Quand nous franchissons la porte de la salle de projection, un peu gênées d’être en retard, l’ambiance est studieuse. Marc Obéron, le producteur du film 8, prend la parole et explique son projet.
8 est composé de huit court-métrages réalisés par Gus Van Sant, Gaël Garcia Bernal, Abderrahmane Sissako, Mira Nair, Jan Kounen, Gaspar Noe, Jane Campion et Wim Wenders. Ils défendent chacun un objectif du millénaire pour le développement (OMD). Ce film a pris une voie peu commune, il n’a pas été distribué au cinéma, mais a fait la joie d’un grand nombre de festivaliers. Une plateforme Le Temps presse (http://www.letempspresse.org) sur laquelle sont diffusés les films, a été crée pour l’occasion, en lien avec Youtube.
Les huit réalisateurs passent cette fois le relai au public cinéphile. La règle du jeu est la même pour eux: réaliser un court métrage sur l’un des huit objectifs.
Fin du discours.
Il est temps de regarder les seize films présélectionnés.
La lumière s’éteint. Les téléphones portables aussi.
Dans le lot, il y a du bon et du moins bon. Le premier visionné C’est pas grave de Yacine Sersar nous parait un peu simpliste et réducteur, de l’humour certes, mais la bonne chute du court-métrage, ne parvient malheureusement pas à rattraper les fausses notes. Les autres se suivent et ne se ressemblent pas. Inside Out de S. Rossi et Paida, nous laisse indifférentes. Malgré la volonté de faire un film esthétique, les réalisateurs restent dans le cliché de la carte postale, pas de scénario, pas de construction, pas de personnages. Quel objectif défendent-ils ? Bref, un film qui ne laisse aucune trace ! I téliya de Fatou Diarra est prometteur, mais le film retombe comme un soufflet. Après un début construit et intéressant (la surprise du voyage au Mali), on peut s’attendre à une véritable histoire. Mais les choses s’arrêtent là. Si on comprend le sens du film, les trajets à répétitions dans le camion en direction du dispensaire s’éternisent. Mention spéciale pour L’Exotherme de Alexandru Sechilariu que nous ne sélectionnons pas, mais qui a attiré notre attention. Le huit-clos véhicule un sentiment fort d’étouffement qui illustre bien le réchauffement de la planète. Ce court-métrage prouve qu’il ne sert à rien d’en faire trop, les moyens sont simples et le message est clair. Un peu pédant toutefois, rappelant Robert Kramer dans sa balle de bain (Berlin 10/90), mais les plans sont originaux et le texte est beau.
Enfin, le moment tant attendu : la sélection de nos trois films préférés ! Louise et moi sommes souvent tombées d’accord, mais avons préféré séparer notre vote.
Le choix de Nadja : Les trois court-métrages que j’ai préférés sont Barye de Fred Eldar Gasimov, Douche Froide de Nicolas Leborgne et Denis Rollier et enfin Titanic de J. B. Nicolas et F. Tapiro.
Barye : Un sans-abri, en fouillant dans une poubelle, retrouve un chien cassé en porcelaine. Il achète alors de la colle pour le réparer. Il s’attache peu à peu à l’objet-animal. La veille de Noël, alors qu’il part chercher de quoi dîner, un groupe de jeunes shootent dans le chien en porcelaine, laissant le pauvre sans-abri désespéré. Pour ses plans, l’émotion incroyable que ce film véhicule, le merveilleux jeu d’acteur, j’espère que le réalisateur gagnera le concours.
http://www.youtube.com/watch?v=bdc1Avr_cEM
Douche Froide : Pourquoi le réalisateur a-t-il choisi le contexte d’un mariage pour montrer les ravages du sida ? Sans doute pour insister sur l’aspect multi-générationnel du problème. Cette fois, c’est la fille qui met sa mère en garde. Le film n’est peut-être pas très original (et encore !), mais il a le mérite d’être bien construit. Le renversement de la fin (on ne s’attend pas à ce que l’ami séropositif de sa fille soit celui à coté duquel elle se trouve) insuffle une grande émotion au film et beaucoup de densité.
http://www.youtube.com/watch?v=OsZ-LemQnrM
Titanic : J’ai longtemps hésité entre Titanic et Passage. Ce qui m’a permis de faire un choix est de savoir que Louise avait choisi Passage, je pouvais donc soutenir Titanic. Le message est clair : lutter contre le réchauffement climatique. Le film est à mon sens plus efficace que L’Exotherme, car il dit tout en moins de temps. L’humour est souvent la voie royale pour faire passer les messages les plus sérieux. Petit bémol : j’aurais bien aimé voir un plan de l’ « iceberg » en question. Le court-métrage, déjà très drôle, aurait gagné en humour.
http://www.youtube.com/watch?v=mnNc0ZGz_es&feature=channel
Le choix de Louise : Les trois films que j’ai sélectionnéssont : Amal, de Ali Benkirane, ensuite Passage, de Shraer-Monnier et enfin Barye de Fred Eldar Gasimov.
Amal traite d’une façon touchante le problème de l’accès à l’éducation pour les filles. C’est un court-métrage très esthétique, contemplatif, qui rappelle certains films d’Abbas Kiarostami, avec des paysages de campagne filmés en plans fixes et un beau travail sur la lumière. En quelques scènes l’ambiance et l’histoire se dessinent. Dès le début Amal, jeune héroïne nous prend à témoin en nous présentant sa famille à laquelle elle associe les animaux de la ferme, ainsi que son ambition de devenir médecin. On la suit de chez elle jusqu’à l’école, avec ses camarades de classe, les instituteurs, en quelques minutes seulement, on entre dans son univers. Quand vient la chute, où sa mère lui apprend qu’elle ne pourra plus aller à l’école, le gros plan sur son visage dont l’expression passe de la joie de vivre qu’elle avait jusqu’alors, aux larmes, confirment la qualité de son jeu.
Dans Passage, on retrouve un « enfant », en tout cas une voix d’enfant, qui souhaite devenir médecin pour soigner sa mère. Néanmoins ce film diffère complètement du premier, à part le dernier plan, l’image reste abstraite. On comprend assez vite que ces tonalités de rouge représentent la vision subjective d’un bébé dans le ventre de sa mère, sur le point de naitre. C’est donc une façon très originale de rendre compte du problème de la mortalité infantile et maternelle, en « donnant la parole » à un de ces enfants mort-nés.
Enfin Barye, encore très différent des deux films précédents, se déroule en France et met en scène un vieil homme, SDF, la veille de Noël. Cet homme pourrait être celui que chacun croise chaque jour au coin de sa rue. Ce film illustre la solitude de ceux laissés en marge de la société. L’attachement de cet homme pour un chien en porcelaine peu paraître absurde mais on voit bien que c’est une façon pour lui de se sentir moins seul. Même si ce film est très sombre, il se termine sur une tonalité d’espoir avec l’arrivée presque magique d’un petit chiot, comme dans le conte de Pinocchio.