Les annonces du Grenelle de l’environnement sont symboliques de la politique actuelle. Leurs effets à long terme sur la croissance ne seront pas à la hauteur des attentes. Il faut libérer l’économie au lieu de gérer le quotidien.
Aurelien Veron et Henri-Louis Delsol
La théorie du carreau brisé est bien connue comme étant la politique menée dans les années 90 par Rudolph Giulani à New York pour lutter contre le vandalisme. Partant du principe qu’un carreau brisé appelle à plus de vandalisme contre un bâtiment, et donc que les comportements antisociaux mineurs trahissent une tendance à la délinquance grave, la police new-yorkaise s’est mis à traquer la petite délinquance avec les résultats que l’on connaît.
Une autre théorie du carreau brisé, dans un tout autre domaine, a cependant précédé la new-yorkaise, et il se trouve qu’elle est française. Frédéric Bastiat, économiste du XIXe siècle, illustrait son chapitre intitulé « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas par une histoire », celle d’un citoyen qui casse un carreau de vitre, et de la réaction des badauds : « À quelque chose malheur est bon. De tels accidents font aller l’industrie. Il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers, si l’on ne cassait jamais de vitre ? »
Bastiat reconnaît que le coût de réparation de la vitre (six francs de l’époque) bénéficie bien directement à l’industrie vitrière (« ce qui se voit »), mais il s’oppose à la conclusion qu’il en résulte un bénéfice pour l’industrie tout entière, car cela néglige les autres usages qui auraient pu être faits de ces six francs (« ce qui ne se voit pas »). Par exemple, si la vitre n’avait pas été brisée, le citoyen aurait pu consacrer le même argent à l’achat d’une paire de chaussures, et « aurait eu tout à la fois la jouissance d’une paire de souliers et celle d’une vitre. »
Cette théorie est plus que d’actualité. Alors qu’une étude du Boston Consulting Group (commandée en 2009 par le ministère de l’écologie) avait estimé que les 450 milliards d’euros d’investissements liés au Grenelle auraient entraîné la création de 600 000 emplois entre 2009 et 2020, six économistes du Trésor ont publié récemment (voir dicument proposé) un document de travail sur les impacts macroéconomiques du Grenelle. Les conclusions sont décoiffantes : le « net ralentissement puis l’arrêt des investissements ainsi que la hausse des prix et des prélèvements obligatoires nécessaires à leur financement annulent les gains économiques du Grenelle après 2020. Par la suite, l’impact relatif sur le PIB et l’emploi devient négatif ».
La réaction de Nathalie Kosciusko-Morizet, à qui une expérience dans le privé fait défaut, est inquiétante. Selon elle, le plan Grenelle « n’est pas seulement un programme d’investissement mais aussi de transformation de l’économie et de la société ». L’idéologie verte tient là l’un de ses plus fervents soldats.
Alors que nos dirigeants se contentent d’afficher les effets visibles à court terme du plan Grenelle (« ce qui se voit »), cette étude, dont les conclusions n’auront pas surpris les libéraux, analyse « ce qui ne se voit pas », c’est-à-dire les conséquences néfastes d’une politique massive d’investissement par recours au déficit et à l’endettement.
La « rupture » promise, ce sera peut-être finalement l’accroissement massif de la dette publique provoqué par ces investissements non rentables. Aujourd’hui, il est plus que temps de s’attaquer à la gabegie de dépenses et, au-delà du budget de l’Etat et de la sécurité sociale, aux collectivités territoriales qui s’inspirent de moyens archaïques de lutte contre le chômage en recourant à des emplois artificiels (agents de gestion locative, agents polyvalents, agents d’ambiance, adjoints de sécurité, coordinateurs petite enfance, agents d’entretien d’espaces naturels, etc.). Nous ne sommes pas loin des emplois-jeunes de Martine Aubry ou des « emplois-tremplins » de Ségolène Royal décriés par Philippe Muray qui se sont multipliés dans des proportions effarantes cette dernière décennie.
L’absence de courant libéral au sein du parti présidentiel est regrettable. Un véritable travail pédagogique doit se faire et il appartient à chaque libéral de rappeler les principes élémentaires d’une gestion saine de l’économie, d’expliquer que les pôles de compétitivité ne se décrètent pas (pas plus que le goût ou la cuisine française d’ailleurs) ou que les Français attendent leur Premier ministre sur le terrain des réformes urgentes de modernisation de l’Etat et non sur celui de la météorologie ou des accidents de la route. Pour conclure, nous paraphraserons Churchill en rappelant que le socialisme exalte le règlement, le libéralisme exalte l’homme.
Une tribune reprise des Échos avec l’aimable autorisation d’Aurélien Veron. Sept mythes sur l’emploi vert Une éolienne détruit l’impôt de 6.000 foyers Energies vertes = pauvreté Le désastre du photovoltaïque espagnol Rebranchez vite les pompes à subventions photovoltaïques