Stimmwerck ressuscite brillamment des œuvres sacrées de Leonhard Paminger

Publié le 23 janvier 2011 par Jeanchristophepucek

Wolf Huber (Feldkirch, c.1485/90-Passau, 1553),
Le Christ sur le mont des Oliviers
, après 1530.

Huile sur bois de tilleul, 60,4 x 67,4 cm,
Munich, Alte Pinakothek.

Si, hors quelques noms célèbres, la peinture germanique des XVe et XVIe siècles reste, du moins en France, largement négligée, voire méprisée, la situation de la musique produite durant cette période est encore pire, comme si Schongauer, Dürer Altdorfer ou Cranach avaient vécu dans un monde privé de sons. On est d’autant plus reconnaissant à l’ensemble vocal Stimmwerck de s’être consacré, depuis ses débuts, à l’exploration de ces répertoires scandaleusement négligés et de nous avoir offert des enregistrements dédiés, entre autres, à Adam von Fulda ou Heinrich Finck. C’est aujourd’hui Leonhard Paminger qu’il met à l’honneur, dans un disque publié chez Christophorus.

On sait peu des choses de la formation musicale de Paminger, un compositeur qui laisse un catalogue impressionnant de plus de 700 œuvres, dont la reprise dans des anthologies françaises et italiennes atteste de la célébrité de son vivant. Né à Aschach an der Donau (aujourd’hui en Haute-Autriche) en mars 1495, il étudie, entre 1513 et 1516, à l’université de Vienne, ville dans laquelle on suppose qu’il a pu côtoyer certains des musiciens les plus en vue de son temps, tels Ludwig Senfl (c.1486-1542/3) ou Paul Hofhaimer (1459-1537), sans qu’il soit possible de déterminer ce qu’ils purent éventuellement lui apprendre et ce qu’il acquit en autodidacte. Toujours est-il qu’en 1516, Paminger s’installe à Passau, où il passera le reste de sa vie, en qualité, tout d’abord, de maître d’école au sein du couvent Saint-Nicolas, regroupant des chanoines réguliers de saint Augustin, puis, à partir d’environ 1529, en tant que recteur de ce même établissement conventuel. Durant toute sa période d’activité, outre ses charges d’enseignant et de compositeur, il s’impose comme un véritable humaniste qui non seulement traduit des pièces de théâtre antique mais participe également de près aux débats théologiques qui éclatent dans le sillage de la Réforme. Paminger semble avoir entretenu des liens personnels avec Martin Luther et Philipp Melanchthon, il envoie ses fils étudier à l’Université de Wittenberg, et rédige deux libelles favorables aux idées luthériennes qui ne seront publiés que l’année de sa mort, survenue le 3 mai 1567.

Son œuvre musical place indubitablement Paminger dans la catégorie des musiciens influencés par Josquin des Prez (c.1450-1521), dont il reprend l’exigence de clarté structurelle et de transparence sonore, ainsi que certains procédés d’écriture, comme, entre autres, l’imitation en paire, l’utilisation de brèves cellules motiviques qui circulent d’une voix à l’autre, sans parler de son travail sur les 150 Psaumes, auquel son illustre prédécesseur avait été un des premiers à s’intéresser et qu’il met, lui, en musique dans leur presque totalité. Ce qui frappe chez Paminger, c’est, en dépit des trésors de complexité polyphonique qu’il peut déployer, l’extrême attention qu’il porte à la prosodie et à l’intelligibilité des textes, avec un scrupule qui révèle aussi bien l’humaniste maîtrisant le latin et le grec qu’il était que son adhésion aux principes prônés par Luther en matière d’organisation de la musique sacrée, même s’il ne franchit pas, contrairement à son fils, le pas consistant à y utiliser la langue vernaculaire, comme le prouve le très sobre O Mensch, bewein dein Sünde groß de Sigismund qui clôt le disque. Si le dramatisme n’est pas absent des pièces proposées dans cet enregistrement (Domine, ne in furore tuo, Disce crucem), elles dégagent globalement un fort sentiment de plénitude, probable reflet d’une foi sincère et confiante dont l’intensité permet aux inquiétudes qui pourraient l’effleurer d’être tenues en respect.

L’interprétation offerte de ces pages inédites de Paminger par le quatuor vocal masculin Stimmwerck (photographie ci-dessous), auquel s’est adjoint, pour l’occasion, le contre-ténor David Erler, est splendide de bout en bout. Ceux qui ont pu se familiariser avec l’esthétique de l’ensemble allemand au fil de ses précédentes réalisations retrouveront ici son impeccable cohésion, son souci de la lisibilité polyphonique, sa capacité à apporter un indéniable souffle en même temps qu’une incroyable transparence aux musiques dont il s’empare, autant de qualités qui le rapprochent de ses « cousins » de la Capilla Flamenca. Le choix d’un tactus assez ample mais animé de l’intérieur grâce à une gestion très fine des dynamiques (Ad te, Domine, levavi) permet d’établir, en prenant également appui sur la légère réverbération de l’endroit choisi pour l’enregistrement, parfaitement restituée par une prise de son d’une belle précision, des jeux de résonance d’une grande subtilité entre les différentes lignes vocales, avec pour résultat une magnifique impression de continuité et de fluidité qui permet néanmoins de percevoir nettement les détails de l’écriture. Notons également le soin apporté à l’articulation, la volonté de faire saillir les passages les plus dramatiques en usant d’effets déclamatoires ingénieusement dosés (patents dans le splendide Disce crucem), la sensibilité, l’intelligence et le naturel avec lesquels les différentes pièces sont abordées ; toutes ces qualités font honneur à des chanteurs dont aucun ne cherche à se faire valoir mais qui, tout au contraire, mettent tous, avec humilité et talent, de formidables ressources techniques et une vraie générosité au service d’un compositeur dont cette anthologie démontre à quel point il est fort injustement méconnu. Par la rareté du répertoire qu’il propose et l’excellence de l’interprétation, ce disque s’impose comme un incontournable digne de figurer dans toute discothèque de musique de la Renaissance.

Même si le nom de Leonhard Paminger n’évoque rien pour vous, je vous garantis que ce merveilleux enregistrement vous fera passer un très beau moment musical, à la fois dense et lumineux. Cette réalisation confirme Stimmwerck comme un ensemble de tout premier plan dans le domaine de la musique de la Renaissance, dont on aimerait que la renommée dépasse maintenant les frontières des pays germanophones. L’investissement de ces chanteurs au profit de musiciens peu fréquentés est un bonheur qu’il ne faut pas laisser filer, tant ce genre de courage se fait rare dans le paysage musical de notre temps.

Leonhard Paminger (1495-1567), Œuvres vocales sacrées. Sigismund Paminger (1539-1571), O Mensch, bewein dein Sünde groß.

Stimmwerck
Franz Vitzthum, contre-ténor. Klaus Wenk & Gerhard Hölzle, ténors. Marcus Schmidl, basse. Avec la participation de David Erler, contre-ténor.

1 CD [durée totale : 71’38”] Christophorus CHR 77331. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Sicut lilium inter spinas

2. Pater Noster

3. Disce Crucem

Illustrations complémentaires :

Portrait de Leonhard Paminger, au verso de la page de titre du Secundus tomus ecclesiasticarum cantionum... Quinta vox, Nuremberg, Dietrich Gerlach, 1573. Gravure sur bois, 15,5 x 19 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France.

La photographie de Stimmwerck est de Johannes Braus, tirée du site de l’ensemble.