Programmeur de grand talent, le jeune Jet Bradley rêve de créer des jeux vidéo. Mais les portes de cette industrie lui restent fermées aussi doit-il accepter de rejoindre l’entreprise où travaille son père. Et à contre- cœur car en raison d’un passé commun douloureux, leurs relations restent houleuses, voire parfois même tendues… Pourtant, quand lors d’une conversation téléphonique entre eux le père de Jet semble avoir des ennuis, son fils se précipite pour lui venir en aide ; mais à son arrivée, le labo est vide et son père disparu…
Alors, un dispositif se déploie au-dessus de Jet et un laser le désintègre segment par segment. Quand il revient à lui, il ne reconnaît plus rien de ce qui l’entoure bien qu’il s’agisse de choses qu’il connaît très bien de par sa fonction même de programmeur. Car ces choses sont des programmes et des logiciels, et l’environnement où il se trouve le système d’exploitation d’un ordinateur… Pris au piège dans ce monde virtuel, Jet va devoir venir en aide à celui qui l’a envoyé ici avant de pouvoir rejoindre la réalité.
Mais cette aventure qui l’attend au tréfonds de la machine n’est-elle pas le plus grand défi auquel un programmeur puisse faire face ?
Comme son titre l’indique de façon plus ou moins claire, Tron 2.0 est en fait la séquelle directe du film culte Tron (Steven Lisberger ; 1982) produit par les studios Walt Disney Pictures qui signaient là ce qui reste certainement à ce jour encore leur œuvre la plus visionnaire. Situé 20 ans après les événements du film, cette suite nous offre un nouveau voyage au sein de la première véritable Matrix du cinéma mais à travers un point de vue plus mûr et surtout plus en phase avec un grand public mieux accoutumé à l’informatique depuis la démocratisation d’internet. Pour cette raison, ce titre se permet certains éléments narratifs qui ne pouvaient être envisagés à l’époque du film auquel il fait suite ; et certains de ces éléments narratifs impactent sa jouabilité…
Il ne s’agit pas pour autant d’impacts révolutionnaires, ni en terme de scénario ni en terme de game design ; sous bien des aspects, d’ailleurs, Tron 2.0 se contente le plus souvent de transposer dans l’imagerie du film original – volumes aux couleurs en aplats et aux arêtes tranchantes de manière franche sur le décor – des mécaniques de jeu somme toute assez classiques du genre FPS : en d’autres termes, les développeurs et les artistes de chez Monolith Productions se sont contentés de changer l’habillage – par exemple, au lieu d’utiliser des clés pour ouvrir des portes, on se sert de permissions pour accéder à des données, et au lieu de ramasser des munitions, on se recharge en énergie ; mais on trouve aussi quelques autres subtilités qui apportent une certaine fraîcheur.
Par exemple, Jet se trouvant réduit à l’état de programme dans un système d’exploitation, il doit reconfigurer ses systèmes suivant le type de système d’exploitation dans lequel il évolue : en simplifiant très grossièrement, c’est un peu comme un fichier conçu pour Windows et qui doit être converti pour pouvoir être utilisable sous Mac OS… Ainsi, Jet voit ses options se réduire ou bien s’accroitre selon l’environnement informatique où le mène son odyssée, de sorte que les routines et autres sous-programmes qui lui servent d’armes et d’équipement ne pourront pas tous être utilisés dans chacun des divers chapitres du jeu : le joueur devra choisir parmi ces options celles avec lesquelles ils se sent le plus à l’aise selon les objectifs à accomplir, ce qui constitue une forme de personnalisation, soit un aspect en quelque sorte « jeu de rôle » tout aussi inattendu que bien pensé.
Dans un registre semblable, les capacités de Jet évoluent avec les versions de son programme : accomplir certaines actions mais aussi ramasser certains types d’objets lui permet d’accumuler des sortes de points qui, quand ils le font passer à une version supérieure de son programme, se concrétisent par des modifications de ses paramètres de base ; on trouve parmi ceux-là sa santé, son énergie, la puissance de ses armes, sa vitesse de téléchargement des routines, e-mails et permissions trouvés au cours du jeu, ou encore sa puissance de calcul pour traiter les diverses données comme la conversion de routines inconnues, la défragmentation de ses systèmes ou encore la désinfection de ses routines corrompues par des virus.
