Agricol Perdiguier, premier historien du compagnonnage français

Par Jean-Michel Mathonière

Communication publiée à l'origine dans Provence historique, vol. 56, Marseille, éd. Fédération historique de Provence, 2006.

A. - PERDIGUIER HISTORIEN

1. - Le rôle fondateur du Livre du Compagnonnage.

Lorsqu'en 1839 Agricol Perdiguier publie à compte d'auteur la première édition [note 1] de son Livre du Compagnonage [note 2], il ne se doute certainement pas qu'au-delà du succès littéraire et politique qu'il va rencontrer durant les années suivantes, il pose le fondement de l'histoire compagnonnique.


Son intention était tout à la fois plus modeste et plus ambitieuse : prêcher aux Compagnons — à commencer par ceux de sa propre société, celle des « Gavots », les Compagnons menuisiers du Devoir de Liberté — la tolérance et la connaissance, pour lutter contre l'ignorance et pour mettre ainsi fin aux querelles qui opposaient rites et métiers compagnonniques. Une grande partie de l'ouvrage se compose de chansons et de textes prêchant la fraternité. On y trouve aussi quelques éléments relatifs à l'architecture, à la géométrie et au « Trait », cette forme compagnonnique de la géométrie descriptive et du dessin technique. Les notices décrivant les sociétés de compagnonnage, notamment leurs légendes et leurs coutumes, viennent simplement participer à cet ensemble très éclectique, de même que la seconde édition [note 3], en 1841 — publiée cette fois par Pagnerre, un éditeur parisien important —, est considérablement enrichie par la reproduction des nombreux courriers reçus par Perdiguier et celle de ses réponses détaillées.

En 1839 Perdiguier l'ignore probablement encore : c'est en fait la toute première fois que l'on donne un descriptif si ce n'est exhaustif, tout au moins extrêmement détaillé de ces nombreuses sociétés compagnonniques dont les rixes, alors fréquentes et souvent meurtrières, attirent plutôt l'attention des autorités judiciaires que celle du public en général.

Suite:

À dire vrai, ce n'est pourtant pas le premier ouvrage en français touchant significativement à l'histoire du Compagnonnage... Non, la première publication date de 1782 et, ignorant totalement l'existence du Compagnonnage français, elle traite des Compagnons tailleurs de pierre germaniques ! Il s'agit d'une étude de l'abbé Grandidier traitant de l'histoire de la cathédrale de Strasbourg [note 4], où est longuement abordée la question du compagnonnage des tailleurs de pierre germaniques, dont la loge permanente de la cathédrale était le siège suprême pour tout le Saint Empire Romain Germanique.

Mais revenons à nos Compagnons français... Voici donc enfin nos « Devoirants », nos « Gavots », nos « Bondrilles », nos « Étrangers », nos « Passants », nos « enfants de Salomon » (ou « de Maître Jacques », ou « du Père Soubise »), soigneusement étiquetés et presque sagement rangés dans les pages d'un livre. Les voici donc enfin catalogués tous ces fiers artisans que l'on voit arborer rubans et cannes lors de bruyants et pittoresques cortèges (les « conduites ») ou se battre entre eux jusqu'au sang versé...

Quinze ans plus tard, vers la fin de son exil politique, en 1854-1855, Perdiguier publie à Genève les deux volumes d'un autre ouvrage majeur de l'histoire des compagnonnages, Mémoires d'un Compagnon, constamment réédité jusqu'à nos jours [note 5]. Le propos y est quelque peu différent, mais l'intérêt documentaire pour ce qui concerne l'histoire des compagnonnages français n'y est pas moindre, tout au contraire car malgré l'aigreur à peine contenue de l'exilé, la légèreté de la plume s'est entre temps développée.

2. - Les autres publications de Perdiguier sur l'histoire du Compagnonnage.

