que le mot ne soit inventé. Nous sommes indignés par l'idée même que, pour construire un stade de sport polyvalent, on puisse envisager de démolir sans états d'âme une série de neuf serres chaudes (le couloir et des éléments des neuf "chapelles" sont d'origine) présentant chaque jour au public, aux élèves, aux scientifiques et aux admirateurs venus du monde entier quelque 10 000 plantes rares dont beaucoup sont en voie d'extinction, 38 d'entre elles ayant le statut de l'Union internationale pour la conservation de la nature.
Nous nous demandons ce que deviendraient les bégonias asiatiques (collection ayant reçu l'agrément du Conservatoire des collections végétales spécialisées, CCVS), les orchidées tempérées ou tropicales "qui sont au monde des plantes ce que l'homme est au règne animal", les pépéromias et les broméliacées (agrément CCVS) apparues il y a trente millions d'années, les caladiums avides de soleil (agrément CCVS), les fougères denses tapies dans l'ombre, dont le placyterium, originaire des forêts équatoriales, disparu de son milieu d'origine, toutes très fragiles, toutes savamment acclimatées dans leur serre. Sachant qu'aucune structure adaptée n'existe au Parc floral de Paris pour les accueillir, nous sommes convaincus que l'on assisterait aux prémices du démantèlement des collections.
Nous craignons aussi que les engins nécessaires aux éventuels travaux n'ébranlent ce fragile espace, notamment la quinzaine d'arbres rarissimes situés à moins de dix mètres des serres chaudes, dont les précieux Celtis koraiensis, le micocoulier de Corée, et Pistacia terebinthus, le pistachier térébinthe, tous deux d'une taille exceptionnelle. Quand on sait que les racines des arbres doivent pouvoir explorer le sol, parfois le sous-sol, souvent à plusieurs dizaines de mètres de distance de l'arbre, il y a de quoi trembler pour ces quinze spécimens, tout comme pour les huit autres, juste un peu plus loin, dont l'exotique Ailanthus giraldii, une rare variété de faux vernis du Japon. Car tous ces arbres ont une valeur historique.
Nous nous étonnons en outre que la Fédération française de tennis puisse envisager d'envahir, des semaines durant, un lieu ouvert toute l'année au public, dont le sol même, sur une surface totale de six hectares, est inscrit sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, ainsi que nombre de bâtiments et d'éléments décoratifs sortis notamment de l'atelier de Rodin. Nous nous étonnons que cette fédération puisse imaginer, le temps du tournoi, installer restaurants et espaces de relations publiques dans les magnifiques bâtiments de l'orangerie et du fleuriste, tout aussi inscrits sur l'inventaire des monuments historiques que les serres de Formigé. Comment ne pas se demander ce que deviendraient le matériel entreposé, les bureaux et les services sommés de dégager, et comment l'ensemble du jardin pourrait continuer à fonctionner ?
Comment ne pas s'affoler à l'idée que le parfait jardin à la française ou le poétique jardin à l'anglaise avec leurs "pelouses au repos", les parterres impeccables, les étroites allées bordées d'arbres plus rares les uns que les autres, tout un ensemble demandant attention et respect, soient soudain envahis chaque jour par quelque 40 000 spectateurs du tournoi, une foule d'environ 450 000 personnes au total, traversant le jardin de part en part, semant canettes et papiers, en particulier les 5 000 spectateurs du court de tennis amenés à sillonner le jardin toute la journée ?
Il y a plus grave : quand on connaît les lieux, il est facile de voir que l'ensemble du jardin et des serres d'Auteuil serait pris en tenaille entre le stade de tennis et le site actuel de Roland-Garros. Et nous craignons que peu à peu, d'année en année, le tennis gagne encore sur les espaces verts, et qu'à l'instar des serres chaudes les autres serres soient vidées de leurs collections, jusqu'à ce que la balle jaune ait fait place nette.
Bien sûr, nous comprenons que l'on puisse souhaiter conserver le tournoi de Roland-Garros à Paris, mais nous savons qu'il existe d'autres solutions d'agrandissement (couverture de la bretelle d'autoroute au nord, futur stade Jean-Bouin, etc.). Nous savons aussi que même en empiétant sur les serres d'Auteuil et autres sites voisins, Roland-Garros n'atteindrait que 13 hectares, espace bien inférieur aux trois autres sites du Grand Chelem, l'US Open et l'Open d'Australie s'étant délocalisés depuis longtemps sur 20 hectares.
Mise sur Internet le 13 octobre 2010, la pétition "Sauvons les serres d'Auteuil" a déjà recueilli plus de 30 000 signatures, chiffre qui augmente chaque jour. Autant dire que les signataires dépassent le cercle des riverains parisiens ou boulonnais et viennent de toute la France, et même du monde entier. Car après le Grenelle de l'environnement et la conférence de Cancun, les citoyens ont pris conscience de la valeur irremplaçable d'un patrimoine végétal vivant.
Alors nous vous demandons, madame la Ministre de l'environnement, madame la Ministre des sports, et monsieur le Ministre de la culture, s'il ne serait pas plus raisonnable, au lieu de dénaturer à jamais les serres d'Auteuil pour un tournoi se déroulant deux semaines par an, d'envisager un futur Roland-Garros en projet phare de ce Grand Paris voulu par le président de la République, auquel adhère le maire de Paris. Ainsi pourrait-on rendre aux serres d'Auteuil ce qui leur appartient : les 9 hectares sur lesquels s'étendaient leurs pépinières, annexées en 1928 pour la création du stade Roland-Garros.
Comité de soutien des serres d’Auteuil : Françoise Hardy, présidente d’honneur ; Michel Audouy, architecte-paysagiste ; Yves Delange, maître de conférences honoraire au Muséum national d’histoire naturelle ; Eric Joly, directeur du jardin des Plantes et de l’arboretum de Chèvreloup; Claude Nuridsany et Marie Pérennou, cinéastes ; Christophe Morhange, géomorphologue, professeur des Universités ; Jean-Louis Tissier, professeur de géographie à Paris 1-Panthéon/Sorbonne ; Gilles Clément, jardiner paysagiste. La campagne de signatures reste ouverte."