Dynamique collective et influence écosystémique

Publié le 25 janvier 2011 par Michael Pierlovisi
  • Les occasions pour mettre à jour ce blog étant suffisamment rares (qui à parler de procrastination ?), je profite de quelques instants de répit afin de coucher par écrit une réflexion que je mène depuis quelques temps sur les mécanismes de l’influence et, plus précisément, sur l’importance de ce que j’appelle « l’influence écosystémique ».

Elle tenait jusqu’à présent plus de l’intuition que d’une véritable analyse mais ma récente intervention à l’ISCOM a été l’occasion de structurer un peu plus sérieusement ce concept. Celui-ci ne demande donc qu’a être enrichi de vos commentaires.

Elargir la notion d’influence

Cette idée part d’un postulat assez simple : la question de l’influence est aujourd’hui trop souvent réduite à sa définition la plus binaire, à savoir un « processus par lequel une personne fait adopter un point de vue par une autre ».

De là est nait le mythe de l’influenceur, ou plutôt du blogueur influent, capable par sa seule audience de nuire à la réputation d’une entreprise, transformer un produit en véritable best-seller ou, au contraire, porter coup potentiellement fatidique à son succès commercial.

Autant vous l’avouer tout de suite, je n’y crois pas. La notion d’influence me semble plus nuancée et ne s’exprime jamais aussi bien que lorsqu’elle est le fruit d’une dynamique collective et non d’une volonté individuelle.

Il existe à mon sens trois niveaux d’influence :

  1. L’influence conversationnelle en tant que capacité à générer de la conversation, de la visibilité, bref du bruit à partir d’un écrit, d’un commentaire ou d’une prise de position ;
  2. L’influence mimétique que l’on pourrait résumer par le pouvoir d’ initier un processus d’imitation (on se rapproche alors du concept de René Girard) qui, par la multiplication des conversations se rapportant au contenu initial peut favoriser l’apparition de déclinaisons, adaptations et/ou réinterprétations et ainsi donner forme à un meme (que j’ai déjà eu l’occasion de présenter) ;
  3. L’influence décisionnelle en tant que capacité à favoriser la prise d’une décision ou le passage à l’acte (d’achat par exemple).

Si les deux premiers niveaux d’influence peuvent être le fruit d’un individu, le troisième ne peut être issu que d’une dynamique collective. En effet, une personne peut (très) difficilement nous influer sur une décision ou un acte – tout au plus remettre en question votre décision – à moins d’être portée (et donc légitimée) par un groupe.

L’influence décisionnelle serait donc la somme de conversations (et donc des influences individuelles) synthétisée par une dynamique collective, l’influence écosystémique, et que l’on pourrait définir ainsi :

L’influence écosystémique est le fruit des conversations d’un écosystème initié par les acteurs des communautés qui le composent au sein d’un environnement donné.

La légitimité (et donc la puissance) de l’influence ainsi exprimée est déterminée par les attributs de l’écosystème qui en est à l’origine : sa qualité conversationnelle, sa visibilité ainsi que sa capacité de reprise et de pérennisation.

Dans cette optique, notre jugement sur un produit ou notre opinion sur une entreprise serait donc la somme des informations produites par les différentes communautés et synthétisée par l’écosystème auquel elles appartiennent.

L’écosystème comme catalyseur de l’influence

Le concept d’écosystème a été énoncé par Arthur George Tansley. Une petite recherche sur Wikipedia nous donne d’ailleurs la définition suivante :

En écologie, un écosystème désigne l’ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants (ou biocénose) et son environnement géologique, édaphique, hydrologique, climatique, etc. (le biotope). Les éléments constituant un écosystème développent un réseau d’échange d’énergie et de matière permettant le maintien et le développement de la vie.

Exrapolé aux relations entre les individus, et plus spécifiquement sur les médias sociaux, un écosystème pourrait donc se composer des 3 éléments suivants :

  1. L’environnement qui fait office de « terreau de développement » et que l’on peut assimiler à un environnement thématique et/ou idéologique (écologistes, passionnés de photographie, amateurs de voitures de sport, etc.) ;
  2. Les différentes communautés qui se développent au sein de cet environnement tendent à se distinguer par leur degré de spécialisation dans les thématiques qu’elles abordent. Il n’y a d’ailleurs pas de limite au degré de spécialisation de ces communautés, qui peuvent elles-même se décomposer en micro-communautés. Tout l’enjeu de leur identification consiste donc à définir le niveau de détail que l’on souhaite obtenir.
    (partisans des énergies renouvelables/défenseurs des animaux en voie de disparition, défenseurs de la photo argentique/amateurs d’appareils photos numériques Nikon, passionnés de tuning/nostalgiques des voitures de sport anciennes, etc.) ;
  3. Les acteurs qui composent ces communautés développent un réseau d’échange d’idées. Ils exercent à leur niveau, et selon leur capacité, une dynamique d’influence conversationnelle (que l’on peut rapprocher avec les 5 piliers de l’influence présentés par Cédric Deniaud) dont la fréquence et le contenu rythme le vie des communautés.

