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Allez vous faire enfermer !

Publié le 25 janvier 2011 par Marc Lenot

document3.1295137783.jpgL’exposition NON à la Galerie Alberta Pane (ex Kernot; jusqu’au 19 février) présente deux artistes est-européens, qui, avec un humour cynique, nous mettent en face de nos limites, des nos faiblesses, de nos impuissances, de nos contradictions. L’essentiel de l’espace de la galerie est occupé par une structure suspendue du Croate Nemanja Cvijanović, faite de barrières métalliques utilisées pour canaliser les manifestations, objet mythique devenu là dérisoire. Dans un coin, sur un vieux téléviseur massif, on voit l’image d’un drapeau rouge flottant au vent : est-ce un drapeau révolutionnaire, triomphant, bandiera rossa deve triumfa ? Que non point ! C’est un drapeau blanc, un chiffon de reddition, mais les lampes du téléviseur ont été trafiquées pour le faire apparaître en rouge. C’est une image attristante de nos postures pseudo-révolutionnaires qui ne sont en fait que des démissions…

Le Bulgare Ivan Moudov, dont j’avais remarqué il y a trois ans les valisettes de collections nomades, s’interrogeant toujours sur les problématiques d’exposition, présente ici la vidéo d’un avocat bulgare

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démontrant l’impossibilité de créer une fondation pour un musée d’art contemporain à Sofia. Mais surtout, il a demandé à la galeriste de trafiquer la porte de la galerie, de sorte qu’on peut y entrer, mais pas en sortir. Vous devrez attendre qu’un autre visiteur arrive, ou qu’un passant compatissant accepte de vous ouvrir. Quand Graciela Carnevale bloqua pareillement les visiteurs de son exposition ‘Cycle d’Art Expérimental’ dans une galerie à Rosario, les Argentins, moins patients que les Parisiens, brisèrent les vitres : c’était là une allégorie de la dictature argentine. Pour Moudov, il s’agit davantage de questionner la place du spectateur en faisant de la galerie un lieu quasi privé, mais par la contrainte. C’est en somme l’opposé de Sislej Xhasa vendant aux visiteurs de son exposition à la galerie Michael Neff à Francfort une clef de la galerie, faite sur place par un serrurier, transformant ainsi leur relation à l’espace d’exposition, qui, de plutôt privé et étranger, devient quelque peu public et appropriable. J’ai pensé aussi à la fameuse performance de 840 fois Vexations d’Erik Satie organisée par John Cage au Pocket Theater de New York, en 1963, qui durait dix-huit heures quarante minutes avec dix pianistes (dont le jeune John Cale) : la contrainte y était que, plus on sortait tôt, plus on payait cher (”The admission was $5, but members of the audience got a refund of five cents per twenty minutes, and those who stayed to the bitter end got a 20 cent bonus”, ce qui fut le cas d’une seule personne). Consommer plus et payer moins…

Cette exposition stimulante est due à Daniele Capra, curateur fétichiste. 

Photos courtoisie de la galerie Alberta Pane.
 


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