Pascal Nègre, le fringant patron d’Universal Music France, gagne trop bien sa vie, et il juge probablement que l’industrie culturelle française baigne trop dans le bonheur, les barres d’or pur et les soirées mousse ; à tel point qu’il a décidé, dans un geste audacieux, de se mettre à dos plus de la moitié de sa clientèle. Il est comme ça, le gars Pascal : rien de tel que conchier des millions de consommateurs, ça lui file la patate !
Et pour arriver à agacer rapidement autant de personnes d’un coup, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère :
« Le modèle du gratuit pose un problème. Je pense qu’il faut le restreindre, je pense qu’il faut le dégrader, et le dégrader cela veut dire qu’il faut beaucoup plus de pub qu’aujourd’hui, je pense qu’il faut peut-être réfléchir sur limiter le nombre de fois où vous pouvez écouter la même chanson. Quand on voit des gens qui écoutent 35 fois la même chanson, vous vous dites à un moment donné que le gars, il faut qu’il aille acheter le titre. »
Voilà, c’est dit : pour lui, c’est bien simple, écouter de la musique gratuitement, c’est problématique, et les plateformes qui offrent un tel service devraient le dégrader. Il est vrai qu’en matière de musique dégradée, Pascal Nègre et Universal Music en connaissent un rayon ; depuis les années qu’il sévit, on n’a guère constaté d’amélioration dans la soupe clairette et insipide qu’il nous refourgue, à grands renforts de publicité agaçante, sur des médias moisis qu’il a d’ailleurs bien du mal à dépasser.
Car pour Pascal, la musique ne peut pas, ne doit pas être gratuite !
Il est impensable qu’un système qui lui a rempli le ventre sur les trente dernières années, entièrement basé sur la vente de galettes difficiles à reproduire, ne puisse pas perdurer encore trente nouvelles années.
Un système qui se base sur le mécénat, sur le don naturel des fans, sur la vente d’un « service musical concret » comme, par exemple, des concerts live, des CD personnalisés, bref, toutes ces solutions éprouvées par des types comme Trent Reznor et qui montrent tous les jours qu’on peut se passer des majors et de leurs fringants présidents lobbyistes, ce genre de système, pour un gars comme Pascal, c’est de la science fiction, c’est du jamais-vu , jamais-entendu, jamais-imaginé ; ça tient plus du bad trip sous acide que d’une solution viable pour les artistes.
En vertu de quoi, le brave Pascal, petit VRP consciencieux d’une industrie au business model agonisant, continue la retape pour ses idées poussiéreuses sur le mode Je Vous Prends Pour Des Cons En Cinémascope Et En 3D :
« Restreindre le nombre d’écoutes gratuites n’est pas une régression, c’est la promotion du système de l’abonnement et donc de l’écoute illimitée.»
Eh bien moi je dis : banco, Pascal ! Boutons l’écoute illimité des radios hors de France, que dis-je, hors du Monde ! Interdisons à ces mêmes supports la diffusion d’un titre plus de quatre fois ! Fini les couinements épileptiques de Christophe Maé ! Terminé les promotions lamentables de soupe industrielle à la Britney Spears ! Liquidées, les agressions auditives honteusement labellisées R’n'B qui font se retourner James Brown ou Ben E. King dans leurs tombes !
En attendant que cette saine idée lui traverse l’esprit, Pascal s’est donc méticuleusement acharné à bousiller sa clientèle : plutôt qu’en comprendre les ressorts et les motivations, il nous a donc doctement expliqué que raquer très cher pour avoir le droit d’écouter sa tambouille était parfaitement logique.
Manque de bol : la moitié des internautes français serait des pirates et ce n’est certainement pas l’attitude consternante de notre fringant patron qui va les inciter à rentrer bien vite dans le droit chemin.
Ce n’est pas non plus la terrrrrible menace que représente la HADOPI, et dont, pourtant, le petit Pascal se faisait le héraut, qui va pouvoir y changer quelque chose : tout le monde a rapidement compris que le tigre avait les dents limées, les griffes en carton et la peau sur les os. Mieux : tout semble indiquer que les gesticulations de nos frétillants incompétents de l’interweb ont dopé le marché de la vidéo pirate !
Quant aux DRM (protections numériques du droit d’auteur mal boutiquées), on ne peut pas dire que leur application emporte l’adhésion des foules : dans les jeux vidéos, Ubi Soft en a fait l’amère expérience, et dans le domaine du livre numérique, la FNAC devra elle aussi très probablement faire marche arrière tant la grogne est audible jusqu’ici : non seulement, les DRM ne protègent pas les contenus, mais ils incitent (comme la HADOPI) au contournement et au piratage par leur aspect frustrant et inamical. D’ailleurs, qui n’a pas fini par décharger rapidement un film pour éviter de se cogner la pub et les 3’30 d’avertissements idiots du FBI et des autorités compétentes qui précèdent maintenant toute vidéo légale, et qu’on ne peut pas passer nom d’une pipe en bois de DVD légal de merde ?
En réalité, on peut se poser la question : combien d’échecs cuisants ces crêpes marketing devront se prendre en pleine surface pour comprendre que leur business model ne fonctionne pas ? Combien de branlées magistrales, combien de moqueries méritées devront-ils subir pour qu’enfin, ils laissent tomber le principe même d’une protection sur des biens culturels numériques ?
Car oui, messieurs, oui mon brave Pascal, votre job, tel qu’il existe, va disparaître : vous allez peut-être continuer à vendre des artistes et leurs performances live, mais non, vous ne vendrez plus « de la musique », « des images », mais autre chose dont une majeure partie reste encore à inventer.
Au fur et à mesure que les informations s’échangeront de plus en plus vite, les empires que vous avez construits devront s’adapter ou s’effondrer sous leur propre obsolescence, et il n’y a rien que vous puissiez faire contre cela.
Mais je ne m’inquiète pas pour vous, messieurs. Et toi, Pascal, tu es suffisamment roublard : tu trouveras ta voie, et s’il faut, demain, crier haro sur le DRM, tu sauras retourner ta jolie veste à rayures de maquereau albanais et te joindre sans honte aux chœur des brailleuses !
Et pour clore ce petit billet, je ne peux pas résister à l’envie de vous faire découvrir (ou redécouvrir) cette entêtante chansonnette consacrée à celui qui veut, prochainement, faire un véritable G20 sur les droits d’auteurs, chansonnette (Hultime!) qui, j’en suis sûr, vous incitera à aller voter en 2012 :