Enseignement de ptahhotep - prémices 1 : ptahhotep n'est pas l'auteur des maximes de ptahhotep !

Publié le 22 janvier 2011 par Rl1948

   Comme je vous l'annonçais dans mon billet de rentrée samedi dernier amis lecteurs, c'est sur ce que d'aucuns nomment les Maximes, d'autres les Sagesses, d'autres encore l'Enseignement de Ptahhotep que désormais chaque fin de semaine j'aimerais un temps attirer votre attention.


   Mon but avéré, souvenez-vous, réside dans le fait qu'il m'agréerait de vous convaincre qu'avec ce texte égyptien antique, nous sommes en présence d'un des premiers corpus philosophiques de l'Humanité ; quelques siècles avant la toute puissante Raison grecque, quelques siècles avant ce que l'Université persiste à nommer le Miracle grec en la matière.

   Pour évoquer cette oeuvre cardinale de l'éthique égyptienne, j'appellerai à la barre trois savants qui, parmi quelques autres grands philologues, l'ont analysée.

     Le pionnier, Zbynek ZABA. Les plus attentifs d'entre vous se souviendront - il m'est décidément difficile de quitter l'égyptologie tchèque ! - qu'il fut l'objet d'un des articles qu'en mars 2010 j'avais consacré aux grands précurseurs de cette science en bords de Vltava.

   Bien que parfois considérée comme quelque peu dépassée, son étude Les Maximes de Ptahhotep, rédigée originellement en français et publiée à Prague en 1956 par l'Académie tchécoslovaque des Sciences, peut à bon titre toujours être considérée comme l'ouvrage de référence.

   Ensuite, Pascal VERNUS. Ce remarquable égyptologue français dont j'ai déjà sur ce blog maintes et maintes fois épinglé l'excellence de son incontournable Dictionnaire amoureux de l'Egypte pharaonique (Plon, 2009), a en effet proposé en 2001, aux éditions de l'Imprimerie nationale, à Paris, un travail également indispensable, Sagesses de l'Egypte pharaonique, dans lequel précisément, aux pages 63 à 134, il présente, traduit et annote l'Enseignement de Ptahhotep.  

   Enfin, je me servirai aussi d'une analyse extrêmement novatrice, Die Lehre Ptahhoteps und die Tugenden der ägyptischen Welt (L'Enseignement de Ptahhotep et les morales du monde égyptien) publiée en 2003 par l'égyptologue allemand Friedrich JUNGE dans la  prestigieuse collection suisse Orbis Biblicus et Orientalis (OBO 193, Universitätsverlag Freiburg Schweiz - Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen), partiellement consultable ici et recensée aux pages 157-61 de la dernière livraison de la Chronique d'Egypte (CdE LXXXV [2010], Fasc. 169-170) par l'égyptologue belge Christian Cannuyer.

   

   Mais pour l'heure, c'est par rapport au titre, délibérément provocateur, au demeurant parfaitement correct, que je voudrais me positionner aux fins de m'inscrire en faux contre ce que tout un chacun peut, ici sur le Net,  lire sous la plume de bloggueurs peu scrupuleux de vérifier leurs sources préférant colporter d'articles en articles les erreurs de leurs prédécesseurs.

   Non, l'Enseignement de Ptahhotep ne date pas de l'Ancien Empire : certains partis pris orthographiques, certaines tournures de langue, certaines indications concernant des faits culturels précis  autorisent à penser que l'oeuvre fut rédigée dans le courant de la XIIème dynastie, soit au Moyen Empire, au XXème siècle avant notre ère.

     De sorte qu'il faut donc considérer comme étant une fiction littéraire, selon les termes de Ch. Cannuyer, le fait qu'elle soit attribuée à un vizir Ptahhotep de la fin de la Vème dynastie.

   Permettez-moi d'apporter quelques précisions argumentant mon propos.

   Il est incontestable qu'existe bien à Saqqarah, tous les touristes vous le confirmeront, à l'ouest de la pyramide à degrés du pharaon Djeser (IIIème dynastie), un mastaba (D 64) annoncé comme étant celui de Ptahhotep.

