Le projet de cette Directive est né de la volonté politique d’accroître la transparence et la réglementation de la sphère financière suite à la crise de 2008.
Dans ce mouvement général les fonds alternatifs ont particulièrement été mis au pilori en raison de leur opacité et du risque systémique qu’ils pourraient faire peser sur les marchés financiers et sur des pans entiers de l’économie. Désignés d’un bloc, les fonds dits « alternatifs » regroupent pourtant des industries très diverses : capital risque, capital transmission, fonds immobiliers et hedge funds, ce qui a d’autant compliqué la rédaction d’une réglementation commune à ces différents secteurs. Les principaux chantiers de la Directive ont porté sur la réduction du risque systémique, sur l’augmentation du pouvoir des autorités de supervision, sur l’amélioration de la protection des investisseurs, sur les rémunérations et sur le développement d’un marché européen réglementé de la gestion alternative.
Les longs pourparlers sur cette Directive ont vu un lobbying intense de la part des pays adeptes du statu quo (Royaume-Uni, Irlande…) et de ceux prônant une régulation plus forte du système financier (France, Allemagne, …). Michel Barnier, le Commissaire européen au marché intérieur et aux services, a usé de toute sa diplomatie pour faire converger les points de vue autour d’un texte fédérateur. Mais à quel prix ?
Un traitement renforcé des pays tiers à l’UE
Le traitement des pays tiers a été l’un des points bloquants de la discussion au sein du Conseil de l’Union européenne compte tenu de son impact potentiel pour Londres, deuxième place de gestion des hedge funds, représentant mille milliards d’euros d’actifs sous gestion à fin 2008.
Longtemps évoqué, un refus pur et simple de la commercialisation des hedge funds non immatriculés en Europe aurait eu un impact très important sur l’industrie puisqu’environ 60% des hedge funds sont domicilés dans des pays « offshore » contre moins de 5% en Europe.
L’idée principale de la Directive est de superviser la commercialisation au sein de l’UE des fonds alternatifs de :
- sociétés de gestion non européennes et non domiciliées en Europe ;
- sociétés de gestion européenne mais non domiciliées en Europe ;
via l’attribution d’un passeport européen attaché au fonds qui devra se soumettre à une transparence renforcée, à l’image de ce que la Directive UCITS IV (« Undertakings for Collective Investment in Transferable Securities ») est en train de faire pour les fonds coordonnés européens.
La France a longtemps opposé une fin de non recevoir au passeport européen, soutenant que seul un marketing passif de ces fonds accompagné du statut de placement privé serait approprié, compte tenu de leur stratégie d’investissement et du niveau de risque encouru. Le principal risque invoqué, pour soutenir cette position, était de voir apparaître une procédure d’autorisation plus ou moins souple en fonction de chaque pays européen. Certains auraient pu être tentés d’offrir un cadre règlementaire plus souple afin de capter la domiciliation de ces fonds au détriment d’autres pays, avec la conséquence de tirer vers le bas la qualité du passeport. Dans les dernières phases de la négociation, la France s’est finalement ralliée au passeport européen à la condition que celui-ci soit plus strict, c’est-à-dire supervisé par la future autorité européenne de supervision des marchés (ESMA), qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2011 (et non plus par les seules autorités publiques des pays membres). Le passeport sera introduit à partir du 1er janvier 2013 et cohabitera avec les autorisations nationales jusqu’en 2016 afin de laisser du temps à l’ESMA d’ajuster ses standards. L’ESMA s’assurera que les pays non européens, hôtes de hedge funds, se conforment aux principes de la règlementation en vigueur au sein de l’UE. Il est par ailleurs prévu qu’en 2015 la Commission fasse un bilan de l’application de la Directive et se prononce éventuellement sur un élargissement des compétences de l’ESMA.
Cet accord sur le principe de supervision du passeport par l’ESMA permet à la France de prendre la présidence du G20 en position de force sur l’avancée des travaux relatifs à la supervision des marchés financiers européens.
