Le ministère de la Culture empêcherait la publication d’un rapport pointant la dérive marchande des grands musées nationaux : insubordination, chiffres de fréquentations truqués, tarifications excessives, absence de politique de démocratisation, mécénats suspects…
ET SI LA COUR DES COMPTES nous donnait raison… Le rapport semble si explosif que le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand ferait tout pour empêcher sa publication, affirme un article du Canard Enchaîné paru au mois de janvier [1]. Le journaliste Didier Hassoux a pu consulter les 160 pages de ce prérapport « qui, conformément aux procédures de la Cour des comptes, n’avait pas vocation à faire l’objet d’une information publique à ce stade » comme nous l’a répondu aimablement l’institution quand nous lui en avons demandé communication, concluant ainsi : « Le rapport définitif sera publié en temps utile« , c’est-à-dire aux calendes grecques.
Nous voulons croire que nous ne sommes pas totalement étranger à son éclosion. En juillet 2009, nous saisissions la Cour des comptes au sujet de la gestion du Château de Versailles, après avoir enquêté sur 10 ans de tarification de l’établissement dérogeant à nos yeux à plusieurs de ses missions de service public. Un mois plus tard, Gérard Terrien, secrétaire général adjoint de M. Séguin, Premier président alors de la Cour des comptes, nous répondait avoir transmis notre courrier au Président de la 3e chambre, ajoutant : « Je ne doute pas qu’il sera fait le meilleur usage possible de ces informations à l’occasion de son prochain contrôle« . En l’occurence, le prérapport rédigé par les magistrats de cette même 3e chambre « a enquêté sur les politiques gouvernementales menées dans les musées au cours de la dernière décennie« , dont Versailles. Les quelques éléments rapportés par l’hebdomadaire satirique sont consternants et croisent certaines de nos constatations.
UN MINISTÈRE SANS AUTORITÉ
Le ministère de la Culture n’aurait plus aucun poids ni autorité sur les grands musées ayant adopté un régime de semi-autonomie, restant pourtant en droit des établissements publics sous tutelle. Parmi eux, les plus grands : le Louvre, Orsay, Versailles, Pompidou, Le Quai Branly, Fontainebleau… Le rapport parle d’ »affaiblissement sans doute irréversible » de la Rue de Valois. Plus grave, la Cour des comptes dénoncerait une autonomie mal maîtrisée de ces établissements, « chaque musée (faisant) dans son coin, ce qu’il veut » selon la formule du Canard, malgré les conventions d’objectifs signées avec le ministère.
Ces musées seraient seuls maîtres à bord, ce qui ne les empêcherait nullement en retour de dépendre financièrement de l’Etat quand le développement de leurs ressources propres – billetterie, location d’espaces, mécénat – aurait dû, selon la Cour des comptes, s’y substituer progressivement. C’est le cas de Versailles qui ne cesse pourtant de se plaindre d’un manque de subvention de fonctionnement de l’Etat comme en bénéficient toujours ses collègues, quand ses ressources propres ont augmenté de 66% entre 2001 et 2009, passant de 30 à 50 millions d’euros ! On a un exemple de cette attitude d’insubordination quelque peu choquante de la part d’établissements nationaux aussi emblématiques dans le récent livre-témoignage de Christophe Tardieu, administrateur du Château de Versailles sous la présidence de Christine Albanel (2003-2007), quand il évoque le sujet en ces termes : « Lorsque les services du ministère deviennent trop envahissants à mon goût, en critiquant par exemple telle ou telle de nos initiatives, je ne manquais jamais de préciser que, en l’absence de subvention de fonctionnement, il fallait bien qu’on se débrouille…« [2].
DES TARIFS PAS DÉMOCRATIQUES
Le ministère serait tellement out rapporte le Canard sur la base du rapport des magistrats, que la plupart du temps il serait « placé devant le fait accompli » quand les musées décident d’augmenter leurs droits d’entrée. Rappelons que ces tarifs sont fixés régulièrement en conseil d’administration où siège bien, pour chacun de ces établissements, un représentant du ministère, mais sa seule voix ne peut infléchir ce type de décision. Ce que reprocherait la Cour des comptes, c’est l’absence de réaction du ministère, ce sur quoi nous sommes bien d’accord. Car pire, le rapport soupçonne les musées de se concerter pour procéder à ces augmentations, ce qui ne serait pas forcément grave si cela ne se faisait au détriment de la mission de démocratisation par le prix à laquelle ils sont soumis en tant qu’établissements labellisés « Musée de France » [3].
