Encore 28 millions d’euros pour le groupe Bolloré…
Retour sur un billet du 13 mai
2007, « Pschitt » politique : Sarkozy-Bolloré, petits mensonges entre amis : « Le débat du symbolique a été tranché. L’opinion publique s’estime, dans un
pourcentage déprimant (sondage réalisé par l’institut qui appartient à Bolloré !), « pas choquée » que
l’ex-prétendu « candidat du peuple » dépense pour ses trois jours
de croisière, en guise de retraite ascétique, environ dix-sept années de revenus d’un employé au salaire minimum. Ainsi va la France de droite.
Reste qu’ont été bien vite escamotés les autres aspects de l’affaire. Les symboles sont certes importants, mais nous parlons
aussi des rapports entre pouvoirs politique et économico-médiatique. De soupçons de corruption. Et de mensonges avérés. Donc de morale publique. Or, tout cela été bien vite
passé par pertes et profits. Ça a fait « Pschitt », suivant l’expression du cynique escroc qui
a tenu douze ans à l’Elysée. Alors revenons-y.
« J’ai dit ça, moi, que je n’avais jamais eu aucune relation avec l’Etat français ? Bon,
d’accord, presque aucune relation. Mais vous n’allez quand même pas m’embêter pour 38 millions d’euros de marchés publics ! » Si, Monsieur Bolloré. Quand il a été su que vous avez
hébergé notre nouveau riche de futur président sur votre yacht, vous vous êtes donc défendu de n’avoir jamais
fait des affaires avec l’Etat.
Or vous mentiez, pensant sans doute que nul n’allait vérifier : et votre filiale logistique SDV ? Elle a obtenu
le 10 août 2006 l’attribution du marché du « traitement de la valise diplomatique fret » par le ministère des Affaires étrangères (entre 1,4 et 5,6 millions d’euros) et avant
cela, le 17 juin 2005, celui de « transport de fret par voie aérienne commerciale à la demande et pour le compte du ministère de la Défense » (36 millions, hors-taxes). Et vous
détenez la Société Française de Production, via une participation de 40,6% dans Euro Média Télévision. La SFP dont 25% de l’activité provient de… commandes publiques.
La SFP, appartenant jadis à l’Etat, que vous avez rachetée au quinzième de sa valeur, selon la CGT. Vous
mentiez effrontément donc et aujourd’hui, confondu, vous minimisez : les affaires que vous faites avec l’Etat ne représentent « quasiment rien » dans l’activité de votre
groupe. N’empêche qu’elles existent, contrairement à ce que vous avez d’abord tenté de prétendre. Et que dire alors de l’attitude dans cette histoire de Nicolas Sarkozy ? L’homme qui a
promis « je ne vous mentirai pas » vous a emboîté le pas, déclarant : « Il n’a jamais travaillé avec l’Etat ». L’homme qui ne devait pas mentir a
proféré son premier mensonge avant même son investiture, une manière de record ! Mais dans quel but ? C’est que, de la part du futur président, accepter l’invitation de l’homme
d’affaires frôle l’illégalité : la corruption se définit comme la « rétribution illicite de personnes investies de responsabilités dans le secteur public ou privé (…) et qui vise à
procurer des avantages indus de quelque nature qu’ils soient, pour eux-mêmes ou pour un tiers » (Conseil de l’Europe). Mettre à disposition un avion et un yacht est bien une
rétribution, sous forme d’avantages en nature.
Et l’on ne voit pas en quoi elle serait licite : quelle tâche aurait accompli Sarkozy méritant rétribution par Vincent
Bolloré ? Ou est-ce une rémunération anticipée ? Une entreprise devant une partie de ses bénéfices à des commandes publiques a tout intérêt à entretenir les meilleurs rapports du monde
avec les politiques au pouvoir, c’est l’évidence. Et la raison pour laquelle Sarkozy aurait dû payer, pour dissiper l’hypothèse d’un renvoi d’ascenseur. Que pensera-t-on la prochaine fois
qu’une entreprise du groupe Bolloré remportera un marché public ? Qu’elle l’a mérité grâce à la qualité de sa réponse au cahier des charges, ou qu’on aura su en haut lieu user de
pressions pour remercier le généreux pourvoyeur de yacht de la présidence ? Les marchés financiers ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, puisque l’action a bondi de 5% lorsque fut connue la
collusion entre Bolloré tour-opérateur et Sarkozy touriste en attente d’investiture. Pourquoi le titre aurait-il donc pris de la valeur, si le généreux don de Bolloré à Sarkozy ne servait
pas les affaires du groupe ?
