Mémoires d'une catin

Par Irreguliere

Pâris ! J'imaginai son visage quand il riait, ses doigts carrés portant la coupe à sa bouche. L'envie de le revoir brûlait dans mes veines ; et mon coeur savait avec certitude que tout l'amour donné avant lui n'avait été qu'une préparation à cet amour-là. Diomède, Achille et mon fantôme sans nom avaient marché entre les branches déformées des oliviers. J'avais dit non à Achille quand il m'avait proposé de m'enfuir avec lui ; mais j'étais faible alors, il n'y avait pas en moi la conscience profonde d'une vie gâchée, ni cette peur irrémédiable de l'ennui qui m'habitait maintenant. Ces dix années de mort vivante me l'avaient appris ; désormais, il faudrait que je brûle avant de m'éteindre.

C'est grâce à Stephie, qui en a fait un livre voyageur, que j'ai eu l'occasion de découvrir ce roman, et je la remercie vraiment, car sans cela je serais peut-être passée à côté d'une lecture qui m'a enchantée. Vous me connaissez : les mythes, j'adore ça, et surtout lorsqu'il y est question d'amour et de personnages féminins énigmatiques. Autant dire que pour le coup, j'ai été magistralement servie : l'histoire d'Hélène de Sparte puis de Troie, un des personnages les plus scandaleux de la mythologie, qui plaque son époux et sa fille par amour pour Pâris et déclenche du même coup une guerre sanglante, histoire qui est ici racontée du point de vue de celle qui en sait sans doute le plus sur la question : Hélène elle-même.

L'histoire d'Hélène, tout le monde la connaît, ou plutôt croit la connaître, car finalement, de la femme qu'elle était, nous ne savons rien. Hélène, beauté fatale, y compris et surtout pour elle-même, est une victime de la violence des hommes. Solitaire, énigmatique, elle est enlevée est presque violée par Thésée lorsqu'elle a douze ans. Puis, lorsque ses frères Castor et Pollux meurent, elle sombre dans la folie, et se nourrit de fantasmes dont un soldat de sa garde occupe la plus grande partie. Puis elle tombe amoureuse de Diomède, avec qui peut-être elle aurait pu être sauvée, mais au lieu de cela, on lui donne un époux minable, qui n'est certainement pas à la hauteur d'une femme comme elle. Hélène, c'est une femme en quête d'un idéal amoureux, qu'elle aurait pu trouver, mais qu'on lui a refusé, la traitant de catin lorsqu'elle trompe son mari, alors que finalement, en la vendant à un homme en échange d'un royaume, en lui faisant épousant Ménélas, c'est bien là qu'on la prostitue : avec Diomède, Achille, Pâris et enfin Hector, elle ne fait que suivre un pur instinct amoureux, quitte à se tromper...

C'est vraiment un magnifique roman et un magnifique portrait de femme que nous avons là. Un roman très déstabilisant d'ailleurs, car j'avoue que le fait qu'il ait été écrit par une jeune fille de dix-neuf ans me laisse stupéfaite. Dans l'écriture comme dans le récit, l'auteur fait preuve d'une grande maturité, et d'une grande lucidité aussi malheureusement, n'hésitant pas sur certains faits précis à contredire Homère, ce qui est somme toute assez culotté, mais avec une bonne raison : redonner sa dignité à cette femme sur laquelle on a dit le pire, alors qu'elle ne le méritait pas. 

Vous pouvez aller lire les autres billets sur ce roman : celui de Stephie bien sûr, que je remercie à nouveau, celui de Hathaway, Edelwe, Zorane, Lasardine...

Ce livre participe au challenge "Voisins, voisines" de Kathel :

Mémoires d'une catin

Francesca PETRIZZO

Michel Lafon, 2010