Je l’avais vue du coin de l’oeil à Bâle, mais trop occupé de nouvelles découvertes, j’étais passé trop vite sur le stand de la galerie Helly Nahmad de Londres. Passant l’autre jour dans Cork Street sous une pluie glaciale, j’ai eu l’occasion idéale de me racheter (c’est jusqu’au 15 Février). Il n’y a là qu’une quinzaine de tableaux de Picasso des années 60 (à vendre pour la plupart, d’ailleurs entre 5 et 50 millions de dollars ou de livres, je ne sais plus, qu’importe), trois fois rien par rapport à ce qu’un grand musée pourrait montrer sur ce thème. Mais cette petite exposition est un vrai plaisir. A part deux Déjeuners sur l’herbe, toutes les autres toiles, homonymes, sont une déclinaison du face à face entre le peintre et son modèle, toujours sur le même mode : le peintre à gauche, le modèle alangui sur un canapé, une tête sculptée derrière lui. On va d’un tableau à l’autre, comparant les palettes (ci-contre), les visages de l’un et de l’autre, les seins (ci-dessus), les canapés, les chevalets : comme un catalogue (lequel reprend et juxtapose d’ailleurs ces détails), une recherche incessante, une interrogation perpétuelle sur ce qu’est la peinture. Tout y est tension, opposition, entre les personnages (homme artiste, femme modèle), mais aussi entre les lignes, les couleurs, les vides et les pleins. Sur la plupart des tableaux, la toile que peint le peintre n’est vue que par sa tranche, donc la représentation est invisible; quelques tableaux laissent voir cette toile secondaire, mais les formes y sont sommaires, indistinctes, tout sauf un tableau représentant le modèle.
Les photos, qui proviennent du catalogue, seront retirées à la fin de l’exposition. © Succession Picasso. Le corps féminin est un détail du “Peintre et son modèle”, 8 avril 1963. La palette est un détail du “Peintre et son modèle”, 5 mars-13 juin 1963.