Communistes de Tunisie

Publié le 23 janvier 2011 par Jplegrand

Entretien avec Hamma Hammami publié sur le site mondialisation.ca

 

 

L’opposant Hamma Hammami dirigeant du Parti communiste des ouvriers e Tunisie met en garde contre toute tentative de «récupération de la révolution du peuple. Les hommes de Ben Ali tentent de reprendre les choses en main». «Ce n’est pas encore la victoire», estime-t-il, tant que les caciques et les institutions de l’ancien régime sont encore en place. Comme beaucoup d’autres forces politiques radicales, des syndicats et organisations de la société civile, Hammami revendique «l’élection d’une Assemblée constituante, la mise en place de nouvelles institutions et une élection présidentielle la plus démocratique qu’elle soit».

-Comment se présente la situation politique dans le pays deux jours après le départ de Ben Ali du pouvoir ?

 

La révolution démocratique est en marche. Le peuple tunisien a réussi, dans un soulèvement historique, à déposer le dictateur Ben Ali. A l’heure où je vous parle, il y a deux visions politiques qui s’affrontent. La première est celle menée par Mohammed El Ghannouchi, désigné par le président autoproclamé pour constituer un gouvernement de coalition nationale avec les partis dits légaux. Il faut dire que le président par intérim et le Premier ministre sont des caciques du régime. El Ghennouchi a entamé donc des consultations avec, notamment, le Parti démocrate progressiste, le Forum démocratique pour le travail et les libertés et le parti Ettajdid qui affichent leur disponibilité à faire partie d’un gouvernement de coalition même avec le parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel tunisien (RCD), le cœur du système Ben Ali et qui a dilapidé toutes les richesses du pays au service d’une seule famille et autour duquel gravitent des milices qui tentent de semer le désordre.

La deuxième vision est représentée par la rue qui a déposé Ben Ali et qui s’organise maintenant en des comités populaires dans les villes et villages pour défendre la sécurité des personnes et des biens, et les partis comme le nôtre, PCOT, le Congrès pour la République de Moncef El Marzouki, des structures régionales de l’UGTT, les organisations de la société civile comme le Conseil national tunisien pour les libertés, les avocats et les militants des droits de l’homme. Ce bloc refuse donc de travailler avec les hommes de Ben Ali et exige la mise en place d’un gouvernement d’union nationale sans les sbires de l’ancien régime. Le passage vers la démocratie ne peut se faire avec les caciques de Ben Ali. La dictature ne se démocratise pas. Le passage vers la démocratie nécessite l’élection d’une Assemblée constituante qui mettra en place les nouvelles institutions.

-Donc, ce n’est pas encore la victoire finale contre l’ancien régime…

 

Sans doute, nous sommes à mi-chemin de la victoire finale. Les hommes de Ben Ali tentent de voler la victoire au peuple. Nous considérons que les manœuvres d’El Ghannouchi et du président par intérim ainsi que le président de la Chambre des conseillers, qui est un des hommes de main de Ben Ali les plus cruels, sont une menace pour la révolution. Il y a risque de voir cette belle indépendance récupérée par ceux-là mêmes qui, il y a quelques mois, réprimaient et opprimaient le peuple tunisien. Nous sommes très vigilants et nous demandons aux partis qui veulent prendre part au gouvernement d’El Ghannouchi de faire attention, la colère du peuple ne s’est pas estompée.

-Pourquoi n’êtes-vous pas associés aux consultations menées par El Ghannouchi ? 

 

Il faut souligner que nous sommes toujours considérés comme des partis «illégaux» comme au temps de Ben Ali, alors que c’est le combat d’une génération de militants qui ont connu les pires atrocités dans les prisons de Ben Ali et l’exil. C’est le combat d’un peuple qui en a ras-le-bol de la terreur et de l’injustice d’un pouvoir tyrannique et qui a décidé d’en finir définitivement avec un régime et les hommes qui le symbolisent. Il est évident que nous ne soyons pas associés à des consultations menées par un des symboles justement de l’ancien régime. Nous aussi nous refusons de travailler avec lui. Tout comme le peuple, nous exigeons son départ. Nous voulons une rupture radicale avec l’ancien régime. El Ghannouchi doit rendre le pouvoir pacifiquement au peuple.

-Et pourquoi les partis «légaux» ont accepté de composer avec El Ghannouchi ?

 

De notre point de vue, ces partis ont commis une erreur en acceptant la proposition d’un gouvernement de coalition nationale sous la direction d’un Premier ministre qui est là depuis des années. Nous craignons fort le retour à un 7 novembre et l’avortement de la révolution démocratique. Il ne faut pas qu’on soit naïfs, les hommes de Ben Ali sont en train de manœuvrer pour se maintenir au pouvoir et échapper ainsi à des poursuites. Je dois dire aussi que les partis qui ont accepté de travailler avec El Ghannouchi de tout temps sont en embuscade et ne demandent qu’une part du pouvoir. Ils étaient aux aguets lors des événements. A aucun moment, ils ont exigé le départ de Ben Ali, se contentant d’appeler à des réformes et laisser Ben Ali y aller jusqu’à la fin de son mandat.

-Que faut-il donc pour faire aboutir cette révolution ?

 

Les Tunisiens ne vont pas rentrer chez eux tant que les barons de l’ancien régime sont encore là. Il y aura encore des manifestations de rue jusqu’à faire tomber le régime. Les Tunisiens s’organisent dans les villes et les quartiers. Si les hommes de Ben Ali avec la complicité des partis qui ont accepté de faire partie du gouvernement de coalition sous les institutions de la dictature pourraient connaître le même sort que Ben Ali.

-On s’interroge sur le rôle et le poids de l’armée dans cette phase cruciale…

 

L’armée tunisienne a de tout temps été écartée du pouvoir. Il faut rappeler que la Tunisie sous Ben Ali était un véritable Etat policier. L’appareil sécuritaire était structuré autour du ministère de l’Intérieur avec des milices parallèles composées des éléments du parti au pouvoir, le RCD. Le tout est contrôlé par le dictateur Ben Ali et sa belle-famille qui avait une grande une influence sur l’appareil policier. Le fait que l’armée était écartée du pouvoir lui permet de jouer un rôle dans cette phase. Nous avons toujours appelé cette armée pour justement intervenir afin de déposer Ben Ali. Elle jouit d’une autorité morale pouvant lui permettre d’agir dans l’objectif d’assurer le passage à la démocratie.


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