Comment le public de 1668 aurait-il reçu Le projet Andromaque monté par Serge DENONCOURT à l'Espace Go ? Pour moi, à ce jour, la meilleure pièce de ma saison théâtrale 2010-2011. Celui de samedi, en matinée, n'a pas ménagé son enthousiasme, même si quelques dames n'ont pu s'empêcher de ricaner à telle réplique d'Andromaque ou de Hermione. Il est vrai que notre époque n'est plus habituée au genre d'expression de la passion que connaissait le XVIIe siècle -- comment exprime-t-on aujourd'hui de la passion si ce n'est par les armes ? Certes pas sur Facebook ou les autres Twitter.
Curieux comme toujours, j'ai relu la pièce, la dernière lecture remontant aux années de collège, et, tout comme pour le Misanthrope, j'ai pris beaucoup de plaisir à me réciter sotto voce les robustes alexandrins de RACINE, avec ses raccourcis foudroyants, dont le plus bel exemple est ce cri d'Hermione à Pyrrhus :
« Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ? »Si elle a remporté, à sa création, le plus vif des succès, qui ne s'est jamais, depuis, démenti -- mais je persiste à croire qu'on le la comprend plus très bien -- la pièce a soulevé une vive querelle (on dirait « polémique » aujourd'hui. Plus que sa peinture des sentiments, on reprochait à l'auteur d'écrire, insulte ultime, un galimatias, bref d'avoir une langue fort relâchée. On attaqua aussi l'auteur sur l'utilisation de ses sources OVIDE et HOMÈRE, notamment, lui reprochant le manque de vraisemblance des caractères des personnages : à l'époque, on ne plaisantait pas avec l'épopée... La querelle enfla jusqu'à ce que six mois après la création, MOLIÈRE, fâché avec RACINE, offre sur son théâtre La Folle Querelle de SUBLIGNY (que nul n'a oublié depuis...). Andromaque était soutenue par des personnages ridicules et critiquée par des « honnêtes gens ». Tout y passe, style et grammaire, et y est compromis un projet de mariage, les deux amants s'opposant sans possibilité de réconciliation sur la tragédie. Imagine-t-on, aujourd'hui, un auteur écrire une pièce, dans les six mois, contre une création de LEPAGE ? Mais, depuis Les belles-soeurs ou Les Fées ont soif, y a-t-il vraiment eu ici de querelles théâtrales ?
Comme toujours, on louera la qualité de l'appareil critique de la Pléiade.