Le succès rencontré jusqu'à nos jours par Le Livre du Compagnonnage et, surtout, par les Mémoires d'un Compagnon tend à faire oublier le fait que Perdiguier publia de nombreux autres ouvrages et livrets, quelques-uns à caractère politique et social, la majorité à caractère compagnonnique. Deux surtout contiennent des éléments historiques non négligeables : l'Histoire d'une scission dans le Compagnonnage [note 6], un volume de 156 pages publié à compte d'auteur en 1846, et Biographie de l'auteur du Livre du Compagnonnage [note 7], un volume de 180 pages publié la même année, toujours à compte d'auteur.

Ces deux volumes ont souvent été confondus entre eux car leurs titres complets font appel à des expressions convergentes qui, à vouloir être trop précises, engendrent finalement la confusion : Histoire d'une scission dans le Compagnonnage, suivie de la biographie de l'auteur du Livre du Compagnonnage et de réflexions diverses..., pour le premier volume, et Biographie de l'auteur du livre du Compagnonnage et réflexions diverses, ou complément de l'histoire d'une scission dans le Compagnonnage, pour le second. De fait, comme l'a récemment souligné Daniel Patoux [note 8], la réimpression de la Biographie de l'auteur du livre du Compagnonnage donnée en 1978 à Marseille par les éditions Jeanne Laffitte sous le titre de Documents autour du Compagnonnage est-elle en réalité celle de l'Histoire d'une scission...

La « scission » dont il est question dans ces ouvrages est un épisode dramatique dans la société des Compagnons menuisiers du Devoir de Liberté dans lequel Perdiguier le pacifiste a été amené à prendre parti, après avoir semble-t-il épuisé toutes les tentatives de médiation. Les multiples informations qu'il donne à ce propos dans ses deux publications, tant sur cet épisode que sur sa vie de 1829 à 1846 pour se défendre des multiples attaques dont il fut à cette occasion l'objet, sont une véritable mine pour l'historien qui voudrait s'intéresser en profondeur à l'histoire des « Gavots » au XIXe siècle.

Mais ces ouvrages contiennent également, au fil des pages, de nombreuses informations quant à l'histoire des compagnonnages en général, qu'elle soit réelle ou hypothétique - surtout hypothétique, notamment en ce qui concerne la question particulièrement obscure des origines de la tradition compagnonnique, où les légendes l'emportent par défaut sur les sources documentées.

Caricature de Perdiguier par Honoré Daumier en 1848.

Au rang des autres publications « historiques » de Perdiguier, il convient de ne pas oublier d'adjoindre les lithographies compagnonniques qu'il édita, et tout particulièrement la célèbre série des trois fondateurs légendaires du Compagnonnage : Salomon, en 1862 ; Maître Jacques, en 1863 ; et enfin le Père Soubise, en 1865. Si le portrait qu'il donne de Salomon en tant que bâtisseur du premier temple de Jérusalem se confond assez platement avec ce que nous en savons par la Bible, les portraits de Maître Jacques et du Père Soubise fournissent le prétexte à illustrer dans des cartouches périphériques divers épisodes de leurs « légendes » (ou de leur « histoire » selon le crédit que l'on voudra bien donner à telle ou telle version des légendes). Ainsi, bien que pour Maître Jacques, quatre des six cartouches illustrent des épisodes de la légende dite « de la Sainte-Baume » qui fait de ce fondateur un contemporain de Salomon, le portrait central et les deux derniers cartouches le campent sans ambiguïté comme étant un bâtisseur médiéval, ce Jacques « Moler » dont parle la légende dite « des tours d'Orléans », relative à la scission entre Gavots et Devoirants en 1401. Là, Perdiguier a fait un choix quant à la « valeur historique » de cette dernière légende, qui précisément n'était pas rapportée en 1841 dans Le livre du Compagnonnage, mais que, l'ayant sans doute apprise au gré des polémiques soulevées par cette publication, il rapportera dans Histoire d'une scission, en 1846.

3. - L'influence et les suites de l'œuvre historique de Perdiguier.

