La Tour Montparnasse partiellement détruite par une explosion ce matin

Publié le 24 janvier 2011 par Marc Lenot


Une violente explosion  (bombe ? missile ?) a détruit les étages supérieurs de la Tour Montparnasse à Paris il y a quelques minutes. En tout cas, c’est ce qu’on voit sur cette photographie de Patrick Chauvel; on s’étonne un peu que les passants rue de Rennes ne lèvent même pas les yeux. Et il faudrait un oeil aguerri pour reconnaître là les mêmes volutes de fumée que celles émanant d’un immeuble de Natabieh détruit par les bombardements israéliens pendant sept jours d’affilée en juillet 1993 (et de nouveau en 2006). C’est que Patrick Chauvel est un rapporteur de guerre, quelqu’un qui, ayant autrefois aimé la beauté pacifique de Beyrouth et de Sarajevo (et ce sont là aussi mes souvenirs), a vu, quelques années plus tard, ces villes détruites, dévastées par la guerre, quelqu’un qui, donc, errant, dans les rues de Paris, y superpose des images barbares rapportées de Palestine ou de Tchétchénie, y imagine scènes de barricades, de massacres et d’explosions. Cette intrusion des fauteurs de geurre à Paris est une alerte. Ces images de violence fictionnelle, voire prémonitoire, forment un des volets de l’exposition ‘Peurs sur la ville’ à la Monnaie (jusqu’au 17 avril).

Mais la violence guerrière à Paris peut aussi être bien réelle, historique, parfois actée : un autre volet de l’exposition reprend des photographies de Paris-Match, des combats de la Libération aux manifs oubliées pour ou contre l’OAS (mais rien sur les ratonnades), de Mai 68 aux attentats et aux manifestations récentes. Violences extrêmes et morts d’homme, qui se raréfient au fil du temps, apparition de la couleur (la 1ère photo couleur : Godard arrêté en Mai 68), apparition des casseurs, floutage des visages. La juxtaposition de ces deux photographies est frappante :

 
À gauche, en noir et blanc, ‘Bande de blousons noirs désoeuvrés au Pré-Saint-Gervais’, 20 novembre 1960, par André Lefebvre : composition linéaire sur fond contextuel de grand ensemble, coiffures bananes, santiags, visages taillés à la serpe (tous blancs, tous européens), violence sous-jacente mais pas affirmée; le photographe n’est qu’un preneur d’image, un témoin qui passe, pas de mise en scène.  À droite, en couleur, ‘Le Blanc-Mesnil, jeunes masqués ou cagoulés et armés, novembre 2005, par Dragan Lekic : groupe pyramidal dans un lieu à peine connoté, protagonistes multiraciaux aux visages dissimulés par les cagoules, les masques ou le floutage, ‘armes’ brandies à bout de bras, violence affirmée, mais dans une pose prise pour le photographe, catalyseur de cette scène plus que témoin. En deux images, une histoire de la banlieue, du rapport à la violence, mais aussi une histoire des médias, et de leur effet boucle. Mais c’est un peu dommage que, à cette exception près, les photos soient présentées ici comme un livre d’images chronologique, sans réflexion, sans confrontation, sans mise en perspective. C’est une exposition plus documentaire que réfléchie, plus Paris-Match que Etudes Photographiques.

Ça ne m’empêche pas d’avoir beaucoup aimé certaines photographies, et en particulier celle-ci de Georges Melet le 6 mai 1968, ‘La manifestation de 10 000 étudiants tourne en émeute dans la Quartier Latin. Un manifestant bombarde les policiers’. Je ne sais s’il les bombarde, mais ce dandy lanceur de pavés en costume clair fort élégant a une posture superbe, assez faunesque, et somme toute pas très halsmanienne : il s’inscrit dans la trouée de ciel entre les arbres et croise la ligne noire horizontale du cordon de police, son bras droit décrit une courbe toute de grâce et de préciosité.

Le troisième volet de l’exposition présente des images récupérées sur Google Street View par Michael Wolf, images imprévues, privées et donc violence insidieuse, fantasmée et contre laquelle ce motard s’insurge (PSV09, série Paris Street View). Elles étaient visibles jusqu’à la semaine dernière à la Galerie particulière.

Et en sortant de l’Hôtel de la Monnaie, le quai de Conti était dévasté, un camion vert brûlait, le sol était jongé de débris, les fenêtres du bâtiment défoncées, et des soldats américains (directement arrivés d’Afghanistan) patrouillaient sur le quai. La France est en paix depuis 48 ans et demi…

Photos 1, 4 et 5 courtoisie du service de presse.