Sarkozy, indigné
Ces annonces furent rares, au point qu'on pouvait s'interroger sur l'intérêt, autre qu'électoral, d'une telle conférence de presse. On savait déjà tout, et le seul suspense résidait dans les questions imprévues que l'on attendait sur la politique intérieure et un éventuel mea-culpa sur le silence et l'attentisme français en Tunisie.
« Je remercie ceux qui se sont levés... ce n'était pas obligatoire ... J'y suis sensible malgré tout » commença-t-il. La salle comptait quelques 200 ambassadeurs étrangers. Comment imaginer qu'ils resteraient assis quand le Monarque entre dans la salle ? « Pour la première fois, le corps diplomatique est convié à une conférence de presse... » on note le changement. Sarkozy rend immédiatement un hommage très opportun au photographe français décédé en Tunisie (« aujourd'hui, je pense à sa famille, à ses proches, à tous ceux qui l'aimaient ... (...) Il ne faisait rien d'autre que son métier de journaliste, un métier difficile, exigeant, qui demandait de la passion et du courage ») et aux deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, détenus depuis 391 jours.
« Au cours des deux derniers, j'ai passé beaucoup de mon temps à consulter, consulter des chefs de gouvernement bien sûr, mais également des organisations internationales, des syndicats, des représentants des entreprises, des économistes, des chercheurs, d'anciens chefs d'Etat et de gouvernements étrangers ... » Fichtre ! Quels efforts ! Si Sarkozy n'était pas là pour commenter les débats sur son dernier budget, les rapports sur la précarité des familles monoparentales ou les difficultés de l'accès au soin, sur la hausse du chômage ou la nouvelle augmentation de l'insécurité violente, et bien... c'est à cause de tout ce travail diplomatique intense. On attendait donc, on salivait donc à l'avance des formidables propositions qu'il allait enfin dévoiler ce matin. Que de faux espoirs ! Comme s'il avait mesuré que sa tâche serait impossible et qu'il avait tout à perdre à promettre l'impossible une fois de plus, le candidat Sarkozy resta ... prudent. Tout juste se permit-il d'enfoncer allègrement quelques portes ouvertes.
« Je tire de ces consultations le message suivant : si le G20 veut rester légitime, il doit demeurer efficace » conclue-t-il. Sarkozy joue à Kennedy, il ne parle pas nouvelle frontière mais nouveau monde. Il nous livre un petit cours de mondialisation expresse : « Depuis la fin des années 1990, l'équilibre du monde a changé. Le poids de la Chine a plus que doublé et le pays va devenir la première puissance économique devant les Etats-Unis.» Il dénonce l'accélération des crises bancaires et financières (125 crises bancaires recensées en 40 ans), la volatilité des marchés financiers, énergétiques, ou agricoles (« le prix des matières premières agricoles à fin décembre 2010 a dépassé les pics atteints en 2008, année des émeutes de la faim »), la spéculation (qui contraint les organisations de l'aide alimentaire à acheter au prix fort), les déséquilibres mondiaux. Il joue au savant, en expliquant que la spéculation sur les matières premières n'est que la conséquence de la « financiarisation » de l'économie. Il insiste sur sa volonté de défendre la politique agricole commune qui permettra à « la France d'être plus forte.» alors que « les besoins de production agricole devront augmenter de 70% d'ici à 2050. C'est vraiment pas le moment de démanteler la politique agricole commune ! » Le candidat s'indigne à répétitions devant tant de désordres. Il retrouvait ses accents gauchistes de 2009, les promesses en moins. Sarkozy n'eut même pas peur de grossir son agenda de président du monde. Ainsi, les G8 et G20 s'attelleront aussi à l'Internet et aux droits d'auteur.
Sarkozy, sans idées
Face à tous ces chambardements, la réponse sarkozyenne, à force d'être prudente, est simplissime, une sorte de « y-qu'à/faut-qu'on » de bon aloi. Il n'y a qu'à réformer le système monétaire international (SMI), mais en préservant le « rôle éminent » du dollar et « sans revenir à un système de change fixe » ; il n'y a qu'à instaurer une « taxe sur les transactions financières » et adopter « un code de conduite en matière de gestion des flux de capitaux », mais ... sans imposer de contrôle des capitaux ; il n'y a qu'à adopter « un socle de protection sociale universel », mais, rassurez-vous, ce dernier existe déjà, c'est celui, très général et déjà si peu respecté, de l'organisation internationale du travail. Quels sont donc les moyens que Nicolas Sarkozy se donne pour parvenir à de tels résultats ? La multiplication des réunions interministérielles, avant les G8 (en mai) et G20 (en novembre), et des propositions, peu abouties, pas détaillées, sur tous ces sujets. Sarkozy ne promet rien, pas même de donner l'exemple (en matière de taxe bancaire par exemple, où la maigrichonne taxation votée contre les traders en 2010 ne sera que temporaire).
