par Serge Slama
Le tribunal administratif de Rouen a notifié hier à Me Cécile Madeline la décision du 20 janvier 2011 annulant une reconduite à la frontière prise sur le fondement de l’article L.511-1 II, 8° du CESEDA car cette disposition n’est pas compatible avec les dispositions de l’article 7 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 en l’absence de délai de départ volontaire de 7 jours assortissant cette décision.
Il s’agit de la première décision d’une formation collégiale appliquant directement cette disposition inconditionnelle et précise de la directive “retour”. Le TA de Montreuil doit aussi rendre prochainement une décision en formation collégiale.
Rappelons que dès le 26 décembre nous publions sur Combats pour les droits de l’homme un billet intitulé “Le Noël des sans-papiers : invoquez directement la directive “retour” et la charte des droits fondamentaux… (Joyeux Noël M.Hortefeux! Des portions entières du CESEDA ne sont plus applicables ce 25 décembre 2010″. Nous soulignions que, en application de la jurisprudence Perreux, il est possible d’invoquer depuis le 25 décembre directement les dispositions inconditionnelles et précises de cette directive à l’encontre des mesures d’éloignement (APRF, OQTF) et de privation de liberté (assignation à résidence, prolongation de rétention administrative) couvertes par cette directive - tant que le Projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité ne sera pas adopté et la loi entrée en vigueur (probablement en avril 2011). Il est également possible de faire constater la contrariété de dispositions du CESEDA aux objectifs fixés par la directive. Depuis nous rendons compte régulièrement des décisions rendues, sur ce fondement, par les tribunaux administratifs et les juges de la liberté et de la détention (JLD) sur une page spéciale de CPDH :”Les suites du “Noël des sans-papiers”: invocabilité de la directive “retour” du 16 décembre 2008 depuis le 24 décembre 2010 “
L’article 7 de la directive prescrit que la décision de retour (comme une APRF ou une OQTF) doit prévoir “un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire” (7-1). Il est possible néanmoins de ne pas accorder ce délai s’il existe “un risque de fuite” ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant “manifestement non fondée ou frauduleuse” ou si l’étranger constitue “un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale” (7-4). Par ailleurs, en cas de nécessité, le délai de départ volontaire doit être prolongé “d’une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l’existence d’enfants scolarisés et d’autres liens familiaux et sociaux” (7-2).
Dès le 10 janvier 2011, Me Christophe Pouly a obtenu du juge de la reconduite du TA de Paris des décisions faisant droit à ce moyen tiré de la violation de l’article 7 de la directive retour (les décisions n’ont toujours pas été notifiées!). Depuis le 12 janvier 2011, le TA de Lille annule également les APRF pour lesquels ce moyen a été soulevé. 4 juges de la reconduite différents ont adopté la même position.
Dans la présente affaire le rapporteur public, M. Coudert, avait conclu au rejet car selon son analyse les dispositions de l’article 7 ne sont pas directement invocables car elles seraient conditionnelles. Rappelons d’une part, que si selon l’arrêt Perreux, la disposition doit être “inconditionnelle et précise” pour l’invoquer directement en l’absence de texte de transposition ou faisant obstacle. Mais là il existe un texte - la disposition du CESEDA régissant les APRF. Or en réalité, on peut une fois passé le délai de transposition, demander à ce qu’une disposition législative ou réglementaire contraire aux objectifs d’une directive soit écartée. C’est le cas en l’espèce pour l’absence de délai de départ volontaire de 7 jours pour les APRF. D’autre part, même en invocation directe, la disposition de l’article 7 est autosuffisante. Elle prévoit de manière précise la nécessité de prévoir un délai de départ volontaire d’au moins 7 jours. En outre, elle ne conditionne pas l’existence de ce délai mais prévoit uniquement des exceptions dans les hypothèses envisagées au §4 (risque de fuite, etc.). On est dans une logique “principe/ exception” et non une logique “application de la disposition/ non application”.
voir sur ce point les conclusions Guyomar sur l’arrêt Perreux p. 26
“La jurisprudence de la Cour de Justice permet de cerner les contours du critère d’inconditionnalité. Le maintien d’une compétence des Etats membres pour la mise en oeuvre de la règle, du point de vue procédural, n’en exclut pas l’effet direct dès lors que, sur le fond, ils ne disposent d’aucune faculté d’en conditionner ou d’en restreindre l’application (19 janvier 1982 Ursula Becker). Mais il en va autrement lorsque les Etats restent compétents pour définir des conditions de fond (voyez pour un exemple de dispositions jugées conditionnelles 29 novembre 1978 Delkwist). Il en est de même lorsque la directive laisse aux Etats membres le choix, pour assurer sa mise en oeuvre, entre plusieurs options possibles.
