Un verre de vin rose, qu’il sert ou qu’il boit. Un comptoir, qu’il soit derrière ou devant. La poésie à portée de voix, qu’elle soit d’amour ou de poing levé. Christian Paccoud ne s’arrête jamais. Ni pour prendre du repos, ni même pour les applaudissements entre deux chansons. Alors, ne vous étonnez pas de le trouver flou, au départ. C’est à cause du mouvement. Une allure de boxeur élégant tout habillé de noir, deux grosses pognes qui se font aériennes sur les p’tits boutons de son accordéon, des mots sertis de pudeur et une voix âpre qui crache le feu, l’amour et la fumée de ses cigarettes. Paccoud parle des autres pour répondre de lui. Tout comme il se désintéresse des questions commençant par « comment ».
Comment a t-il appris l’accordéon ? Comment fait-il pour tenir une heure et demi sur scène en ne prenant sa respiration que dans les soupirs de la musique ? Comment une chanson s’écrit-elle, surtout quand son fleuve devient un torrent ? Comment chante t-on tous les soirs pendant 25 ans en refusant d’enregistrer un seul album ? Avec ces questions là, on a presque le sentiment de le prendre en faute, de gronder son humilité. Il essaie pourtant de répondre en allumant ici et là quelques médaillons de son parcours. Un gosse de cinq ans à qui l’on apprend l’accordéon... Là, des images d’une enfance difficile… Ici, des robes tournant en rond dans une valse qu’interprète un accordéoniste de onze ans… Plus loin, un regard vers les étoiles dans la nuit de l’adolescence qui lui donne le vertige et le goût d’en finir. Un désespoir brûlant qui fait songer à cet aphorisme de René Char « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » Et la consolation en se mettant aux services des autres… Quelques cours de théâtre, un peu de cinéma… Et les yeux des filles pour qui il compose ses premières chansons. Puis c’est la rencontre avec Maurice Fanon quelque part à Cherbourg et son arrivée à Paris, tout seul. Voilà. Il n’a plus rien à ajouter. Il rallume son silence. Ecrase une cigarette. Balaie du regard le bistro où nous sommes et la poussière de ses souvenirs. Son regard s’arrête sur le piano, les banquettes, les affiches, les miroirs. Puis soudain, s’impatiente. « Franchement, tout ça c’est sans importance ! C’est sûr que pour jouer d’un instrument il faut apprendre ! C’est sûr que pour chanter sans micro il faut en acquérir la technique ! Mais c’est pas ce qui compte ! » Ce qui importe, c’est pourquoi.
PARCE QUE SANS VOUS, JE SERAIS MORT…
« L’accordéon c’est venu naturellement. Et puis avec lui, on peut aller au pire du bonheur, au pire de la détresse… C'est l'instrument de l'aventure ! Il assure une totale autonomie… » Paccoud chante partout. Et pour tous. Dans un bistro, un hôpital, une cours d’école ou de prison, un cabaret ou un théâtre… Pas de jeux de lumières. Pas de micro. Pas de costume. Pas d’applaudissements non plus. Parce qu’il est évident que la finalité de ses chansons n’est pas là. L’accordéon ne reprend pas sa respiration. Les chansons défilent, liées, emportées par une même force, par un même accord qui est là, dans les poumons, entre les mains, dans l’écriture, omniprésent, grandissant, physique, impétueux : le souffle. « Mes concerts étaient basés sur l’épuisement d’un chanteur, sur l’image d’un type qui va jusqu’au bout de ses forces, jusqu’aux limites de l’épuisement. » Seul et sans micro, Paccoud entre sur scène comme sur un ring. Nous n’en ressortirons pas indemne. Quelques croches acérées de sa musique et on se retrouve vite pris dans les cordes vocales d’une poésie libertaire. « Anarchie, ma blanche/t’es comme un dimanche/toute la semaine on t’attend… » Le feu réfractaire ne s’éteindra qu’après le dernier mot, qu’après la dernière flamme crachée, qu’après le dernier rêve jeté comme « des restes d’inaccessibles ». L’éponge, c’est pour le front.