Une délégation de fonction clarifiée
La Directive AIFM s’est prononcée sur la délégation de fonction des sociétés de gestion de fonds alternatifs et de leurs dépositaires. Globalement elle en alourdit considérablement les modalités.
La délégation de fonction consiste à avoir recours à un tiers pour remplir les tâches pour lesquelles un acteur est originellement mandaté. Au niveau de la société de gestion d’un fonds alternatif, la délégation de deux types de fonction, gestion de portefeuille et gestion du risque, sera désormais réglementée par la Directive. Une société de gestion qui voudra y recourir devra désormais justifier d’une raison objective pour l’utiliser et ce afin d’accroître l’efficience de la conduite de son activité. Mais il à noter également que le cadre législatif s’est assoupli puisque la version adoptée comporte la possibilité d’avoir recours à la sous délégation, possibilité absente de la proposition de la Commission européenne d’avril 2009. Cependant les obligations de reporting sont considérablement alourdies et la Directive spécifie que la société de gestion ne pourra déléguer au point de devenir une « société boite aux lettres », terme déjà utilisé dans la Directive UCITS.
Au niveau du dépositaire, la Directive apporte un changement important sur son périmètre de responsabilité lorsqu’il délègue ses fonctions. Celui-ci se voit imposer une obligation de résultat alors qu’il était jusqu’à aujourd’hui soumis à une obligation de moyen (avoir conduit les due diligences nécessaires répondant aux standards de qualité attendus). Bien que l’affaire Madoff ait déjà considérablement changé l’esprit des obligations auxquelles doivent répondre les dépositaires, avec la condamnation en France de deux acteurs à rembourser des fonds dont les actifs étaient sous délégués à Lehmann Brother, rien n’était jusque là écrit sous cette forme. La consultation sur les dépositaires de fonds UCITS, menée par la Commission européenne pendant l’été 2009, avait déjà mentionné un besoin de clarification des responsabilités des dépositaires. Il semble que le message a été repris pour les fonds alternatifs. La charge de la preuve inversée, le dépositaire sera ainsi responsable de la perte des actifs en conservation à moins qu’il ne puisse prouver que la perte est le résultat d’un évènement extérieur, en dehors de son contrôle raisonnable et aux conséquences inévitables. La proposition adoptée, qui évoque un « contrôle raisonnable » du dépositaire, est cependant moins sévère que le texte initial. Le dépositaire conservera la possibilité d’avoir recours à la sous délégation, initialement exclue, pour transférer contractuellement ses responsabilités, ce qui s’accompagnera d’un travail de due diligence et de reporting aux autorités plus approfondi.
Le travail de lobbying de l’industrie semble donc avoir payé afin d’alléger les nouvelles obligations. La profession peut néanmoins s’attendre à de prochains changements quant à la chaîne de responsabilité, car il semblerait que la Commission ait attendue l’adoption de la Directive AIFM avant d’ouvrir le chantier de la clarification des responsabilités des dépositaires de fonds UCITS, et ce probablement afin d’y apporter des changements au moins aussi exigeants.
Une directive quelque peu consensuelle
Le vote par le Parlement européen de la Directive AIFM montre à quel point les négociations furent laborieuses entre les partisans d’un statut quo règlementaire et ceux souhaitant un renforcement du contrôle de l’industrie financière. Comme à l’accoutumée l’ensemble des acteurs européens ont trouvé un compromis qui de l’aveu de tous est « un moindre mal ». Mais contrairement à la Directive UCITS IV qui a été portée par toute la profession, cette directive AIFM s’est faite avec réticence et son champ d’application s’en trouve limité. Certes les fonds alternatifs vont avoir un cadre règlementaire en Europe mais ce dernier est relativement souple. Néanmoins, la création de l’ESMA est une réelle avancée qui nécessitera de donner à ce superviseur européen les moyens de réaliser ses ambitions afin d’acquérir une autorité reconnue au niveau mondial. La problématique du statut des dépositaires reste en friche et ce point devra s’inviter à l’ordre du jour de la future Directive UCITS V. Le vote de la Directive AIFM constitue une première étape et le chemin est loin d’être achevé.
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