Tel est précisément le cas dans notre affaire. L’article 10 de la directive invoquée n’affecte pas, eu égard à la réserve que comporte son paragraphe 5, la compétence laissée aux Etats membres pour décider du régime applicable aux procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction. Dans la mesure où elles ne sont pas inconditionnelles, nous considérons que les dispositions de cet article sont dépourvues d’effet direct devant la juridiction administrative. Sans incidence sur ce point est le fait que, lors de sa transposition, le législateur n’ait pas fait jouer cette exception. L’option ouverte par la directive elle-même retire à la règle posée à l’article 10 tout caractère auto-suffisant. S’il subsiste un interstice normatif entre la règle posée par la directive et la possibilité de sa mise en oeuvre, seules les autorités nationales, pouvoir législatif ou réglementaire selon les cas, peuvent compétemment le combler.“
- dans l’affaire Said Shamilovich Kadzoev (CJUE, 30 novembre 2009, C-357/09 PPU) l’article 15 de la directive retour est interprété et appliqué directement alors même qu’il est prévu des exceptions
Or, un tel délai de départ volontaire (DDV) de 7 jours n’est pas prévu par les actuelles dispositions du CESEDA régissant les reconduites à la frontière. En l’absence de risque de fuite - comme c’est le cas en l’espèce pour la requérante qui réside et travaille en France depuis plusieurs années - ou de danger pour l’ordre public, le DDV aurait dû lui être accordé.
Evidemment cela n’arrange pas le gouvernement - et ses objectifs chiffrés - car le fait de devoir accorder pour les APRF notifiés aux étrangers ne relevant pas du risque de fuite ce délai de départ volontaire de 7 jours avant de pouvoir exécuter la mesure et de les placer en rétention revient de facto à rétablir les APRF notifiés par voie postale, abrogés par la loi du 24 juillet 2006, le 1er janvier 2007. Rappelons que depuis la loi Chevènement de 1998 ces APRF “postaux” étaient susceptibles de recours dans un délai de 7 jours et en pratique connaissaient un taux d’exécution inférieur à 1% (pour plusieurs dizaines de millers d’arrêtés prononcés).
Le gouvernement devrait d’autant plus s’inquiéter de ces jurisprudences que le projet de loi “Besson”, actuelllement en discussion au Sénat, n’est pas “raccord” avec l’obligation d’accorder, dans ces hypothèses, le délai de départ volontaire. Et effet, la modification de l’article L.511-1 II. du CESEDA dans sa version issue de l’article 23 (nous travaillons sur le texte adopté par l’Assemblée car celui amendé par la commission des lois du Sénat n’est pas encore disponible) donne une définition du “risque de fuite” particulièrement large (grosso modo les anciens cas de reconduite à la frontière)- ce qui n’apparaît pas conforme aux dispositions de l’article 7:
“II. - Pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter à cet effet un dispositif d’aide au retour dans son pays d’origine. Eu égard à la situation personnelle de l’étranger, l’autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
« Toutefois, l’autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l’étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français :
« 1° Si le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public ;
« 2° Si l’étranger s’est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse ;
« 3° S’il existe un risque que l’étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
« a) Si l’étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
« b) Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
« c) Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
« d) Si l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;
« e) Si l’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ;
« f) Si l’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, ou qu’il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu’il n’a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu’il s’est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2.
« L’autorité administrative peut faire application du deuxième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa.”
Il serait temps que les autorités françaises prennent conscience de l’épée de Damoclès qui pèse sur l’ensemble des procédures de reconduite à la frontière. Comme disait Me Madeline, la directive “retour” est honteuse. Celle du gouvernement français dans son application aussi…
TA Rouen, 20 janvier 2011, Mme Tie Z. X., n°1100087.
ta-de-rouen-20-janvier-2011-article-7-directive.1295949154.pdf
- Bérénice Rocfort-Giovanni, “Des sans-papiers libérés grâce à la directive “retour”“, Nouvelobs.com, 21 janvier 2011.