Si le rapport constate une croissance constante de la fréquentation générale des musées sur dix ans, passée de 17,5 millions de visiteurs en 2000 à 28,1 millions en 2009, elle ne concerne que « les touristes, riches. Beaucoup moins (les) Français, pas aisés » comme le note le Canard, s’appuyant sur une étude du ministère de la Culture (à notre connaissance non rendue publique) qui ferait état d’une baisse significative sur dix ans dans les musées de la fréquentation des populations les moins favorisées financièrement [4]. Un recul inquiétant, et non une simple stagnation, dû, pour la Cour des comptes, à une politique tarifaire qui « a beaucoup plus obéi à l’objectif de maximisation des ressources propres qu’à une politique globale de démocratisation« . Cela nous semble si évident, nous qui répétons depuis des années que si la barrière tarifaire n’est évidemment pas le seul obstacle à la venue du plus grand nombre dans les musées, augmenter toujours plus leurs droits d’entrée ne peut pas non plus la favoriser. Au contraire.
4]. Un recul inquiétant, et non une simple stagnation, dû, pour la Cour des comptes, à une politique tarifaire qui « a beaucoup plus obéi à l’objectif de maximisation des ressources propres qu’à une politique globale de démocratisation« . Cela nous semble si évident, nous qui répétons depuis des années que si la barrière tarifaire n’est évidemment pas le seul obstacle à la venue du plus grand nombre dans les musées, augmenter toujours plus leurs droits d’entrée ne peut pas non plus la favoriser. Au contraire.
4]. Un recul inquiétant, et non une simple stagnation, dû, pour la Cour des comptes, à une politique tarifaire qui « a beaucoup plus obéi à l’objectif de maximisation des ressources propres qu’à une politique globale de démocratisation« . Cela nous semble si évident, nous qui répétons depuis des années que si la barrière tarifaire n’est évidemment pas le seul obstacle à la venue du plus grand nombre dans les musées, augmenter toujours plus leurs droits d’entrée ne peut pas non plus la favoriser. Au contraire.
De fait, il est effarant de constater l’évolution du prix de certains musées nationaux, comme le musée d’Art moderne du Centre Pompidou passé de 5,5€ en 2003 à 12€ aujourd’hui, le summum étant atteint par le Château de Versailles passé de 7,50 € en 2005 à 15 € aujourd’hui ! Si cela ne suffisait pas, on assiste, en plus de l’augmentation du prix d’entrée, à l’éradication progressive d’avantages tarifaires populaires comme la réduction pour tous en fin d’après-midi. Versailles l’a supprimé en avril 2010 alors que sa direction ne cesse de se plaindre de la concentration des visiteurs en matinée [5] ! Le Louvre vient à son tour de le faire. En toute discrétion. Henri Loyrette, son président, avait annoncé en novembre dernier, dans une interview accordée au Figaro, que le billet d’entrée allait passer de 9,5 à 10€ (pour info, il était de 7,50€ en 2003) [DES CHIFFRES DE FRÉQUENTATION TRUQUÉS
Mais c’est au sujet des gratuités que la Cour des comptes fait une révélation fracassante, mettant à jour une pratique particulièrement malhonnête, ce qui ne nous étonne cependant qu’à moitié. En avril 2009, les musées nationaux ont été obligés de s’incliner devant la décision présidentielle d’accorder la gratuité aux jeunes de moins 26 ans ainsi qu’aux enseignants. Pour compenser la perte de recettes, l’Etat s’est engagé à leur verser la somme manquante. Ce qui n’a pas l’air d’enthousiasmer La Cour des comptes qui considère qu’il s’agit là d’une « mesure inutilement coûteuse dont l’efficacité tarde à se manifester« . Si l’on se demande bien sur quoi la Cour se base pour être si tranchante au bout de seulement un an et demi d’application, côté finances on ne peut que lui donner raison puisque les musées truqueraient ni plus ni moins leurs chiffres de fréquentation dans « le seul but d’obtenir des subsides de l’Etat« ! Si, pour notre part, nous avons dénoncé le gonflement artificiel de la fréquentation de Versailles par le simple cumul des visites d’un même individu à différents endroits du domaine la même journée, comme celle du Centre Pompidou à l’abracadabrantesque progression de 36% en trois ans vantée jusqu’en Conseil des ministres et rapportée telle quelle par le média spécialisé et réputé pourtant sérieuxartclair.com, on n’aurait pas osé soupçonner un tel trafic. On avait bien noté avec perplexité qu’à Versailles par exemple, on était passé de 3% à 40% de gratuités en seulement cinq ans !
