Tunisie : vers une révolution détournée ?
Vers une démocratie volée et une fraude électorale massive ?
Or, la fuite d'un homme, aussi symbolique soit-elle,
constitue-t-elle une révolution achevée ? Tout le monde sait que le RCD n'est pas
un homme, mais une gigantesque machine administrative qui a investi tous les échelons
des appareils d'état. Il vient certes de recevoir deux coups durs de la rue : 1)
il s'est débarrassé de son chef, devenu plus que jamais impopulaire; 2) il
vient de perdre une grande partie de sa base répressive, la police, dont la
main mise sur le citoyen ne sera plus jamais comme avant. Tout porte à croire
que l'armée, rangée du côté de la population révoltée, devrait jouer un rôle de
plus en plus important dans l'avenir.
Mais revenons à ce gouvernement provisoire. Il compte parmi ses membres une majorité formée par les architectes de la dictature. Peut-on sérieusement attendre de ces caciques du régime qu'ils se transforment en l'espace de quelques semaines en défenseurs loyaux de la démocratie ? Ben Ali n’a-t-il pas déclaré que si Ghannouchi et Mebazaa sont au pouvoir, c’est comme si il y était lui-même ? Les membres de l'opposition qui en ont démissionné assurent que les pratiques du passé sont encore en vigueur au sein de cette équipe.
Dans sa mission de sauver le régime, le gouvernement
provisoire poursuit un double objectif : d’abord parer au plus urgent en
obtenant du peuple l’arrêt immédiat des manifestations. Pour cela, il convient
de l’effrayer avec le spectre du « chaos », en le convaincant que des
manifestations pacifiques mèneraient à des lendemains incertains, voire à la
ruine du pays. Ensuite, deuxième acte du plan antidémocratique, il préparera
un bourrage d’urnes précédé d’une campagne électorale déséquilibrée, en faveur
du candidat du pouvoir.
Il reste cependant deux inconnues. Le peuple n’a pas dit son
dernier mot. Il continue à manifester et à réclamer le départ immédiat de ceux
qui manigancent pour lui voler sa démocratie. Deuxième inconnue, on ne sait pas
quelle sera la réaction de la rue quand elle se rendra compte que les élections
ont été truquées, qu’elle a été dupée.
La solution pour parvenir à la démocratie pour la Tunisie ne
me semble pas être celle qui consiste à dormir sur les lauriers d’une première
victoire, fragile et réversible. Au contraire, tout reste à faire. Le régime
est encore là. Plus que les hommes politiques de l’opposition, les citoyens qui
continuent à investir la rue l’ont compris avec une rare perspicacité politique :
il faut continuer les manifestations pacifiques jusqu’à ce que le régime tombe
complètement. Cette formidable mobilisation populaire ne sera pas toujours
possible. Le régime ne peut tomber qu’aujourd’hui, tant que les Tunisiens sont
unis et portés par la même vague de colère. Ce qui fait peur, ce n’est pas le « chaos »,
mais « l’ordre » qui a jusque là étranglé les libertés et les
aspirations sociales et économiques du Tunisien et que les hommes du RCD
veulent à présent sauver. Alors, Tunisiens, encore un effort !
Nous comptons sur votre révolution. Si elle réussit, elle
sera la Révolution française du monde arabe. Si elle échoue, elle n’ajoutera qu’amertume
à notre façon de voir l’avenir, après l’échec algérien et les déboires de la
démocratie en Mauritanie.
Tunisiens, encore un effort !
Naravas
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Quelques liens :
Les intellectuels bougent :
- Réaction : les propos de Noam Chomsky sur la révolution tunisienne.
- Intellectuels tunisiens et algériens réagissent : Hélé Béji, Abdelwahab Meddeb et Lahouari Addi.
- Sophie Bessis, Abdelwahab Meddeb et Sihem Bensedrine réagissent sur France Inter.