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Réforme de la garde à vue : victoire du droit ou victoire du lobby des avocats ?

Publié le 22 janvier 2011 par Hmoreigne

 Liberté, égalité, garde à vue. Bousculé par les rappels à l’ordre sans équivoque du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le législateur français dans une précipitation peu compatible avec l’importance du sujet, s’est attelé à une réforme de la garde à vue. Une réforme rendue d’autant plus impérative que leur nombre a triplé depuis 2001 et que les conditions de détention sont incompatibles avec le respect de la dignité dans une démocratie moderne.

France, ta démocratie fout le camp. Selon un sondage récent de la Sofres publié dans Philosophie Magazine, 49 % des sondés estiment que la démocratie a reculé en France depuis une dizaine d’années. L’idée de la démocratie c’est un État de droit garanti par un équilibre des pouvoirs et des dispositifs multiples qui limitent l’arbitraire de l’État. A cet égard les résultats du sondage évoqué précédemment sont logiques du fait des multiples rappels à l’ordre dont la France a été l’objet au regard notamment des standards européens en termes de libertés publiques.

Avec la multiplication très inquiétante du nombre de gardes à vue qui a atteint en 2009 le chiffre faramineux de 900 000 (dont 300 000 pour des délits routiers), les Français ont légitimement le droit de s’interroger sur la nature du régime dans lequel ils vivent.

Il ne s’agit pas de mettre en cause l’attachement de la police au respect des valeurs républicaines, mais de s’interroger sur une responsabilité partagée, notamment entre le législateur censé veiller au respect des libertés individuelles, le pouvoir politique obnubilé pour des raisons électorales à une culture du chiffre et enfin, des citoyens prêts à sacrifier un peu de leur liberté pour plus de sécurité.

Avec raison, les syndicats de policiers demandent à ce que la réforme de la garde à vue s’inscrive dans un toilettage complet du code de procédure pénale. Celui-ci est d’autant plus incontournable que depuis quelques décennies, la qualité du travail législatif s’est particulièrement dégradée en faveur d’un empilement de textes souvent mal faits et pris en simple réaction aux faits divers du moment.

Le problème de la garde à vue est triple. Tout d’abord, son nombre global laisse penser que nous sommes en présence du dévoiement d’un dispositif prévu par la loi pour obtenir des preuves et des aveux vers un système d’intimidations et de privations de liberté aux mains des policiers, en dehors de tout contrôle judiciaire. On objectera que normalement, toutes les gardes à vue se font sous le contrôle du parquet mais, dans la pratique celui-ci, compte tenu de ses effectifs, est dans l’incapacité matérielle de l’effectuer et se contente le plus souvent de donner un simple feu vert par téléphone.

Deuxièmement la garde à vue pose le problème de l’équilibre nécessaire à trouver entre l’efficacité policière et le nécessaire respect des droits de la défense. Et c’est là, où la présence d’un avocat trouve tout son sens, n’en déplaise à la police.

Enfin, la garde à vue à la française est marquée au fer rouge par les conditions dégradantes pour la dignité de la personne humaine du fait des conditions dans lesquelles elles se déroulent. Dans ce contexte, la garde à vue contribue largement à la mauvaise image des citoyens à l’égard d’une police qui est perçue comme suspecte, inquisitoriale au mauvais sens du terme et non protectrice de la population.

Par ailleurs le fossé immense entre le nombre de gardés à vue et les incarcérations, puisque la France ne dispose que de 63 000 places dans un état lamentable, laisse à penser que la police fait du zèle et que la justice est laxiste. C’est donc toute la chaîne judiciaire qui pâtit de cette situation.

À tort, de nombreux policiers voient dans la forme la garde à vue un cadeau offert à la profession des avocats et une entrave supplémentaire à leur fonctionnement. En creux, ils suspectent les avocats d’être financièrement gagnants dans cette réforme alors que  les forces de l’ordre doivent faire face à une réduction de leurs budgets et de leurs effectifs dans le cadre de la RGPP. Ce qui est vrai en revanche, c’est que l’ensemble de la chaîne pénale et policière ne dispose pas de moyens financiers suffisants pour fonctionner.

Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si à l’occasion du vote jeudi 20 janvier à l’assemblée nationale d’une disposition prévoyant, sous certaines conditions, la présence d’un avocat tout au long de la garde à vue, le syndicat de la magistrature par la voix de Mathieu Bonduelle ait estimé qu’il s’agissait d’une réforme “contrainte”, menée par un gouvernement “qui fait le minimum” et “qui n’a pas d’ambition réelle”.

La fermeté des sages de la rue de Montpensier impose à l’État d’être réactif dans la mise en oeuvre de la réforme en posant comme date butoir le 1er septembre 2011. Le délitement de l’Etat est tel que malgré l’anticipation nécessaire qui aurait dû entourer le sujet on puisse douter de sa capacité à réaliser dans le temps imparti, une réforme à la hauteur, acceptée et partagées par les acteurs concernés, qui ne soit pas un replâtrage rapide.

Les positions divergentes affichées au sein du gouvernement laissent craindre le contraire. Une situation tristement ubuesque dans laquelle le Premier ministre fait part “de la nécessité de trouver un compromis, un équilibre sans déstabiliser nos forces de l’ordre” quand dans le même temps, le ministre de l’intérieur, oubliant qu’il est d’abord ministre de la république, rappelle qu’il sera “attentif à ce que la réforme n’empêche pas les force de sécurité d’accomplir leur travail au service des victimes”.

Comme maître Eolas , l’avocat le plus célèbre de la blogosphère, on peut espérer que cette avancée en matière de garde à vue constitue un coup d’arrêt aux atteintes répétées à nos libertés publiques officiellement justifiées à la fois par une empathie électoraliste à l’égard des victimes et par des mesures d’exception au titre de la lutte contre le terrorisme.

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