Si elle soulève l'enthousiasme des milieux littéraires et républicains, la publication du Livre du Compagnonnage entraîne en effet de vives réactions chez les Compagnons de toutes les familles rituelles, à commencer par les Gavots eux-mêmes. On a vu que les courriers reçus par Perdiguier formaient une substantielle partie de la seconde édition de l'ouvrage. Et cela déclenche aussi un processus éditorial : opposants comme partisans des idées de réforme de Perdiguier expriment à leur tour leurs points de vue dans la presse ouvrière ou dans des opuscules et des livres.

Dans la mesure où non seulement l'histoire des sociétés compagnonniques et la description de leurs rites et usages occupe une place importante dans le livre de Perdiguier, mais aussi parce que cette histoire joue un rôle considérable dans les querelles de préséance les opposant violemment entre elles, une partie significative des publications faites par d'autres Compagnons dans les décennies suivantes contient des données historiques ou, tout au moins, tente une approche historique de traditions et légendes qui n'ont pas toutes été rapportées par « Avignonnais la Vertu » dans son Livre du Compagnonnage. Soulignons aussi que les archives compagnonniques recèlent divers manuscrits inédits relatifs à l'histoire de tel ou tel corps de métier, ou du Compagnonnage en général, dont la rédaction a été suscitée par la lecture du livre de Perdiguier. Il est probable que d'autres fonds archivistiques, publics et privés, en conservent également.


Parmi les publications compagnonniques intéressantes du point de vue de l'histoire et du folklore, il convient de plus particulièrement distinguer celles du tailleur de pierre du Devoir Sciandro, dit « La Sagesse de Bordeaux », qui publie en 1850 Le Compagnonnage, ce qu'il a été, ce qu'il est, ce qu'il devrait être... [note 9], du boulanger Arnaud, dit « Libourne le Décidé », qui publie en 1859 les Mémoires d'un Compagnon boulanger [note 10], et enfin du cordonnier Guillaumou qui publie en 1864 Les confessions d'un Compagnon [note 11].

Quant aux publications d'auteurs non-Compagnons, il faut attendre 1853 pour voir paraître sous la signature de Claude-Gabriel Simon, membre de la Société académique de Nantes, une Étude historique et morale sur le Compagnonnage et quelques autres associations d'ouvriers, depuis leur origine jusqu'à nos jours [note 12]. C'est en fait une assez terne compilation de l'œuvre de Perdiguier, au demeurant abondamment et élogieusement cité, et de plusieurs ouvrages généraux consacrés non pas au Compagnonnage, mais à la Franc-maçonnerie. C'est que l'auteur adhère sans aucune réserve — comme presque tout le monde jusqu'à une date récente — à l'idée d'une parenté historique et naturelle entre ces deux institutions, idée que résume à merveille cette citation de Charles Nodier par laquelle Simon débute son chapître premier :

« Les sociétés de métiers sont probablement anciennes comme les métiers. On retrouve des traces de leur existence et de leur action dans toutes les histoires. La Maçonnerie n'est autre chose, dans sa source comme dans ses emblèmes, que l'association des ouvriers maçons ou bâtisseurs, complète en ses trois grades : l'apprenti, le compagnon et la maître ; et l'origine réelle de la Maçonnerie, c'est le Compagnonnage. »

(Cependant, jusqu'aux années 1930, la littérature maçonnique s'occupera assez peu en fait du Compagnonnage, certainement jugé trop « ouvrier » à une époque où l'histoire de la Franc-maçonnerie cherche plutôt ses racines dans la Chevalerie.)

Il faut en fait attendre 1901 pour voir paraître le premier ouvrage historique sérieux qui soit spécifiquement consacré au Compagnonnage dans son ensemble. Il s'agit de l'œuvre d'Étienne Martin Saint-Léon, Le Compagnonnage, son histoire, ses coutumes, ses règlements et ses rites [note 13], un solide classique réédité en 1977 encore par la Librairie du Compagnonnage.

En 1907 paraît la première étude monographique sur la base de sources archivistiques : Les compagnonnages d'arts et de métiers à Dijon aux XVIIe et XVIIIe siècles [note 14], par Henri Hauser. Ce genre dont on sait l'importance fondamentale n'a malheureusement guère fait école jusqu'à une date récente : notons toutefois l'intéressante étude de Gabriel Jeanton, Compagnons du Devoir et compagnons de Liberté au XVIIIe siècle à Mâcon [note 15], publiée en 1928. Il existe aussi quelques communications intéressantes de divers auteurs, disséminées dans les publications des sociétés savantes [note 16].

