" M. B... invoque sa qualité de prêtre pour apprécier la conversion de M. Huysmans ; peut-être pourrait-il s'en souvenir quelque peu pour être plus miséricordieux, et se rappeler que la grâce divine est multiformis. "
Semaine religieuse d'Avignon, 8 octobre.
L'installation de M. J.-K. Huysmans à Ligugé a été l'occasion de nombreux articles et de polémiques dans la presse. Une brochure d'un prêtre déjà connu par ses outrages à la mémoire de Mgr Darboy, et distribuée gratuitement par un petit syndicat d'adversaires de M. Huysmans, a causé quelque émotion. La question Huysmans, puisqu'il y en a une, est aujourd'hui une question bien poitevine ; nos lecteurs nous saurons gré de mettre sous leurs yeux deux fragments typiques d'articles récents qui pourront éclairer leur religion.
Ajoutons que M. l'abbé Mugnier, premier vicaire de Sainte-Clotilde, prépare, sous le titre de Pages Catholiques, une sélection des oeuvres de M. Huysmans. Dans un chapitre liminaire, il analysera les opinions des véritables théologiens sur la conversion de son auteur, et en montrera les conséquences heureuses sur nombres d'âmes ramenées à la lumière par la lecture de ses derniers ouvrages.Gustave Boucher.
Huysmans et l'égliseM. George Jubin, après avoir reproduit la nouvelle de l'installation de M. Huysmans à Ligugé écrit :
Il n'en faut pas plus pour réveiller l'ardeur des intransigeants du clergé, qui, non contents de la religiosité évidente de Huysmans, découvrent dans En Route et dans la Cathédrale des traits d'hérésie. Cette hérésie, ils la nomment " Durtalisme ", du nom de Durtal, le héros préféré de l'auteur. L'abbé Belleville, le chanoine Ribet, menèrent campagne contre Huysmans, en qui déjà ils soupçonnaient l'existence d'un futur Léo Taxil, avec, en plus, du talent...
C'est à dégoûter vraiment les esprits supérieurs de se tourner vers l'Eglise catholique. Celle-ci est bientôt pour eux plus dure que pour les incroyants et les athées décidés : et Huysmans fait l'expérience de ce qu'elle peut, parfois, à force d'intransigeance, faire gagner à la cause adverse (1).
L'écrivain, du reste, ne s'émeut pas pour si peu. Il est convaincu de la nécessité de la retraite. Il est tenace. Il se retirera donc, coûte que coûte, près de quelque cloître ami du silence et favorable aux écritures paisiblement réfléchies. La petite communauté d'artistes, de littérateurs et de simples gens de coeur et d'esprits sincères, qu'il compte fonder à ses côtés, dans cette retraite, est aussi dans les mêmes intentions. On assistera donc à ce curieux spectacle d'hommes instruits, délicats, pleinement conscient de la civilisation présente, et qui, délibérément, pour penser mieux et travailler plus à l'aise, se séparerons du monde, en pleine fin du dix-neuvième siècle.(Le Jour)
George Jubin.
(1) M. George Jubin rend à tort l'Eglise catholique responsable du pharisaïsme et de l'intolérance janséniste de quelques-uns des siens. G. B.
Le Don Quichottisme et HuysmansL'humeur belliqueuse des preux a trouvé un refuge dans les rangs du clergé. On serait tenté de croire parfois que don Quichotte s'est fait clerc.
Des prêtres dénoncent chaque jour la persécution qui sévit contre l'Eglise, c'est leur droit. Personne ne peut les en blâmer ; s'il se disent tant persécutés, pourquoi donc n'obéissent-ils pas à l'instinct de la défense, qui devrait les porter à se serrer les uns contre les autres, et à recevoir avec honneur et reconnaisance les hommes de coeur qui leur font des offres de services ? Mais c'est chose trop simple pour qu'ils s'arrêtent à la pensée de le faire. Ils ont besoin de se battre et surtout d'être battus. Les rares coups qu'ils portent et ceux plus nombreux qu'on leur administre ne parviennent pas à les calmer.
Les luttes doctrinales, qui passionnèrent jadis de grands esprits, sont terminées. Gallicanisme et libéralisme ont vécu. Qui donc y pense aujourd'hui ? Impossible d'invoquer ces vieilles erreurs pour entrer en lutte avec elles, autant vaudrait aller au cimetière et provoquer en duel les morts.
Que vont faire les Don Quichotte ecclésiastiques ?
Ils ne s'embarrassent pas pour si peu. Ils vont susciter parmi eux des divisions, se créer des ennemis à combattre et, sous les yeux de leurs adversaires, gaspiller leur temps et leurs forces dans des luttes intestines.
