Avant que les studios se décident, faute de rendement, à éteindre la flamme déjà vacillante, Universal a misé gros sur La Guerre selon Charlie Wilson: 75 millions de dollars pour un trio de stars formé par Tom Hanks, Julia Roberts et Philip Seymour Hoffman. Une somme très rondelette pour un film destiné aux adultes et qui ose aborder la période 1979-1989, lorsque, à travers des tractations secrètes et des ventes d'armes qui ne le furent pas moins, Washington a aidé les moudjahidin afghans à se débarrasser de l'envahisseur soviétique et, par là, à créer les conditions-cadres, comme on dit, qui allaient mener à la catastrophe actuelle: défaite de l'URSS, chute du mur de Berlin, avènement des talibans et d'Oussama ben Laden, 11 septembre, enlisement de l'armée américaine au Moyen-Orient...
«Ces événements ont eu lieu... Ils furent glorieux et ils changèrent le monde... Mais nous avons foiré la fin de la partie.» Quarante ans après l'un des films les plus corrosifs sur la guerre (Catch 22) et dix ans après sa satire assassine sur la Maison-Blanche (Primary Colors), Mike Nichols clôt La Guerre selon Charlie Wilson sur cette déclaration de son personnage titre. Un vrai cas, Charlie Wilson, et un cas vrai surtout: Nichols, et son scénariste Aaron Sorkin - auteur aguerri de la série A la Maison-Blanche et du Spielberg qui suivra Indiana Jones4,The Trial of the Chicago 7 - se saisissent d'une biographie fleuve écrite par George Crile. 600 pages compressées sur 96 minutes enlevées, dans la tradition des comédies de Preston Sturges et de Billy Wilder.
Car Wilson, bien que réel, semble tout droit sorti de Certains l'aiment chaud: coureur de jupons et amateur de whisky, ce Congressman de seconde zone représentait, à Washington, le Deuxième District du Texas - du moins quand il n'était pas, comme le suggère l'ouverture du film, nu et cocaïné en compagnie de playmates, de strip-teaseuses et d'hommes d'affaires véreux dans un jacuzzi de Las Vegas...
Le film, qui pousse le bouchon de la satire très loin, suggère que ce clown opportuniste fut soudain porté par une conviction sans borne, plutôt visionnaire, après avoir vu, saoul comme un Polonais, un reportage à la télévision: sauver l'Afghanistan de l'agression rouge, couper l'accès de Moscou au pétrole également, en fournissant aux résistants afghans des «canons Oerlikon» et des bazookas capables de faire tomber les hélicoptères soviétiques comme des mouches. Il se trouve que Wilson, qui se contentait jusque-là de régler des conflits de voisinage, faisait partie de la commission chargée des opérations secrètes à l'étranger. Une commission en sommeil, inusitée et dotée d'un budget ridicule de 5 millions de dollars. En quelques années, Wilson, porté par sa mission, a réussi à faire passer cette somme à un milliard de dollars et à asseoir à la même table Israël, Egypte et Pakistan, afin de fournir des armes russes aux moudjahidin (il était évidemment hors de question que du made in USA soit impliqué dans l'opération sous peine de sérieusement réchauffer la Guerre froide).
Tom Hanks n'est pas seul à endosser la réussite du film avec son numéro de James Stewart licencieux et vulgaire. Il est notamment épaulé par une Julia Roberts très Glenn Close en maîtresse born again béni-oui-oui qui ne dit jamais non, et par un Philip Seymour Hoffman (l'Oscar du meilleur acteur pour Truman Capote il y a deux ans) onctueux en agent désabusé de la CIA.
Coloré, rythmé, intelligent, en équilibre entre l'âge d'or des comédies et l'acidité du récent Lord of War d'Andrew Niccol, La Guerre selon Charlie Wilson pourrait être, malheureusement, le dernier de son genre avant un bon moment: pour l'heure, les recettes n'atteignent pas les deux tiers du budget dépensé par Universal...