En 1951, en annexe à un livre collectif intitulé Compagnonnages, par les Compagnons du Tour de France [note 17], qui marque en quelque sorte l'entrée dans une nouvelle ère du Compagnonnage après une guerre qui a laissé des blessures profondes dans l'histoire des sociétés compagnonniques, on trouve un outil qui demeure irremplaçable, œuvre de Roger Lecotté, fondateur en 1968 du Musée du Compagnonnage à Tours. Il s'agit de son Essai bibliographique sur les compagnonnages [note 18], qui comporte pas moins de 1066 entrées de livres et d'articles, dont un nombre significatif en allemand sur les compagnonnages germaniques (qui restent cependant peu connus et étudiés en France).

En 1956 paraît dans la collection des Mémoires de la Fédération folklorique d'Île-de-France, toujours sous la plume érudite de Roger Lecotté, le catalogue de l'exposition « Paris et les Compagnons du Tour de France », réalisée en 1951-1952. Sous le titre d'Archives historiques du Compagnonnage [note 19], 510 notices décrivent avec rigueur des objets et documents du patrimoine compagnonnique, et la présence d'un remarquable index en fait un document de travail particulièrement précieux. Lecotté profite de l'exposition et du catalogue pour lancer un appel afin de retrouver la fameuse « serrure de Marseille », un chef-d'œuvre de serrurerie réalisé en 1809 par le Devoirant L'Ange le Dauphiné, et disparu des collections du musée Borely en 1943. Elle n'a malheureusement toujours pas été retrouvée...

Signalons enfin, pour ne pas remonter jusqu'aux nombreuses publications actuelles, d'intérêt au demeurant inégal pour ce qui est des ouvrages généralistes [note 20] (dont beaucoup ne sont que des compilations des ouvrages précités, auxquelles on ajoute simplement une surabondante iconographie en quadrichromie...), l'excellent ouvrage d'Émile Coornaert, Les compagnonnages en France, du Moyen Âge à nos jours [note 21], paru en 1966. Il comporte de nombreuses références à des sources archivistiques de qualité. De même, parmi les ouvrages à vocation « grand public », on doit faire l'éloge de celui de Pierre Barret et Jean-Noël Gurgand, Ils voyageaient la France (Vie et traditions des Compagnons du Tour de France au XIXe siècle) [note 22], préfacé par Roger Lecotté, ouvrage qui justement se réfère sans cesse à des sources fiables.

B. - LIMITES ET FAIBLESSES DE L'ŒUVRE HISTORIQUE DE PERDIGUIER

4. - Lacunes et erreurs.

Perdiguier est un menuisier : sa présentation des sociétés compagnonniques et de leur histoire est très ordonnée ; elle est semblable à un établi où tous les outils possèdent une place assignée (ce qui donne quelquefois au profane l'illusion d'être à même de maîtriser, si cela était nécessaire, leur usage). De fait, quand bien même chacun a bien sûr à cœur de se singulariser, pratiquement tous les historiens jusqu'à nos jours ont suivi ses classifications, ont repris les éléments historiques qu'il indiquait comme certains, ont analysé les sources documentaires en fonction des schémas qu'il avait tracé.

Mais Perdiguier avait-il toujours raison ? Sa qualité de Compagnon — pour ne pas dire « d'initié » — pouvait-elle le mettre à l'abri de commettre des inexactitudes, d'ignorer des faits importants, de ne pas comprendre certains points ? En fait, à côté de détails documentaires que l'on aurait peine à trouver ailleurs que dans son œuvre, de points traités avec toute cette précision dont le menuisier est capable, il y a aussi, il faut l'avouer, bien des inexactitudes et des lacunes.