Qui donc, en lisant Là-Bas et En Route, aurait pu deviner que l'auteur commît en ces volumes une erreur monstrueuse, une sorte d'hérésie contre laquelle les théologiens devraient braquer l'artillerie de leurs arguments ? Lorsque En Route parut, on cria bien au scandale. Mais ce n'était rien. Il fallut attendre la Cathédrale pour s'apercevoir que Huysmans avait l'étoffe d'un hérésiarque. On n'a pu trouver encore le nom qui convenait à sa doctrine. Patience ! Cela viendra. Je serais surpris si le parrain ne l'appelait pas Durtalisme. Ce serait, en tout cas, fort bien trouvé.
Quand le livre eut paru, les uns furent pour, les autres se prononcèrent contre. A cela, rien d'étonnant. Un livre paraît ; chacun dit ce qu'il en pense. D'ordinaire tout se termine après cette première explosion. Les choses allèrent autrement pour la Cathédrale.
Le bruit courait que bientôt Huysmans quitterait Paris pour se renfermer dans une cellule de l'abbaye de Solesmes ; à cette nouvelle, un vicaire parisien récemment débarqué d'Amérique sentit bouillonner dans ses veines une ardeur toute martiale. Il dressa ses batteries et tira à boulets rouges contre le pauvre Huysmans. Les engins tombèrent chez les curés du département de la Sarthe. Chacun d'eux renfermait une brochure, mal dirigée, maladroite.
Cette décharge était hors de propos. On apprit, en effet, que l'auteur de la Cathédrale ne se faisait pas moine et que, aux rives de la Sarthe, il préférait la vallée du Clain. Cette nouvelle fit surgir un autre Don Quichotte, un Don Quichotte Berrichon. Il s'installa sur son rond de cuir avec une crânerie qui rappelait son collègue de la Manche enfourchant Rossinante. Son bonnet carré valait bien un casque. Quelle flamberge était comparable à sa plume ? Le voilà donc qui s'engage dans la lecture des livres de Huysmans comme sur une terre de mécréants. Les moulins à vent qui s'agitent, les chênes verts aux branches dégarnies, ressemblent à des fantômes qui étendent les bras ; des moutons qui paissent tranquilles, tout cela et beaucoup d'autres choses encore, prennent à ses yeux des allures fantastiques d'ennemis gigantesques. Après avoir chevauché à travers toute la Durtalie, frappé d'estoc et de taille, redressé force torts et travers, l'abbé Belleville se reposa.
Quand le repos eut refait les forces du vaillant chevalier, il prit la plume et raconta tout au long sa belliqueuse campagne dans un livre intitulé La conversion de M. Huysmans. A son livre, il fit une préface, que la Croix s'est chargée de voiturer à travers la France.
Ce n'est pas tout.
Un déserteur de Saint-Sulpice, qui se délasse à Rouen des fatigues que lui a causées la rédaction d'ouvrages sur la mystique où la quantité remplace parfois la qualité, sentit sous les brouillards de la Normandie battre son coeur d'habitant de la Gascogne. L'homme du Midi se leva pour parler et pour écrire. L'Univers recueillit sa prose et la servit à ses quelques lecteurs. Après avoir parlé, le chanoine Ribet voulut agir : il dénonça l'oeuvre de Huysmans à l'Index... Cette nouvelle, grave comme un événement, fit le tour de la presse religieuse.
Il ne faut rien dire du Chartrain, docteur ès-lettres, qui frappa sur la Cathédrale comme sur une grosse caisse pour faire de la réclame à un livre sien, qui ne se vendait pas.
Un cardinal romain traversait la France, l'été dernier, excellents occasion de faire parvenir à l'Index des plaintes contre Huysmans, Drumont et quelques autres remueurs d'idées.
Et tout ce monde de maudire à qui mieux mieux le nouveau Taxil. Pauvres gens ! Ils furent les disciples les plus bêtement crédules du dégoûtant farceur, qui avait nom Taxil. Est-ce donc pour faire oublier leur naïveté d'antan qu'ils cherchent à voir du Taxil partout ? Oh ! Si Taxil revenait, il lui serait facile de les attraper encore. Leur confiance en la canaille qui les paie de mots et de flatteries n'a d'égale que leur défiance pour les écrivains honnêtes qui leur disent crûment certaines vérités, pénibles à entendre.
Entre temps, quelques bons abbés, prédicateurs courtisans de la renommée et critiques soi-disant littéraires, au service d'une petite revue de Lyon et d'une revue parisienne du clergé, qui veut et pourrait être grande, déversaient sur ce pauvre diable de Durtal leur indignation et leurs anathèmes. Tout récemment, Bonne souffrance, de Coppée, fournit à l'abbé Delfour une occasion de dire tout le mal qu'il en pense.
Les accusations arriveront-elles aux oreilles des juges qui prononcent sur la valeur doctrinale des livres, j'en doute. Les preux de la doctrine attendront longtemps. Léon XIII les connaît.
Que fait Huysmans au milieux de tout cela ? Il observe, et il se tait, le don Quichottisme l'amuse, paraît-il. Il y a vraiment de quoi.( Le Soir)
Nemo