Quelques expositions qu’il faut se dépêcher d’aller voir. Tout d’abord, Heinrich Kühn à l’Orangerie (jusqu’au 24 janvier) : pictorialiste autrichien, évoluant vers une approche plus pure, plus abstraite, il privilégie les études de forme et de lumière, recherchant la perfection formelle avant tout. Si ce paysage (’Soirée au bord du canal de Schleissheim”, 1899, Folkwang Museum, Essen) est encore tout empreint du romantisme pictorialiste, de par ses tonalités et ses nuances de gris, il montre aussi un sens de la composition, une géométrie complexe et un jeu de reflets et de lumière, qui anticipent son travail futur. Ami de Stieglitz et de Steichen, Kühn eut droit à un numéro entier de Camera Work en 1911, et ses photos montrent alors une préoccupation avec la forme beaucoup plus ‘moderne’. La première photographie de l’exposition est ce ‘Verre à eau’ de 1911 (à l’Albertina à Vienne) qui n’est qu’une pure étude de forme et de lumière, de réfraction et de tonalité. Kühn a aussi beaucoup photographié sa gouvernante-maîtresse (cachée), l’Anglaise Mary Werner à la chevelure de Madeleine pénitente: si ses photographies en famille (en particulier les autochromes, dont il fut un pionnier; mais deux seulement sont exposés ici, il faut se contenter du diaporama) sont vivantes et animées, ses nus sont souvent traités comme des objets, des natures mortes, sans psychologie, sans empathie, sans érotisme, ainsi ce ‘Buste de femme au soleil’ (1920, Houston) semble être de la même veine que le Verre à eau, formes et lumières. Son mépris pour le ‘photo-bolchevisme’ (la photographie à la portée de tous), son insensibilité au monde qui l’entoure, et son adhésion au parti nazi n’en font pas un homme très sympathique, mais c’est un témoin intéressant de la transition entre pictorialisme et nouvelle réalité. On lira avec intérêt le blog de Marie Lesbats, l’article de Claire Colin et le papier de Claire Guillot dans Le Monde.
Derniers jours aussi pour l’exposition
Beyond the Dust à l’Espace
Ricard (jusqu’au 29 janvier) : c’est le volet parisien d’une exposition qui s’est aussi déroulée à Middelburg et à Milan, et je n’en ai donc eu qu’une vue partielle, qui doit tempérer mon jugement. Le propos est de montrer le travail de douze jeunes artistes autour de l’archive et du document. Disons que seuls trois ou quatre des artistes présentés ici semblent avoir eu une véritable réflexion sur l’archive : est-ce un travail sérieux sur l’archive que de reproduire le mur de son atelier (Mark Geffriaud) ? est-ce une réflexion élaborée sur l’archive que d’éditer un nième poster sur les rhombicuboctaèdres (
Raphaël Zarka) ? est-ce vraiment un questionnement du document que de recomposer des planches de cartes à jouer
(Clément Rodzielski) ? qu’ont à voir avec la problématique de l’archive les (très beaux) moulages de lave d’Irene Kopelman ? Alors qu’on peut citer des dizaines d’artistes contemporains qui ont fait un travail autrement plus conséquent sur l’archive, de documentation céline duval à Naomi Tereza Salmon ou à Hadjithomas & Joreige (voir ce livre de Charles Merewether pour une bonne anthologie sur le sujet). Tout cela paraîtrait un peu léger et tiré par les
cheveux s’il n’y avait pas aussi le travail de
mise en abyme d’archive de l’exposition même réalisé par
Richard Sympson, la remarquable encyclopédie d’images à la Warburg de
Batia Suter ou la collection de photographies de studio de la fin du XIXème , américaines et japonaises, assemblée par
Linda Fregni Nagler (’A Life on the Ocean Wave’, plus haut) : ces personnages figés, posant dans des barques factices devant le photographe, ont une dimension funèbre (Charon ?), et leur juxtaposition est aussi une
Mnemosyne. Tout au bout, dans un stéréoscope, l’image du ‘Menteur’ de
Benoît Maire (ci-dessus à gauche) : se penchant, tentant de saisir une proie (un sujet, un concept), il n’attrape que du vent. Lui fait écho, sur le mur de Geffriaud, une reproduction
d’une photographie de 1929/1930 du surréaliste
Paul Nougé, ‘Les Spectateurs (la Naissance de l’Objet), de la série La Subversion des images’ (ci-dessus à droite) : la réalité invisible. Un petit bonheur supplémentaire : la revue Open Days, présentée en parallèle de l’exposition, a, en dernière page, cette photographie de la performance ’Zodiaco’ de
Gino De Dominicis en 1970 à Rome.
Derniers jours enfin pour l’exposition à la Mairie du 8éme arrondissement pour
Milène Guermont, artiste et ingénieure, qui travaille le béton (jusqu’au 27 janvier). Le béton, ce matériau froid et ingrat ? Vous découvrirez là du béton sensuel, du béton à caresser, du béton interactif, lumineux et sonore, du béton mystérieux, du béton évoquant des friandises, de la glace, de la lave, du béton dans lequel l’artiste insuffle la vie. Au-delà de la prouesse technique, au-delà de l’aspect émerveillant ou ludique de certaines pièces, j’ai préféré les pièces où la représentation était remise en question, où le béton offrait à sa surface une image s’ouvrant vers d’autres horizons. Ainsi de ce mirage (’Mirage 2′, impression de béton sur bois, 2010; détail plus haut) où le regard se perd à la surface, hésite entre sculpture, peinture, gravure ou photographie face à cette profusion de formes cristallines. Ainsi de cette ‘Impression Soleil Touchant’ (gravures
colorées polychromes sur béton blanc, 2010), décomposition chromatique du tableau de Monet, image déconstruite, tentant de parvenir à l’essence même de l’image, évoquant Roy Lichtenstein, alors que son travail sur une Cathédrale de Rouen du même Monet, va sur
les mêmes brisées, mais par l’épure, le dépouillement, la soustraction. Ainsi enfin d’une petite boîte noire percée de deux oeilletons vers lesquels il faut s’incliner pour découvrir dans la pénombre ce ‘Vulcano’ évocateur en béton gris, qui ne peut que renvoyer vers ‘
Étant donnés…‘.
Paul Nougé et Gino De Dominicis étant représentés par l’ADAGP, les photos correspondantes seront ôtées du blog dans un mois. Photo Linda Fregni Nadler courtoisie de la Fondation Ricard. Photos Milène Guermont courtoisie et ©de l’artiste