J'entends souvent cette question : faut-il ou ne faut-il pas "mettre de l'affectif" dans son management? Cela donne l'impression que l'on demande à un cuisinier si l'aneth ou le fenouil sont bienvenus dans sa recette. Comme s'il s'agissait d'un ingrédient dispensable. Comme si on avait le choix. Comme s'il existait un bouton on/off pour les sentiments et les émotions.
Les affects - affection, colère, mépris, attirance, dégoût, tristesse, etc. - sont indissociables de notre relation aux autres. Seules les machines en sont dénuées. Le rêve que l'on voit poindre ici et là d'une entreprise peuplée de robocops "sans affect" - et qui gagnerait ainsi en efficacité - relève d'une utopie glaçante.
Il est vrai aussi que l'on utilise souvent le mot "affectif" pour qualifier un mode de management injuste. Si l'on décrit un dirigeant comme un "grand affectif", vous remarquerez que c'est généralement une manière polie de signifier que la personne en question a des "chouchous" (ceux et celles qui lui sont proche, et qu'il favorise). Passées certaines limites, et dès lors que s'installe un phénomène de cour (qui n'est pas réservé au monde politique), cela peut dériver vers un fonctionnement clanique.
Le directeur marketing nouvellement recruté d'une start-up s'était rendu compte, au bout de quelques mois, que toutes les décisions importantes se prenaient en dehors des heures de bureau, le soir, au cours de "pizza parties" chez le DG. Pour tenir son rôle et être associé au pouvoir, il lui fallait en passer par cette proximité "amicale" avec son boss. Il déclina les invitations, et finit par poser sa démission. Il estimait avoir autre chose à faire de ses soirées. "Et puis je n'aime pas les pizzas", conclut-il. Pour lui, ce n'était pas un fonctionnement professionnel.
Me vient un autre exemple : celui d'un chef de service habile à installer une (fausse) proximité avec ses collaborateurs, dans un registre personnel. La connivence qu'il recherchait ainsi lui servait à découvrir les ressorts intimes des uns et des autres, pour en jouer. Cette pratique (qui flattait certains) n'avait rien d'affectif ; ce n'était que l'instrument d'une volonté d'emprise et de domination. Il jouait alternativement de la menace et de la séduction, registres manipulatoires. Au bout de deux ans, le climat relationnel devint délétère, avec la constitution de deux camps animés par ce qu'il faut bien appeller une haine réciproque. Il fallut exfiltrer le semeur de zizanie qui ne laissait derrière lui qu'un champ de ruines.
Rappelons qu'un manager est payé pour traiter équitablement ses collaborateurs, quelles que soient ses affinités personnelles. Evidemment c'est un idéal: nous sommes tous influencés par nos affects. Il y a des personnes avec qui le courant passe, et d'autres avec qui toute relation semble laborieuse ou frustrante. C'est ainsi. Affaire de tempérament, de projection, d'éducation, de culture… Ce n'est pas pour rien que le management est réputé un art difficile.
Et vous, avez-vous vécus des exemples de "management affectif"?