Ce week-end, nous sommes restés à Lyon, nous avons passé pas mal de temps dans notre appartement. Ma plus jeune fille E. est très sensible à l'apparence, à la beauté, au maquillage, aux vêtements. Elle va avoir 6 ans mercredi mais l'esthétique compte beaucoup pour elle depuis aussi loin que je me souvienne.
Alors qu'elle devait m'observer discuter avec des amis, elle attend que je termine ma phrase et me demande discrètement "Pourquoi tu te rases les sourcils Maman ? Tu n'en as presque pas."
J'ai attendu que nos amis soient partis, pour répondre à sa question.
Comme elle me voit de temps à autre avec une pince à épiler dans la main arrachant un sourcil, elle pensait que je leur faisais subir à tous ou presque le même sort. Je lui ai expliqué que je n'épilais que ceux qui étaient en plein milieu, hors du tracé du sourcil que j'aime, mais que je ne touchais pas aux sourcils, jamais.
Elle me regarde étonnée et me demande pourquoi je n'en ai presque pas alors ?...
Je lui ai donné la véritable raison, le cancer, les traitements qui les ont fait tomber, mes perfusions actuelles qui ralentissent la repousse et mes sourcils d'avant qui ne sont jamais revenus comme ils étaient.
Je suis heureuse qu'elle ait posé la question et qu'elle sache pourquoi mes sourcils sont dégarnis, peu épais mais en même temps, une fois de plus, ça me ramène à mon cancer. J'ai beau ne pas avoir le look de la cancéreuse, il a laissé des traces sur mon corps dont je me serais passée.
Ce qui me gêne le plus c'est justement ces sourcils, je les ai toujours eus bien garnis et là ils font bien misérables. Une amie m'a aussi demandé pourquoi je ne faisais pas un trait au crayon par dessus. C'est une amie très proche. Son conseil m'a fait chaud au cœur par sa sollicitude et en même temps m'a ramenée le nez dans le cancer.
Je déteste qu'on puisse voir une trace du cancer sur moi, je voudrais que ça soit invisible.
A part les sourcils, mes cils sont moins longs, moins fournis. Je mets du mascara, un trait de crayon assez épais qui habille mon regard que je trouve toujours bien vide depuis ces chimios. D'ailleurs dès que mes amies me voient sans maquillage, à Lyon, elles me disent que j'ai l'air fatigué. A la montagne, je ne me maquille pas.
Mes cheveux sont moins épais qu'avant, j'avais un beau volume qui ne reviendra jamais lui non plus. Herceptine ralentit toutes les repousses. Mes ongles sont cassants et la marque blanche qui normalement ourle seulement l'ongle descend plus profondément sur l'ongle, encore herceptine. Sur mes pieds, c'est pire, les deux gros ongles sont un peu noircis, j'ai toujours du vernis coloré pour cacher.
Et puis vient ce que je camoufle, le pac, les cicatrices, mon sein gauche reconstruit mais qui n'aura jamais le galbe d'avant. Ça me gêne un peu dans la salle de gym, les vestiaires sont communs, je dois me déshabiller devant les autres femmes. Je change de soutien-gorge très rapidement, je n'ai pas envie qu'on remarque ce sein un peu anormal et je remet mes sous-vêtements dans les douches individuelles.
Jeudi je vais avoir mon herceptine, je sais que la peau de mes doigts va se fissurer et qu'au moins à un endroit, ça va saigner. Je vais me tartiner une bonne dizaine de fois par jour de ma super crème (la 2). J'ai soigné mes ongles hier pour éviter qu'ils cassent tous dans les jours qui suivent herceptine.
J'avoue être parfois fatiguée de vivre avec ça, c'est mon fardeau que je dois porter toute ma vie si je veux rester en vie, je n'ai pas le choix, certains jours il me semble plus lourd que d'autres. Effectivement, ce n'est pas cher payé le bonheur de vivre mais ça serait mieux sans tous ces effets secondaires à supporter dont je n'ai aucun espoir de vivre un jour sans.