Petit laid
Chapitre 12
Lundi.
Lundi midi.
Je m’éveille péniblement. Je n’ai pas entendu Carine partir à la fac.
Une nouvelle semaine commence. Nouvelle sur le papier. Car pour moi, peu importe que nous soyons lundi, mercredi, ou dimanche. En fait, cela a de l’importance. La ville est plus morbide encore un lundi que n’importe quel autre jour de la semaine. Les boutiques sont fermées, les rues sont abandonnées aux jeunes désœuvrés et autres sans-domicile-fixe. Je suis comme tout le monde : je n’aime pas ces gens. Je ne crois pas que la raison de ma haine soit une certaine appréhension. Je n’aime pas ces gens parce qu’ils vivent aux crochets de la société et qu’ils constituent un poids mort pour l’économie branlante de notre beau pays. Parce que dans leur regard on lit toujours une sorte de reproche, d’accusation. Enfin et surtout, je ne les aime pas parce qu’ils sont laids et qu’ils puent.
La dernière raison me semble d’ailleurs suffisante : que celui qui n’a jamais ressenti un profond dégoût face à un clochard agonisant sur sa bouteille de rouge ou face à un jeune à casquette en survêtement Sergio Tacchini me jette la première pierre. Avant que je sois dilapidé, gageons que nos villes auront été nettoyées.
Je me décide quand même à arpenter les rues. Toujours les mêmes. Toujours dans le même ordre. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix.
Une vitrine attire mon attention. Une scène tragi-comique où des petits barils de Calgon, peints en bleu et vert, ont été assemblés pour former un robot. A en juger par ses yeux rouge Coca-Cola et sa bouche en boîte de camembert Président… Ce doit être un robot. Mais ce robot est placé dans une situation cocasse. Il semble avoir une ribambelle de boîtes de conserves Petit Jean qui lui colle aux fesses – je me base ici sur le postulat irréfutable que les deux fonds de bouteilles Badoit badigeonnés de gris-mauve font office de postérieur pour ce pantin ridicule…
Un enfant semble émerveillé devant ce triste spectacle – ne devrait-il pas être à l’école à cette heure là plutôt que de perdre son temps de la sorte ?
…
Mais soudain l’évidence me saisit en pleine réflexion : il s’agit d’une vitrine de Noël ! Un robot père-Noël !
Suis-je bête : j’aurai dû me douter qu’en ce début Novembre les gens n’allaient plus vivre pendant les deux mois à venir que pour cette sublime trouvaille qu’est Noël. Cette idée de n’offrir qu’un cadeau par an au lieu de 365 ne m’est finalement pas désagréable. Et qui plus est, difficile d’oublier cette joyeuse orgie païenne. Pratique pour quelqu’un comme moi qui ignore jusqu’à la date de son propre anniversaire.
Le vingtième siècle nous a apporté des robots Pères-Noëls. Je peux raisonnablement espérer des organizers Jésus ou des portables Vierge Marie pour le prochain millénaire. Je suis curieux de savoir à combien s’élève le montant de la licence d’exploitation.
Il va falloir faire jouer la concurrence.