L’approche écosystémique requiert donc une approche macroscopique de son audience en élargissant son zoom afin de ne plus simplement se focaliser sur les conversations individus mais sur la synthèse qu’en font les communautés dans lesquelles ils interagissent et, plus largement, l’environnement dans lequel ces dernières se développent.

Bien évidemment, rien n’empêche les communautés de s’étendre à travers différents médias, développant ainsi un système relationnel plus complexe : une communauté nait à partir d’un forum de discussion puis se développe via un groupe Facebook, Flickr ou Youtube dédié. De même, rien n’empêche ses acteurs d’évoluer également en parallèle sur d’autres médias. Je partage ainsi le constat de Fred Cavazza - et que nous expérimentons tous au quotidien – les utilisateurs sont bien souvent actifs sur plusieurs plateformes sociales en même temps.

Quelque soit les médias utilisés, les membres d’une communauté se retrouvent autour d’un centre d’intérêt commun et de règles (explicites ou coutumières) reconnues et acceptées par tous. Le niveau de développement de ces communautés peut même favoriser l’émergence d’un système de valeurs voir de codes, langages et expressions qui leurs sont propres (comme pour 4chan par exemple).

Nos fameux leaders d’opinion peuvent donc exercer une certaine capacité d’influence en favorisant l’émergence de conversations et/ou polémiques au sein de leurs communautés. Cependant, pour donner naissance à une véritable influence décisionnelle, elle devra être assimilée par les communautés annexes, digérée, débattue voire parfois réappropriée afin d’être synthétisée et portée par une dynamique collective.

La puissance de cette dynamique et sa légitimité me semble d’ailleurs conditionnée par 4 éléments propres à chaque écosystème :

  1. Sa qualité conversationnelle
    Elle est déterminée par le degré d’interaction entre les communautés et la qualité des interconnexions entre leurs membres. Plus celle-ci est élevée plus l’information pourra circuler librement et rapidement afin d’être relayée et enrichie ;
  2. Sa capacité de reprise et de pérennisation
    Les communautés se contentent-elles simplement de relayer les informations et de les commenter ou effectuent-elles un véritable travail de création de contenu additionnel ? ;
  3. Sa visibilité
    Un écosystème dont les communautés bénéficient d’une forte visibilité (auprès d’autres écosystèmes ou, tout simplement, sur les moteurs de recherche) voire d’une certaine aura médiatique aura plus de facilité pour exercer sa dynamique collective.

Lorsque j’essaye d’expliquer (plus) simplement de quelle manière cette influence écosystémique peut s’exercer, l’exemple le plus flagrant – et peut être le plus facile à appréhender – est celui de l’iPhone.
Au delà le campagne publicitaire massive d’Apple, un potentiel acheteur prêt à céder à la tentation peut invoquer plusieurs raisons pour motiver son achat. Et en y regardant d’un peu plus près, on peut y voir la marque de la dynamique collective qui s’exerce sur son jugement : « les caractéristiques techniques de l’appareil sont vraiment intéressantes » (communautés high tech/mobile), « il existe de très nombreuses applications » (communautés de développeurs et éditeurs de logiciels), « je peux le jailbreaker et installer d’autres applications » (communautés de hacking), « il existe de très nombreux accessoires » (communautés de test/vente de périphériques), « le mobile est fiable » (communautés de fans) ou encore « j’en veux un parce que tout le monde se doit d’en avoir »  (communautés lifestyle).

Si ces communautés ont un point commun (un environnement donc) – à savoir l’iPhone – leurs angles d’approche sur le produit différent suivant leur centres d’intérêts. L’influence écosystémique qui s’exerce est donc la somme de tous ces faisceaux d’information qu’un acheteur potentiel va réunir au fil de ses recherches et de ses conversations avant de prendre sa décision.

Quelles conséquences ?

Intégrer cette notion d’influence écosystémique dans une campagne de communication implique un certain nombre de conséquences :

Il est impératif de se livrer au préalable à un véritable travail de recherche et d’analyse : cartographier les communautés, comprendre ce qu’elles produisent et la manière dont elles interagissent entre elles mais également en détecter les principaux leaders d’opinion avant de se lancer dans l’opérationnel ;

Un travail de communication auprès d’un écosystème implique un véritable effort dans la production des contenus, dans leur adaptation et dans les moyens de le diffuser. L’objectif est de délivrer le bon message, de la bonne manière et suivant des angles pertinents afin d’être capable de susciter l’intérêt et favoriser la propagation du message. Cela va donc bien au delà de la simple campagne de Online PR ciblant un maximum de bloggeurs avec un communiqué de presse par email à peine déguisé afin d’espérer quelques retombées ;

Il s’agit d’une activité sur le moyen/long terme qui nécessite un véritable travail de sensibilisation et de pédagogie en amont auprès de l’annonceur. Cela requiert de la rigueur, tant dans la préparation que dans la conception des messages, mais également de l’organisation et une définition claire des objectifs que l’on souhaite atteindre.

Voici donc en quelques (longues) lignes les fondements et les modes d’action de cette influence écosystémique. Comme évoqué en introduction, il s’agit encore d’un concept relativement brut qui ne demande qu’à être affiné. N’hésitez donc pas à me faire part de vos remarques et commentaires…