Dessinateur : Lewis Trondheim
Scénariste : Lewis Trondheim
Parution : Octobre 2010
L’ouvrage dont je vais vous parler aujourd’hui s’intitule « Bludzee ». Il est édité chez Delcourt et sa parution date du mois d’octobre dernier. Il est écrit par Lewis Trondheim, un des auteurs de bandes dessinées les plus talentueux de sa génération. Cet opus est d’un format peu académique. En effet, il est en mode « paysage » de largeur dix-huit centimètre et de hauteur treize centimètres. Le bouquin est composé de plus de trois cent cinquante pages, ce qui a également tendance à le démarquer des parutions plus classiques. Il est vendu au prix de vingt-cinq euros.
J’ai appris après avoir terminé ma lecture que « Bludzee » est à la base le fruit d’un projet pour le moins original. Il est en effet, le premier héros de bandes dessinées créé pour être lu sur téléphone portable et sur internet. En effet, chaque jour pendant un an, une aventure de six cases vous était offerte si vous vous étiez abonnés à ce service. Le livre édité chez Delcourt n’est que le regroupement de toutes ces histoires quotidiennes qui forment une trame longue et passionnante. Pour en savoir plus sur ce projet et sur les origines de tout cela, je vous incite à vous rendre sur le site www.bludzee.com. Mais je vous rassure, « Bludzee » peut se lire comme un album classique. Le fait d’avoir été abonné ou non précédemment ne présente aucun intérêt quant au plaisir de votre lecture.
Ce cher Bludzee est un chat noir avec de grands yeux bleus. Durant les premières pages, on le découvre seul dans un appartement. Il semble avoir été abandonné par son maitre. Ses seules occupations semblent être d’aller sur Facebook, regarder par la fenêtre et se nourrir. Mais au bout d’un moment, apparaissent de nombreux personnages colorés et ne lui souhaitant pas que du bien. Bludzee va-t-il arriver à survivre dans ce milieu hostile dans lequel la vie de chat n’est pas aussi calme qu’elle pouvait le paraître…
Ce bouquin s’adresse à tous les publics. Les petits comme les grands prendront plaisir à suivre les aventures de ce chat qui saura faire chavirer le cœur de chacun. Le ton est léger et conviendra à tout le monde. Comme souvent, Trondheim nous offre une œuvre drôle utilisant tout autant le comique de situation basique que des dialogues souvent très réussis. La mélancolie ne trouve jamais vraiment sa place dans l’histoire. On prend plaisir à suivre les aventures de Bludzee et nos zygomatiques sont régulièrement mis à contribution. L’histoire possède également une dimension de science-fiction. En effet, les autochtones sont loin de posséder des traits humains classiques. Ils sont soit des espèces d’extra-terrestres soit des animaux doués de la parole. Le dépaysement n’en est que plus facile.
Côté scénario, Trondheim ne nous déçoit pas. Le fait que son histoire s’étale sur plus de trois cent cinquante pages fait qu’il a le temps de nous faire mariner avant de nous immerger réellement dans la trame. Les premières pages laissent à penser que chaque page est indépendante et nous montre le quotidien d’un chat dans un appartement. Mais au bout d’un moment apparaissent d’autres personnages qui vont devenir de réels protagonistes. Une chose en amenant une autre, la toile devient de plus en plus dense. Le côté léger du début de l’histoire nous plonge dans une aventure originale dont la quête nous est passionnante. L’histoire voit son intérêt croitre au fur et à mesure que les pages défilent. On se demande vraiment où veut nous mener l’auteur. Il est rare de voir une telle évolution dans un album. On a tout le temps envie de découvrir la page suivante. Du fait de son format de base « un jour, un histoire », cela oblige chaque page à présenter un attrait propre. Cela rend la trame dense et sans coup de mou. Chaque page est composé soit d’une situation décalée, d’un gag hilarant, d’un dialogue profond ou au contraire léger et drôle. Bref, à aucun le vide scénaristique n’a sa place.
Côté personnages, longtemps on croit que notre cher Bludzee est seul. Ce n’est finalement pas le cas. Il se fera des amis, rencontrera beaucoup d’ennemis. Bref, une grande galerie de personnes va venir lui rendre visite. Chacun à des caractéristiques propres et relance l’histoire. Evidemment, tous n’ont pas la même place dans le scénario global mais aucun n’est utile et chacun participe à la réussite de l’ensemble. Une des réussites de « Bludzee » vient également de l’empathie qu’on ressent pour le personnage principal. Dès les premières pages, ce chat aux grands yeux bleus nous est sympathique. Cela rend notre lecture particulièrement active. On a peur pour lui, on est content de le voir de sortir des guêpiers dans lequel il se trouve souvent plongé. Bref, on souhaite son bien. Le talent de l’auteur est de nous faire ressentir tous ses sentiments dès les premières pages de l’ouvrage. Je ne tiens pas trop à vous décrire et vous lister les autres personnages importants. La richesse de « Bludzee » est de nous offrir une lecture dans laquelle nous avançons à l’aveugle. Nous n’avons aucune idée de l’endroit vers lequel l’auteur nous mène ni quel chemin il a décidé d’emprunter. Je ne voudrais vous gâcher ce plaisir en vous en dévoilant trop.
Comme vous l’aurez compris, je me suis laissé porter et captiver par l’histoire. Malgré son côté peu orthodoxe et parfois sans queue ni tête, je me suis plongé avec appétit dans ce bouquin. En le lisant le soir en me couchant, j’ai toujours eu du mal à m’en défaire. J’avais toujours envie de me dire : « Encore une dernière page… » Je pense que je prendrais autant de plaisir en le relisant. Du fait de la grande densité de l’ouvrage, j’ai du passé à côté de plein de choses ou en tout je n’ai pas du tout savouré à sa juste valeur. J’ai également pris plaisir à retrouver la magie que Trondheim montrait dans des ouvrages tel que « Lapinot et les carottes de Pentagonie » ou encore « Mildiou ». J’ai pris plaisir à découvrir à nouveau cette impression que l’histoire n’est qu’une seule et unique scène…
Les dessins sont à l’image du style traditionnel de Trondheim. Le trait est continu, les dessins sont simples. Les personnages sont plutôt en rondeur. Les décors sont minimalistes. L’accent est vraiment mis sur l’action des personnages. Le fait de ne pas tracer le découpage des cases rend chaque page aérée. Les couleurs sont vives et variées : du rose, du jaune, du turquoise, du noir, du rouge, du bleu… Il y en a pour tous les goûts ! Toutes ces couleurs participent au plaisir de la lecture.
En conclusion, j’ai pris énormément de plaisir à découvrir « Bludzee ». J’ai eu l’impression de retrouver le Lewis Trondheim d’il y a quelques années quand ses histoires étaient moins structurées et plus « olé, olé ». Je ne dis pas que ses œuvres sont moins bonnes, très loin s’en faut. Mais j’ai pris énormément de plaisir à voir à nouveau ce cher Lewis quitter les sentiers battus. « Bludzee » s’adresse vraiment à tous les publics des plus petits au plus grands. Il ne nécessite aucun pré-requis bédéphile. Il ne vous reste plus qu’à aller découvrir ce cher félidé amateur de croquette et au regard attendrissant…
par Eric the Tiger
Note : 17/20