   Mais là aussi, il y a erreur de formulation : il s'agit en réalité d'un complexe funéraire découvert au milieu du XIXème siècle par l'égyptologue français Auguste Mariette dans lequel furent ensevelis non pas seulement Ptahhotep mais également son père, Akhethetep, vizir lui aussi  ; ce que, pour des raisons que j'ignore, ne précise nullement le panneau indicateur de l'entrée du lieu.

     Précédant cette tombe commune, un autre mastaba (D 62) appartint à un premier Ptahhotep, père d'Akhethetep et donc grand-père de Ptahhotep.

     Pour plus de facilités, les égyptologues sont convenus d'appeler le premier Ptahhotep I et son petit-fils Ptahhotep II, alors qu'en fait plusieurs autres hauts dignitaires auliques avant eux portèrent le même patronyme, sans que l'on sache actuellement s'ils avaient un quelconque lien de parenté.

   Et j'ajouterai, pour davantage brouiller les cartes, que sont mentionnés dans le mastaba commun  (D 64)  deux fils de Ptahhotep II, respectivement appelés Ptahhotep et Akhethetep ; ce dernier étant peut-être le plus connu puisqu'en 2008, souvenez-vous amis lecteurs, nous avons de conserve admiré sa chapelle funéraire dans la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, les 30 septembre, 7 et 14 octobre.  

   (Je m'en voudrais, à cet instant de la discussion, de ne pas vous inviter à virtuellement visiter le célèbre mastaba D 64 d'Akhethetep et de son fils Ptahhotep tel qu'il est proposé sur l'excellent site OsirisNet de Thierry Benderitter.)

     Ptahhotep II, celui qui fut donc inhumé conjointement avec son père et qui, je le rappelle, selon un grand nombre d'internautes peu soucieux de la vérité historique, serait l'auteur des trente-six maximes de l' Enseignement, fut entre autres Inspecteur des prêtres-purs de la pyramide de Niouserrê, des prêtres de celle de Menkaouhor et des prêtres de celle de Djedkarê-Isési, pénultième souverain d'une dynastie qui devait s'achever avec le pharaon Ounas dans la pyramide duquel furent mis au jour, rappelez-vous, les tout premiers textes funéraires égyptiens (Textes des Pyramides).

   Entre autres, indiquai-je, dans la mesure où ce vizir porta d'autres titres, dont un auquel il sembla fort tenir : Prêtre de Maât. Ce qui autorise à envisager qu'il embrassa également les fonctions de ce que je pourrais, sans trop d'anachronisme, comparer à celles d'un ministre de la Justice ; cette Maât qui, nous le verrons démontré dans les Maximes fut, en Egypte, le principe conducteur et du cosmos et de la société.

   Ce sont ces diverses fonctions qui furent très probablement à l'origine de la confusion qui consista à attribuer à Ptahhotep II la paternité de l'Enseignement dont il est ici question : si, chronologiquement parlant, il ne put en être l'auteur véritable - puisque nous venons de voir qu'il vécut bien avant la première version que nous possédons de ce corpus littéraire -, il en fut certainement l'inspirateur : il est plus que vraisemblable que le concepteur - dont nous ignorons tout ! - de ces préceptes moraux  datant du 20ème siècle avant notre ère (Moyen Empire) emprunta le nom et calqua le personnage de son oeuvre sur celui de ce haut dignitaire du 24ème siècle (Ancien Empire) dont la vie marqua indicutablement les esprits des générations qui suivirent ...

   De sorte que puisqu'il est démontré que l'Enseignement de Ptahhotep n'est absolument pas attribuable à Ptahhotep, on peut alors le définir comme un ouvrage apocryphe : en linguistique pointue, on le qualifierait de pseudépigraphe.

   Ceci posé, en connaîtra-t-on un jour le véritable rédacteur ? Ce me  semble peu probable.

Quoique :  il est toujours tentant d'espérer la découverte d'un nouveau document qui ...

   Précisément, à propos de documents :  de quels types d'archives les égyptologues disposent-ils actuellement pour étudier ces miscellanées  ?

   C'est, si vous voulez bien me suivre dans cette nouvelle aventure, ce que je me propose de vous expliquer, amis lecteurs, le 29 janvier prochain.

   A samedi ?