TROUBLES OPÉRATIONS DE MÉCÉNAT
Autre sujet d’étonnement pour la Cour des comptes selon le Canard Enchaîné, les prestigieuses opérations de mécénat dont raffolent les grands musées nationaux, opérations facilitées par les très attractifs avantages octroyés aux entreprises donatrices. Surtout depuis la loi du 1er août 2003 dite Aillagon du nom de l’ancien ministre de la Culture qui la fit voter alors. Mais il semblerait qu’il y ait confusion sous la plume du journaliste ou moins vraisemblablement du côté des auteurs du rapport, entre mécénat et parrainage.
Le mécénat permet une réduction égale à 60 % du montant du don [7]. En revanche, les dépenses de parrainage, opération de nature commerciale, sont juste déductibles du résultat de l’entreprise [son site Internet l’ADMICAL, organisation en pointe sur le sujet, le mécénat, contrairement au parrainage, suppose un don désintéressé, c’est-à-dire sans contrepartie directe d’égale valeur [9]. Et si la loi sur le mécénat autorise des contreparties, cela suppose « une « disproportion marquée » avec le montant du don« . Le site du ministère de la Culture dédié au mécénat, indique ici que « la valeur des contreparties accordées à l’entreprise mécène ne doit pas dépasser 25% du montant du don« , le rapport admis étant de 1 à 4. Les contreparties matérielles liées au parrainage peuvent, elles, aller, jusqu’à 50% du montant du don.
Or, le Canard mentionne, sur la base du rapport de la Cour des comptes, une opération de mécénat ayant eu lieue à Versailles en 2008 dont les contreparties se seraient élevées… à 51% du montant du don ! Le Canard écrit : « Ainsi, en 2008, Chanel signe un chèque (modeste) de 45 000 euros en faveur du château de Versailles. Or la valeur des contreparties (invitations, visites privées) est estimée à 23 000 euros. Quant à l’avantage fiscal, il s’élève à 18 000 euros. Au bout du compte, la générosité de Chanel se limite à 4 000 euros…« . Le problème, c’est que le rapport d’activité de Versailles de cette année-là ne cite qu’une opération de parrainage de l’entreprise Chanel, et non de mécénat, correspondant à une exposition photos de Karl Lagerleld, directeur artistique de la célèbre maison de haute-couture, sous le commissariat direct de Jean-Jacques Aillagon [Voir ci-dessous).
Mais peut-être la Cour des comptes s’interroge-t-elle plus globalement sur le bien-fondé de la loi qui accorde, il est vrai, aussi bien pour le mécénat que pour le parrainage, de substantiels avantages. Peut-être trop. Au point que le terme de mécénat serait presque devenu impropre en l’espèce, le bénéfice étant presque supérieur à l’acte supposé de philanthropie. D’autant que les contreparties le plus souvent accordées n’équivalent-elles pas à une privatisation partielle de l’espace public ? soirées VIP, fêtes et visites privées, gratuité d’accès pour les salariés des entreprises donatrices… Ce dernier point restant le plus saugrenu quand les grands patrons de ces musées souvent les plus hostiles à l’idée d’une gratuité pour tous ne trouvent rien à redire à celle accordée sur le seul fait d’appartenir à une société privée. Mais une contrepartie n’est pas quantifiée alors qu’elle demeure sans doute la plus essentielle pour l’entreprise, le bénéfice qu’elle tire de ces opérations en terme d’image. Un bénéfice immatériel…
Le Canard cite un second exemple de dérive liée au mécénat, celui-ci plus épineux. Il concerne le domaine national de Chambord. L’estimation des travaux de restauration du célèbre escalier à double hélice du château aurait décuplé en un an, passant de 192 000€ à 1 million, base qui servira de calcul de l’avantage fiscal au bénéfice de l’entreprise de BTP mécène. Avec un léger souci : « Les études ont été effectuées » par l’entreprise mécène elle-même ! Avec pour conséquence, le journal cite le rapport, « de soustraire l’opération mécenée aux mécanismes de (…) mise en concurrence de la commande publique« . « Avec le silence complice du ministre… » ajoute le journaliste. Tout le problème des actions de mécénat et de parrainage réside en fait dans leur opacité. Les conventions signées entre les entreprises privées et les établissements publics restent confidentielles quand aucun organisme de contrôle, à notre connaissance, ne vient y mettre le nez. Si ce n’est, exceptionnellement, comme ici la Cour des comptes. Avec quelles conséquences ?
Bernard Hasquenoph (Louvre pour tous)
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