L’année derničre, l’avionneur franco-italien ATR a vendu 80 appareils, un résultat enviable qui lui a permis de renforcer son carnet de commandes, sachant que ses livraisons ont porté sur 50 avions. Une situation a priori enviable, confirmée par un chiffre d’affaires de 1,35 milliard de dollars qui a permis de dégager une marge trčs convenable de 9%. En d’autres termes, les temps difficiles sont oubliés.
Souvent, on est tenté de qualifier ATR d’intervenant de niche, au męme titre que la branche biturbopropulseurs du rival canadien bombardier, héritier de la lignée de Havilland Aircraft. Cette notion de Ťnicheť a quelque chose de péjoratif, ce qui explique que ce vocable soit soigneusement banni de la terminologie utilisée de part et d’autres des Alpes. Filippo Bagnato, DG de la société, vient d’ailleurs de souligner que le marché accessible ŕ cette catégorie de matériels est estimé ŕ 3.000 appareils au fil des deux prochaines décennies. Sachant que Bombardier est distancé par son concurrent, permettant ŕ ATR de faire la course en tęte, les perspectives incitent plutôt ŕ l’optimisme dans le cadre de ce duopole.
Niche ou pas, reste ŕ savoir s’il est possible de construire un avenir ŕ long terme sur de telles bases. Une telle question métaphysique n’est visiblement pas ŕ l’ordre du jour, les qualités intrinsčques d’avions Ťŕ hélicesť ŕ 70 places étant renforcées au fil des rebondissements pétroliers. Le prix du baril évolue lentement vers les 100 dollars, une tendance qui, bien sűr, permet ŕ ATR d’afficher une certaine forme de satisfaction: le malheur des uns fait le bonheur des autres, męme en aviation.
Reste ŕ faire preuve de réalisme, ŕ tenter de regarder au-delŕ de l’horizon. Il y a longtemps, c’est-ŕ-dire au moment de l’apparition des premiers jets régionaux, ATR n’a pas été en mesure de prendre le train en marche. Idéalement, les biturboprops auraient dű ętre rejoints par des appareils ŕ réaction, ce qui aurait permis aux Européens de passer ŕ la vitesse supérieure, face aux grandes ambitions de Bombardier et du brésilien Embraer. Mais il n’en fut rien, pour cause de divergences de vues des actionnaires.
Le premier ŕ dire non fut British Aerospace, partenaire éphémčre qui, déjŕ, se préparait ŕ opérer un repli stratégique, confirmé par la suite par l’abandon pur et simple du petit quadriréacteur BAe-146. Puis l’Italie, ŕ son tour, exprima de sérieuses réticences, le groupe Finmecanica, maison-mčre d’Alenia, refusant de s’engager sur la voie de l’ATR 82. L’idée était pourtant séduisante dans la mesure oů il s’agissait d’un projet minimal, un Ťsimpleť changement de type de propulsion, rapidement tombé dans les oubliettes. Aujourd’hui, le temps des regrets est évidemment dépassé.
A contrario, ATR est en mesure de se concentrer sur les atouts des biturbopropulseurs, sans concessions, sans avoir ŕ ménager qui que ce soit. Ils ont été modernisés au fil des années, le nouveau modčle 72-600 retient l’attention et bénéficie des faveurs des exploitants. Reste ŕ effacer une fois pour toutes les ultimes préjugés véhiculés tout ŕ la fois par les passagers et les compagnies. Le confort des biturboprops, y compris le niveau sonore, se compare favorablement ŕ celui des petits jets (ce qui n’était pas le cas initialement), l’image d’avions ŕ hélices n’est plus synonyme de formule technique dépassée et, au plan économique, la formule laisse loin derničre elle tous les biréacteurs.
Reste ŕ résoudre un problčme d’importance cruciale: les compagnies demandent au fil des années une capacité accrue, elles exploiteraient volontiers des appareils ŕ 90 places, et non plus 70. Un projet correspondant ŕ ces exigences nouvelles se trouve en bonne place dans les tiroirs d’ATR mais il tarde ŕ se matérialiser. On devine que, côté EADS, ces derničres années n’étaient pas propices ŕ des investissements nouveaux mais, aujourd’hui, l’horizon s’éclaircit. Les Italiens ne se sont pas exprimés récemment sur ce thčme mais personne n’ignore qu’ils ont envisagé de racheter les parts de l’autre partenaire pour devenir seuls maîtres ŕ bord. S’ils n’ont pas changé d’avis, cela revient ŕ dire qu’ils continuent de croire aux mérites des avions régionaux. Il ne manque plus qu’un calendrier de travail qui convienne aux deux parties pour passer aux actes.
Pierre Sparaco-AeroMorning