Il y a également un autre aspect qu’il convient de ne pas passer sous silence, même si l’UMP, et l’on comprend bien pourquoi, claironne l’air du « circulez, y’a rien à (sa)voir » : le jet privé qui a emmené Sarkozy à Malte et l’a ramené à Paris, le fameux Falcon 900 EX (photo ci-contre), n’appartient pas à Vincent Bolloré mais à son groupe. En le mettant à la disposition du futur président, Bolloré se rend donc coupable d’abus de biens sociaux et… Sarkozy de recel d’abus de bien sociaux ! »
Trois ans et demi plus tard…
Ami plumonaute, vous aurez su débusquer la phrase clé simplement remise en contexte par le long extrait de nos
archives ci-dessus : « Que pensera-t-on la prochaine fois qu’une entreprise du groupe Bolloré remportera un marché public ? » A mettre en parallèle avec
l’article du Canard enchaîné qui annonce le 5 janvier dernier : « Trois ans après la croisière de Sarkozy sur le yacht, l’Etat a payé 28 millions
d’euros de contrat pub au groupe Bolloré ».
Ainsi détaillés : « la joyeuse opération de propagande en faveur de la reforme des retraites a été facturée
presque 11 millions par Havas, société que l’industriel breton
contrôle, et par Aegis, dont il détient 29,9%. C’est toujours le même bienfaiteur du Président qui, grâce aux équipes de Séguéla, a conçu l’étourdissante campagne destinée à promouvoir l’activité
physique des citoyens urbains. Soit 10,5 millions pour des panneaux publicitaires temporaires, installés a la sortie des bistrots dans une dizaine de villes.
Même en période de crise, le président n’oublie pas ses amis
milliardaires.
Sous le slogan « Bouger, c’est facile », ils encouragent chacun à se rendre à la poste, à la gare, à l’hôpital à pied ou à vélo. C’est encore à cet inévitable Bolloré que les
(jeunes) Français en manque de sensations fortes doivent la virile promotion en faveur de l’armée de terre. Dans des clips plus vrais que nature, le téléspectateur est invité à rejoindre nos
vaillants soldats aux quatre coins du monde. Montant du paquetage : 6,4 millions, avec la promesse de devenir soi-même. »
Pour faire bonne mesure, précisons que Bolloré a été promu commandeur de la Légion d’honneur en avril 2009. Et d’aucuns avaient trouvé saumâtre la création d’une nouvelle niche fiscale en octobre 2008
– et qui a depuis lors miraculeusement (sic) échappé aux « coups de rabots » : «
Ainsi, dans la nuit du 21 au 22 octobre, il a fait passer un amendement de son fidèle député des Hauts-de-Seine, Frédéric Lefebvre, pour faire bénéficier son ami milliardaire Bolloré d’un avantage fiscal
considérable supplémentaire. C’est un beau cadeau que vient de faire Nicolas Sarkozy à son ami,
avec notre argent ! Et quelle riche idée de l’emballer sous l’étiquette du co-développement ! (…) L’emballage est parfait et l’on ne devinerait pas, à lire l’exposé des motifs du
texte, qu’il s’agit de favoritisme : « participer au développement et à la création d’emplois dans les pays en voie de développement et plus particulièrement en Afrique ».
(…)Seulement voilà, l’amendement aura un effet rétroactif. Or, « lorsqu’on crée une niche fiscale, c’est d’habitude pour attirer les investisseurs. Là, on va défiscaliser l’ensemble des
investissements réalisés depuis l’année dernière, c’est on ne peut plus étrange », fait justement remarquer le député socialiste Jérôme Cahuzac. » En lisant tout cela, difficile de ne pas observer que,
décidément, ça rapporte gros de prêter yacht et avion au président de la « République irréprochable ». Et que nous avions bien raison de nous insurger en mai 2007. Au bout du compte,
l’histoire jugera les siens, et le verdict sera cruel pour l’actuel hôte de l’Elysée.
PS : à propos de Vincent Bolloré, son empire et la Françafrique, lire le dossier complet de Poch’Power.
Par Olivier Bonnet pour son blog « plume de presse« Soutenez ce blog ! Votre serviteur, journaliste au chômage, tente le pari de vivre grâce à plumedepresse : pour deux euros, rejoignez le Club des plumonautes en vous abonnant pour un mois au Kiosque permanent, le rendez-vous pluri-quotidien de notre revue de Web, actualisée en temps réel six jours sur sept.