Les routines téléchargées évoluent elles aussi d’ailleurs, bien qu’en utilisant un système de mise à jour assez différent : soit on en trouve des versions plus élaborées au cours du jeu, soit on trouve un type d’objet qui permet de choisir quelle routine on fera évoluer vers sa version supérieure. Chaque version supérieure, au nombre de deux évolutions possibles par routine, augmente l’efficacité de la routine. Parmi ces routines, on trouve des systèmes de protection tels qu’antivirus ou armures ; mais aussi des équipements permettant d’identifier les ennemis et leurs compétences, ou bien de se déplacer en silence, ou encore de faire des zooms à volonté, entre autres fonctions ; et puis bien sûr, on trouve aussi des armes…
Encore une fois, il ne s’agit la plupart du temps que de transpositions dans l’univers de ce titre de mécaniques de jeu déjà vues dans d’autres productions, mais qui participent néanmoins de façon considérable à l’immersion du joueur dans l’aventure puisque tout ici correspond à des technologies informatiques. Il en résulte une impression étrange, tout à fait comparable à celle qui accompagne la découverte du film original (1) et bien assez semblable à ces incursions dans le cyberespace qu’on trouve dans de nombreux romans de science-fiction se réclamant de la mouvance cyberpunk. Bref, quelque chose de non seulement unique mais aussi un pur rêve de ce qu’on appelle communément un geek.
Sur le plan du scénario, Tron 2.0 se pose aussi dans la droite lignée du film de départ : avec l’infection du réseau d’une entreprise de recherche en nouvelles technologies par un virus à l’extrême agressivité, ce récit commençant par de l’espionnage industriel classique qui vire assez vite à l’OPA hostile pour la possession d’une technologie capable de révolutionner le monde s’affirme comme une assez bonne illustration des luttes de corporations dans le but de s’accaparer la meilleure position sur un marché porteur – ce qui là aussi correspond assez bien au genre cyberpunk… Mais c’est aussi le récit plutôt inattendu sur un tel média d’un père et d’un fils qui devront apprendre à oublier le passé pour mieux se retrouver.
Ainsi, l’aventure de Jet le mènera-t-il de disques dur en mémoires vives, à travers l’environnement flamboyant d’un firewall comme le système d’exploitation minimal d’un PDA, dans des combats contre des virus tout en fuyant un formatage qui efface chaque bit sur son passage : dans ces océans de données et le long des torrents assourdissants des transferts de fichiers, au cours de compétitions de motos virtuelles lancées à plein tube sur la « grille » et en reconfigurant d’anciens systèmes obsolètes pour en extirper des informations oubliées, il assemblera peu à peu les données de l’« Héritage de Tron » (2) pour tenter de contrecarrer ce plan machiavélique…
Le tout servi à merveille par un moteur Lithtech alors au sommet de sa forme et dont les capacités de rendu dans cette charte graphique si particulière qu’est celle de Tron s’avèrent pour le moins époustouflantes ; Monolith a d’ailleurs ajouté diverses technologies tierces à la sienne afin de mieux servir ce projet déjà bien assez unique pour commencer. En tous cas, les machines actuelles permettent largement d’en tirer toute la substantifique moelle pour un effet d’immersion maximal dans un univers pour le moins… étonnant.
Pour ses qualités de jeu comme pour ses qualités scénaristiques et technologiques, Tron 2.0 s’affirmait à l’époque de sa sortie comme un très excellent titre dont l’intérêt n’a pas du tout faibli et qui reste encore à ce jour un jeu à ne manquer sous aucun prétexte : les fans de Tron tout comme les joueurs avertis y trouveront largement leur bonheur.
(1) qui était visionnaire mais pas révolutionnaire : pour remplir cette seconde condition il aurait d’abord fallu qu’il existe avant ce film au moins une autre production cinématographique sur le même thème et par rapport à laquelle Tron se serait affirmé comme une redéfinition complète du concept.
(2) ou encore « Tron Legacy » en anglais : j’ignore à ce stade s’il y a un rapport quelconque avec le film éponyme dont il est beaucoup question sur la toile depuis un certain temps…
Notes :
S’il existe une version Xbox de Tron 2.0 appelée Tron 2.0: Killer App, son adaptation sur Game Boy Advance sous le même titre s’avère très différente : au lieu d’un FPS, c’est un jeu mêlant action, tirs, plateformes et réflexion en un tout apprécié pour sa variété mais critiqué pour ses lacunes techniques en regard de la plateforme pour laquelle il a été développé.
La logique de la séquelle se trouvant ici à l’œuvre, ce titre propose donc de multiples clins d’œil et références au film original : le connaisseur pourra ainsi se livrer au fascinant jeu des clés tout le long de sa partie.
Tron 2.0
Monolith, 2003
Windows & Mac OS, env. 8 € (occasions seulement)