Au final, Sarkozy est apparu enfin modeste, à l'image du portrait qu'il veut donner de lui aux Français. « L'ordre du jour et l'agenda ont fait consensus. Les solutions ne font pas consensus, ça c'est certain... On a beaucoup progressé sur la méthode et sur l'agenda, il nous reste bien sûr à progresser sur les solutions » s'excuse-t-il avant de donner la parole à la presse.
G-vain
Puis vint le temps des questions, sans droit de suite ni agenda national. Sarkozy reprécise : que des questions sur le G20 et le G8 svp. La première question passa outre l'interdit présidentiel : « comment peut on faire avancer la bonne gouvernance quand les jeunes dans le Maghreb ou au Proche Orient demandent des emplois, et quand il y a un fossé entre la corruption des dirigeants et les détournements de fonds publics ? » Sarkozy reste calme et botte en touche. « Madame Lemaresquier, ... j'ai organisé la conférence de presse avec deux thèmes, et excusez moi parce que sinon on va partir dans tous les sens...»
N'a-t-il pas l'impression de travailler sur des sujets déconnectés des réalités quotidiennes ? « le monde est un village.» Arnaud Leparmentier, du Monde, lui demande quels résultats il attend en matière agricole. Sarkozy reste, encore une fois, prudent. Il se répète sur l'exigence de transparence des marchés, et sur l'état des stocks (« je ne dis pas que c'est facile »). Et à quoi ont servi ses multiples consultations depuis des mois : à caler d'autres réunions ! Sur l'utilité de DSK au FMI, petite pique électorale, Sarkozy joue l'humour : « Le FMI ne se réduit pas à la personne ». Un journaliste allemand mentionne une étude européenne prochainement publiée qui démontrerait que la spéculation n'entraîne pas une hausse des prix agricoles. « Je recommande de publier cette étude le 1er avril »
Plus tard, une journaliste de France24 critiqua la vacuité des ambitions françaises : le G20 ne sera-t-il pas une simple G2 Chine/Etats Unis ? Sarkozy contient son propos.
Ivan Levaï regretta lui l'absence du désarmement dans cette feuille de route internationale. « Après avoir répondu sur le G20 qui ne servait à rien, voici qu'on me demande de répondre au G20 qui doit répondre à tout ? » Pour Sarkozy, il faut rester concentrer : « Si on veut tuer le G20, on lui fait prendre des décisions sur des sujets qui sont du ressort du G20. (...) Il faut résister à l'idée d'un directoire mondial qui n'a pas lieu d'être.»
Un journaliste de France 3 se demande quels résultats concrets est-on en droit d'espérer de cette présidence française des G20 et G8. Pas grand chose. Sarkozy reste modeste : « je suis incapable de vous répondre.(..) On essayera de faire au mieux. (...) Nous allons à cette présidence avec beaucoup d'humilité mais beaucoup d'ambitions.»
Réserves africaines
Clôturant cette première séquence de questions/réponses, Sarkozy replonge dans un discours, cette fois-ci sur les autres sujets internationaux du moment. Il lit, avec application, un texte sur les 4 obstacles qui pourraient troubler l'action diplomatique de la France. Sur le terrorisme, « la France est la cible du terrorisme. (...) A chaque fois qu'un Français est assassiné par des terroristes, la détermination de la France à lutter contre le terrorisme s'en trouve renforcée.» La fermeté et le courage, toujours.
Sur la Côte d'Ivoire, elle « a un seul gouvernement légal et légitime ». Pour le Liban, « la France veut préserver la miraculeuse diversité du Liban. (...) Les Libanais ont le droit à l'indépendance de leur pays. »
En Tunisie, « c'est un peuple frère qui a décidé de reprendre en main son destin.» Sarkozy dresse quelques couronnes à son ancien allié Ben Ali (l'émancipation des femmes, l'emergence de classes moyennes, la prospérité), mais, reconnaît-il, « il y avait une désespérance, une souffrance dont (...) nous n'avions pas pris la juste mesure.» Sarkozy lâche un premier mea culpa, et évoque « une révolte morale que nourrissait une insupportable corruption.» Il promet de et l'accès de la Tunisie au statut de partenaire avec l'Union européenne, et demande un nouvel élan à l'Union de la Méditerrannée.