Des combats comme celui-ci, il en a relevé plus de 8 000, en ne comptant que la région parisienne. Et Paccoud a longtemps refusé d’enregistrer ses chansons, d’en fixer le souffle, d’en retenir l’énergie. Et surtout, il tient à son intégrité. A son intégralité. « Le spectacle c’est ici et maintenant, dans l’espace, à chaque fois ! » Pas un seul microsillon dans sa musique, pas une seule ride à sa révolte. « Artiste hors norme ? C’est quoi ? Un pléonasme ? »
ON N’EST PAS DES VEDETTES
Est-ce aussi un pléonasme de dire qu’un poète conjugue ses verbes à l’action ? Ses chansons, Christian Paccoud les écrit oralement. « Elles passent et repassent dans ma tête, corriger par ma propre mémoire, ce qui fait qu’elles naissent populaire. L’écriture sur papier, c’est administratif. C’est pour la Sacem, etc. » Son « chant » d’action est autant sur scène que dans la mise en place d’espaces d’expressions. Goguettes, scènes ouvertes, aide à l’écriture ou encore dans ces multiples « petits lieux ». Une scène même petite, un piano même pas très juste, des chanteurs même pas connus et autour un minutieux désordre de gestes, de visages et de voix entremêlaient dans des conversations. « Les petits lieux sont des espaces de résistance joyeuse, des ruches à talents ! ». Comme Le Limonaire où il fut à l’initiative d’un festival qu’était pas un festival. Presque un anti-festival. Mais une vraie fête. Pas de têtes d’affiche, pas de promo. Il ne s’agissait ni d’un tremplin pour les « pas connus », ni d’une date promotionnelle pour « les plus connus ». C’est tout pour la chanson. « Le principe de On n’est pas des vedettes ! était simple. Soixante cinq artistes repartis sur trois semaines à raison de trois chanteurs par soir. On ne sait pas qui passe quand. Et pire encore : les artistes eux-mêmes n’ont pas le droit de le dire à leur proche ! C’est la trêve du vedettariat ! » Résultat : le public vient avec l’espoir secret d’y entendre Leprest, Francesca Solleville, Anne Sylvestre ou encore Bernard Joyet et en repart en demandant les dates de concerts d’un inconnu magnifique.
Après 25 ans de scène, Christian Paccoud accepte en 2001, enfin, de graver son premier disque. « Et puis les chansons ne m’appartenaient plus vraiment. Elles étaient entrées naturellement dans les mémoires. J’ai même retrouvé en Colombie des gens qui chantaient Avenue du dragon ! Je pouvais maintenant en fixer quelques-unes dans l’espoir de les offrir à la France entière. » Et ce n’est qu’un début. Des projets, il en a mille. Comme autant d’étoiles dans le ciel de cette nuit d’adolescence où tout a commencé…
LE VRAI SANG
De la chanson, mais aussi du théâtre. Beaucoup de théâtre grâce, notamment, à sa rencontre avec l’auteur Valère Novarina en 1996. Elle marquera le début de nombreuses collaborations entre l’homme de lettres et l’homme oral, entre le metteur en scène et celui qui improvise. Durant tout le mois de janvier au Théâtre de l’Odéon à Paris, est présenté le spectacle Le Vrai sang pour lequel Christian Paccoud a composé le musique, dirigé le chant et sera également en tant qu’interprète sur scène.
Le Vrai sang de Valère Novarina, dont le texte sera publié courant janvier chez P.O.L, est « un théâtre de carnaval, en ce sens que les acteurs à la fois incarnent et quittent la chair, sortent d’homme, deviennent des figures qui passent sur les murs, des animaux peints, des signaux humains disséminés dans l’espace... Sont-ils captifs des mots ou délivrés par la parole ? Et que leur souffle l’accordéon? Le langage vient ici nous ouvrir, opérer devant nous le théâtre de la cruauté comique. Entrée dans le mélodrome ! »
LE VRAI SANG au théâtre de l’Odéon jusqu'au 30 janvier 2011
texte, peintures & mise en scène : Valère Novarina
musique : Christian Paccoud
avec Julie Kpéré, Norah Krief, Manuel Le Lièvre, Mathias Levy, Olivier Martin-Salvan, Christian Paccoud, Dominique Parent, Myrto Procopiou, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, Valérie Vinci, & Richard Pierre et Raphaël Dupleix