Je ne citerai à cet égard que ce qui concerne un sujet particulier dont je suis extrêmement familier, celui des Compagnons tailleurs de pierre, Passants comme Étrangers. On sait qu'Avignon possédait au XIXe siècle un siège de chacune de ces deux sociétés ennemies. Perdiguier côtoie plutôt les Étrangers, « enfants de Salomon » comme lui, mais possède également des contacts avec les Passants. Il n'empêche que dans ce qu'il rapporte au sujet des uns et des autres, tant dans Le Livre du Compagnonnage que dans ses Mémoires d'un Compagnon, il est de fréquentes erreurs que les découvertes documentaires réalisées ces dernières années, notamment aux Archives départementales de Vaucluse et au Museon Arlaten, permettent de rectifier [note 23].

5. - L'instrumentalisation de l'histoire par Perdiguier.

En fait, le problème est que Perdiguier n'est absolument pas un historien. Outre qu'il n'a évidemment reçu aucune formation pour cela, il est, à la mode de son époque, l'homme d'un seul idéal : pacifier les mœurs compagnonniques. Il instrumentalise sans cesse les faits et l'histoire pour atteindre cet objectif. Les Compagnons sont divisés ? Ils se battent pour des questions de préséances ? De rites et de légendes obscures ? De rubans portés trop hauts ou trop bas ? Il faut leur montrer qu'ils sortent tous du même berceau et que dégagées de la gangue des superstitions ridicules et des déformations dues aux siècles, les légendes possèdent si ce n'est des fondements historiques communs, du moins des perspectives morales et spirituelles identiques...

Photographie de Perdiguier vers la fin de sa vie.

Conclusion :

D'un nécessaire renouveau des recherches historiques sur les compagnonnages

Les recherches menées par Laurent Bastard et moi-même durant la dernière décennie ont mis en lumière, quelquefois de manière inattendue, un nombre important d'erreurs et d'idées reçues quant à l'histoire des compagnonnages. Beaucoup sont dues à l'œuvre de Perdiguier, soit qu'il a été inexact, soit, surtout, que certaines de ses idées aient conduit à des erreurs d'appréciation, à des incapacités à correctement « lire » les documents que nous avons sous les yeux — parce qu'ils ne sont pas conformes à ce que nous nous attendions à voir et à croire comprendre.

À cet égard, un point, plus encore que tous les autres, est fondamental à comprendre : s'appuyant sur l'histoire compagnonnique pour prêcher si ce n'est l'unité, tout au moins la fin des discordes, Perdiguier propulse avec le titre même de son ouvrage-phare un singulier extrêmement trompeur : LE compagnonnage. En effet, quand bien même ils proviendraient tous, par des chemins tortueux, d'une hypothétique source unique située dans un passé lointain, au moment où ils apparaissent dans l'histoire, distinctement des confréries et des communautés de métiers, ils présentent déjà trop de différences d'une profession à une autre, d'une ville à une autre, d'une décennie à l'autre, pour que l'on puisse prendre le risque de réduire cette diversité grouillante de vie à une unité par trop virtuelle et figée. Or aujourd’hui, le recours méthodique aux sources documentaires de première main conduit les chercheurs à envisager systématiquement la question au pluriel : les compagnonnages. En effet, quand bien même ils proviendraient tous, par des chemins tortueux, d’une hypothétique source unique située dans un passé lointain, au moment où ils apparaissent dans l’histoire, distinctement des confréries et des communautés de métiers, ils présentent déjà trop de différences d’une profession à une autre, d’une ville à une autre, d’une décennie à l’autre, pour que l’on puisse prendre le risque de réduire cette diversité grouillante de vie à une unité par trop virtuelle et figée.

