Partis de l’opposition et société civile : La coordination se met en place
Partis politiques, syndicats autonomes et diverses associations de la société civile se concertent en vue d’engager une
dynamique de mobilisation visant à reconquérir «les espaces publics que le pouvoir a confisqués».
La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH – aile Mustapha Bouchachi), le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap), le Collectif des lycées d’Algérie (CLA), le Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef) et la Coordination des sections du CNES (syndicat des enseignants du supérieur), auxquels se sont joints le Front des forces socialistes (FFS), le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le Mouvement démocratique et social (MDS – aile Hocine Ali), le Parti pour la justice et la liberté (PLJ) ainsi qu’une dizaine d’associations de la société civile parmi lesquelles RAJ, SOS Disparus, le Comité des chômeurs du Sud et le Syndicat des étudiants de Tizi Ouzou, ont convenu, hier à Alger, au terme d’une réunion de près de quatre heures, de se constituer en Coordination nationale afin de «provoquer non pas un changement dans le régime, mais un changement du régime». Le Cnapest (syndicat des enseignants du secondaire), qui a participé à cette réunion, a demandé un temps de réflexion avant d’adhérer à l’initiative.
C’est sans doute la première fois depuis de longues années qu’autant de syndicats autonomes, de formations politiques et d’associations de la société civile conviennent de mener des actions sous le même étendard. Le mérite revient sans doute à maître Ali Yahia Abdenour et à maître Bouchachi, qui ont su trouver les mots justes pour convaincre tous les acteurs de s’asseoir à la même table et d’aller dans le même sens.
La dernière fois où les partis avaient fait cause commune remonte à 1997. Le FFS, le RCD, le PT, El Islah et le MSP avaient, rappelle-t-on, battu ensemble le pavé à Alger pour dénoncer la fraude massive qui avait entaché les élections législatives organisées en juin de la même année. Il faut dire aussi que depuis le retrait mémorable, en 1999, des adversaires de Abdelaziz Bouteflika de la course à la présidentielle, les partis politiques de l’opposition ont beaucoup plus passé leur temps à s’entredéchirer et à cultiver leurs divergences plutôt qu’à s’opposer au pouvoir et à convenir d’un SMIG politique sur la base duquel ils pourraient travailler ensemble. Une prise de conscience se serait-elle vraiment opérée au sein de la classe politique et syndicale ? Cela veut-il dire que l’expérience et les leçons de ces 20 dernières années ont été assimilées par la société civile ?
C’est ce que, visiblement, il faut déduire des discours tenus par les participants à cette rencontre. Aussi, l’idée de s’organiser en coordination, ont souligné unanimement les représentants des syndicats et des partis appelés à y siéger, découle du constat selon lequel «aucun acteur politique ou syndical ne saurait parvenir, seul, à provoquer le changement» et qu’«il n’y a rien à attendre d’un pouvoir qui refuse le dialogue et qui utilise la terreur et la corruption comme mode de gouvernance». D’où la nécessité, ont-ils soutenu, «de travailler main dans la main» pour «briser le mur de la peur et se réapproprier les espaces publics que le pouvoir a confisqués par la force de la matraque».
Tout le monde a également convenu du fait que depuis les dernières émeutes, la situation s’est considérablement aggravée et qu’il fallait agir pour provoquer un changement en profondeur et non un énième replâtrage.
En attendant de provoquer le changement souhaité, les participants à cette réunion – abritée par la Maison des syndicats de Dar El Beïda – ont retenu le principe d’organiser, le 9 février prochain, date qui correspond au 19e anniversaire de l’instauration de l’état d’urgence, une marche à Alger pour exiger la levée de l’état d’urgence, la libération des jeunes arrêtés durant les émeutes du 5 janvier dernier et l’ouverture des champs politique et médiatique. Mais d’ores et déjà, la majorité des présents à la Maison des syndicats a soutenu individuellement la marche à laquelle a appelé le RCD, qui est prévue pour aujourd’hui à Alger, et qui reprend, pour ainsi dire, les mêmes revendications.
«L’armée doit rentrer dans les casernes»
Dans leurs prises de parole, le secrétaire général du Snapap, Rachid Malaoui, le responsable de la coordination des sections du CNES, Chouicha Kadour, et le représentant du Satef, Sadali Mohamed Salem, ont tous mis l’accent sur le fait qu’«il est illusoire de penser qu’il est possible de défendre les travailleurs dans un pays où les libertés sont quotidiennement foulées aux pieds». «Le problème de l’Algérie est un problème de fond. Le Snapap se sent interpellé par les problèmes de la société et le drame que vit la population. Un syndicat qui n’a pas de lien avec la société n’est pas un syndicat. Nous ne pouvons pas nous contenter de nous comporter en spectateurs et de nous limiter à demander uniquement des augmentations de salaire. Nous ne sommes pas des tubes digestifs. Les syndicats doivent sortir de leur corporatisme», a lancé M. Malaoui, avant d’exiger, lui aussi, «un changement du régime» et un «gouvernement légitime et représentatif».
Tous les présents se sont également entendus sur le fait que «c’est l’armée et le DRS qui gèrent réellement le pays et qui sont responsables de la crise». «Le problème c’est eux. Ils doivent quitter le champ politique et rentrer dans leurs casernes», ont-ils répété les uns après les autres.Abdelaziz Bouteflika et les autres décideurs du pays en ont également pris pour leur grade. Ils ont été accusés de se comporter en «véritables colonisateurs et de pousser les jeunes à se suicider et à devenir des terroristes». Très critiqué à cause du «mépris» qu’il affiche à l’égard de la population, le chef de l’Etat a été accusé, en outre, de bâtir un système à la Ben Ali pour réduire le peuple à un statut de simple sujet.
Dans ce contexte, Mohamed Saïd, président du PLJ, a prévenu que si le pouvoir s’entête encore à verrouiller les espaces politiques et médiatiques et à empêcher la population de s’exprimer pacifiquement, il prend le risque de voir se réaliser en Algérie un scénario à la tunisienne. Si cela venait à se produire, Mohamed Saïd dit craindre de voir l’Algérie vivre le pire et les fondements de l’Etat vaciller, car la situation a atteint un niveau de pourrissement avancé.
A noter que les participants ont retenu le principe de se revoir la semaine prochaine «pour approfondir la réflexion» et élargir la coordination à d’autres acteurs de la société civile.