Laurent Joffrin s'empare du micro. Le patron de Libération se demande si Michèle Alliot-Marie a encore sa place au gouvernement après sa proposition d'aide à la police tunisienne, puisqu'il « s'agissait d'aider Ben Ali à rester en place.»Sarkozy se maîtrise. Surtout, pas de polémique. Il concède un mea culpa. « Ce sont des affaires extrêmement difficiles.» Ou encore : « vous comprendrez que le président de la République français, en charge des intérêts de la France, doit tenir compte de l'histoire.» « On ne peut pas parler d'un pays avec la même objectivité » quand il s'agit d'une ancienne colonie. « Je revendique une certaine réserve ». Ensuite, le leader de Sarkofrance rappelle que la France a toujours protégée l'opposition tunisienne, sauf les islamistes (« qui sont à Londres, comme vous le savez »). Enfin, Sarkozy rappelle les rapports de ses prédécesseurs avec le régime en place précédemment en Tunisie, « à moins qu'on ne discute dans le monde » qu'avec les démocraties. Sur l'intervention de sa ministre des affaires étrangères, « la forme a pu porter à polémique, j'essaie de me tenir éloigné des polémiques.» Il prévient : « Ça dessine l'image d'une France qui donnerait des leçons.» Il répète ensuite : « Sans doute avons nous sous-estimé, nous la France, la volonté de liberté du peuple tunisien. » Sur le risque islamiste, il répond un peu plus tard « c'est un sujet de préoccupation.» Plus tard encore, il ajoute : « Dire que nous sommes restés silencieux devant les morts, je ne pense pas que cela soit exact. C'est la liberté de la presse. »
Otages, ô rage
Sur les otages, un journaliste de la Voix du Nord lui demande ensuite s'il regrette l'échec du sauvetage des deux Français au Niger voici 3 semaines. Sarkozy devient encore plus grave : « commençons à mettre un genou à terre, et on ne s'abaissera jamais.» « La faiblesse comme argument politique et comme positionnement, elle ne vous ai jamais pardonné.»
Quand Michael Darmon (iTélé) dénonce l'échec de l'union pour la Méditerranée, Sarkozy se défend : pas question de donner des leçons « aux peuples ». « Comment ouvrir l'Orient aux réalités du monde moderne ? » Attention ! Le Monarque dérive, on croirait entendre son conseiller Henri Guaino et ses délires passés sur l'homme africain. Sarkozy se refuse quand même de fermer la porte du dialogue aux dictatures. « Si la question était simple, ça se saurait.» Sur le rapprochement avec la Syrie, « la France se sert de cette amitié pour dire à la Syrie que le Liban est un Etat indépendant et doit le rester, et que le tribunal pénal international doit faire son travail.»
Sur le sort des otages, Sarkozy « comprend parfaitement » que les amis ou les comités de soutien « perdent leur sang-froid. » Les intéressés apprécieront : « moi, je ne peux pas parler. » Un peu plus tard, tout empreint de gravité, il complète : « Moi, j'ai une différence, c'est que je suis en charge des responsabilités.»
Une journaliste allemande provoque l'hilarité générale en demandant si la France serait « prête à accueillir le président algérien Bouteflika si la question se pose? » « Vous voyez l'exploitation qui pourrait être faite de ma réponse » répond-il. Pour sa dernière question, sur les sanctions éventuelles contre un Iran doté de l'arme nucléaire, Sarkozy a évolué : « sur l'Iran, la France est extrêmement réservé sur l'option militaire.» Il y a deux ans, certains s'interrogeaient sur le sens qu'il fallait donner à l'inauguration d'une base militaire française dans le Golfe Persique, un investissement imprévu au budget de la Défense.
Au moins, Nicolas Sarkozy trouve-t-il quelque réconfort dans la mondialisation : « dans le monde aujourd'hui, personne ne peut rester contre la communauté internationale.»
Il termine. La salle applaudit.
La prestation a duré 1H44.
Pour rien.