Mais je ne voudrais pas conclure cette brève communication sur Perdiguier par des propos qui risqueraient de donner le sentiment que son ère est totalement révolue, que son œuvre immense est finalement stérile. Je réitérerai donc pour l'occasion mes propos déjà publiés dans un journal compagnonnique à l'occasion du bicentenaire de sa naissance :

« Tout ceci étant dit, que serait le paysage compagnonnique français et son histoire sans Perdiguier ? Merci Agricol de nous avoir fait aimer le monde compagnonnique, dans sa grandeur comme dans ses faiblesses. Merci Perdiguier de nous irriter parfois et de nous faire nous poser mille et une questions. »

Jean-Michel Mathonière


[note 1] Agricol Perdiguier, Le Livre du Compagnonage, contenant des chansons de compagnons, un dialogue sur l'architecture, un raisonnement sur le trait, une notice sur le Compagnonage, la rencontre de deux frères et un grand nombre de notes..., Paris, l'auteur, 1839. N° 652 de la bibliographie de Roger Lecotté (cf. infra, Essai bibliographique sur les compagnonnages).

[note 2] L'orthographe « compagnonage » avec un seul n et non deux est alors commune.

[note 3] N° 653 de la bibliographie de Lecotté. Une troisième édition sera publiée par Perdiguier en 1857 (Lecotté N° 654). L'ouvrage ne sera ensuite réédité qu'en 1985 par Laffitte Reprints à Marseille, d'après les seconde et troisième éditions, avec une préface de Roger Lecotté (fondateur et conservateur du Musée du Compagnonnage à Tours).

[note 4] Abbé Grandidier, Essai historique et topographique sur la cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, 1782. Quelques pages, sous la forme d'une curieuse « planche » (qui se défend bien sûr d'être maçonnique) intitulée « Esquisse du travail d'un profane », traitent avec précision de l'organisation du compagnonnage des tailleurs de pierre germaniques.

[note 5] N° 664 de la bibliographie de Lecotté. Parmi les éditions du XXe siècle, on se contentera ici de signaler la dernière, réalisée par l'Imprimerie nationale en 1992, avec une présentation par Maurice Agulhon.

[note 6] N° 660 Lecotté.

[note 7] N° 661 Lecotté.

[note 8] Préface de « Percheron La Philosophie » (Daniel Patoux, Compagnon menuisier du Devoir de Liberté) à la réédition de la Biographie... réalisée par la Fédération nationale compagnonnique des métiers du bâtiment, Paris, en octobre 2004, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Perdiguier.

[note 9] N° 803 Lecotté.

[note 10] N° 22 Lecotté.

[note 11] N° 399 Lecotté. Réédition avec une préface de François Icher, éd. Grancher, Paris, 1996.

[note 12] N° 817 Lecotté.

[note 13] N° 564 Lecotté.

[note 14] N° 409 Lecotté.

[note 15] N° 440 Lecotté.

[note 16] C'est précisément l'un des intérêts majeurs de la bibliographie de Roger Lecotté (cf. infra) que de recenser un grand nombre de ces travaux et articles, qui passent plus facilement inaperçus que les livres.

[note 17] Éditions Plon, Paris, 1951, avec une préface de Raoul Dautry.

[note 18] Réédité en 1980 par les éditions Laffitte Reprints à Marseille.

[note 19] Mémoires de la Fédération Folklorique d'Île-de-France, n° V, Paris, 1956.

[note 20] On recensera cependant Compagnons au fil de la Loire, par Laurent Bastard (éditions J.-C. Godefroy, Paris, 2000), volume qui sous un angle « régionaliste » très agréable et pédagogique, en profite pour apporter un regard historique nouveau et remarquablement documenté. Sous la direction du même auteur, actuel conservateur du Musée du Compagnonnage de Tours (Indre-et-Loire), on signalera également l'édition annuelle depuis 1999 des conférences du musée, sous le titre Fragments d'histoire du Compagnonnage (volume 8, 2005, à paraître fin 2006, éd. Musée du Compagnonnage), dont certaines constituent des études monographiques particulièrement documentées.

[note 21] Les Éditions Ouvrières, Paris, 1966.

[note 22] Hachette, Paris, 1980. Nombreuses rééditions ultérieures.

[note 23] Cf. Laurent Bastard et Jean-Michel Mathonière, Travail et Honneur ; les Compagnons Passants tailleurs de pierre en Avignon aux XVIIIe et XIXe siècles, éd. La Nef de Salomon, Dieulefit (Drôme), 1996.

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)