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Provincialisme français

Publié le 21 janvier 2011 par Copeau @Contrepoints

Provincialisme français

Les législatives américaines sont passées. Les Républicains ont gagné des sièges sans prendre le contrôle du Sénat, les Tea parties se sont fait connaître, les Démocrates encaissent. Chacun tire leçons et analyses.

Tout le monde ? Non, car la France résiste.

De soutiens inconditionnels au président US aux gémonies contre les Républicains, les médias français et leurs lecteurs ont fait preuve d’une belle unanimité, révélatrice de pas mal de choses : une incompréhension de la politique américaine, un mouvement de mode en faveur d’Obama, une caricature de sa critique.

Aussi bien le traitement médiatique français des élections et des tea parties que les convictions moyennes des lecteurs ont été le témoignage vibrant du provincialisme intellectuel français. Et c’est pourquoi nous consacrerons cet article aux préjugés français concernant les États-Unis, et le provincialisme qu’ils révèlent.

Les Américains sont des idiots

Tartempion (qui n’a jamais lu de sa vie de journal anglo-américain tient pour acquise la bêtise des Américains. Mais n’importe qui ayant lu le New Yorker, le New York Times (ou son avatar international le IHT), le britannique The Economist, le Wall Street Journal, la National Review sait que le débat américain enfonce très largement le débat français.

Quand bien même les Américains seraient des idiots, on doit ajouter que cet énoncé pourrait bien être un hommage indirect au système américain qui réussit avec un peuple idiot à être la première puissance mondiale. Grande aporie de l’antiaméricanisme que voilà : comment soutenir la bêtise des Américains sans admettre implicitement la supériorité de leur système…

Il n’y a pas de gauche aux États-Unis

Rappelons que droite et gauche sont d’abord des positions relatives. Les USA ayant un système politique bipartisan, ils ont bien une droite et une gauche.

On me rétorquera avec justesse que droite et gauche désignent aussi des absolus : des camps politiques qui manifestent de régularités doctrinales et idéologiques – un attachement au progrès dans un sens, à l’ordre dans l’autre.

Partant, on me soutiendra que les USA n’ont pas de gauche. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas de socialistes.

Comme si le socialisme était le parti progressiste unique, véritable, ultime. En réalité la confusion entre la gauche et le socialisme est en grande partie une exception française, encore que partagée par nos voisins dans une moindre mesure.

Mais même en France, le socialisme (incluant le communisme) n’a acquis son monopole sur la gauche que dans les années 30. D’autres idéologies contestent en permanence cette prééminence en France et dans le monde : le nationalisme et le libéralisme qui en sont partis, l’écologisme qui s’y installe (thème réactionnaire à la base), les libertaires, les anarchistes, les mutualistes, les solidaristes, etc.

En tout état de cause, la gauche et le progressisme n’ont pas à être socialistes. Dire que les USA n’ont pas de gauche parce qu’ils n’ont pas de socialistes, c’est dire en creux que la France fixe les standards de ce qui est de gauche ou ne l’est pas.

C’est le 2e provincialisme : la France est l’étalon mondial de la gauche.

Les Tea Parties sont des ultra-conservateurs

Inconnus voilà un an en France alors que les USA en parlaient déjà beaucoup, les Tea Parties sont le grand événement des élections passées, encore plus que la défaite historique de la gauche.

Que veulent-ils ? Que signifient-ils ? En France leur sort a été vite réglé : des ultraconservateurs.

Cette qualification acquise pour les journaux français révèle un besoin d’intégrer les courants politiques étrangers dans les cases françaises. Ne pourrait-on admettre que nos amis d’outre-Atlantique ont d’autres passions que les nôtres et que nous ne les comprenons pas ? Qu’un allié tel que la France devrait regarder avec curiosité le folklore américain sans se sentir obligée de juger et condamner.

Mais voilà : provincialisme. Parce que les Teas Parties sont très hostiles à ce qui s’apparente au socialisme au sens large – et notamment à l’action sociale de l’État – dont on ignore les effets pervers en France –, les voilà classés en conservateurs.

Et parce que nous ne les comprenons pas, nous les diabolisons en ultra quand nous aurions pu tout aussi bien saluer la vigueur d’un mouvement citoyen, témoignage de la vivacité de la démocratie américaine.

Or le péjoratif « ultraconservateur » est un peu court car d’une part un tel terme devrait désigner des personnes attachées aux valeurs traditionnelles et religieuses ce que les Teas Parties structurées autour des libertariens sont peu, et d ‘autre part une telle qualification occulte la dimension progressiste et révolutionnaire d’un mouvement qui réclame une réduction radicale de la taille de l’État (réclamant donc un grand effort politique pour améliorer l’organisation du système politico-économique américain), la liberté absolue du port d’arme et de la consommation de drogue.

Mais parce qu’on les a qualifié d’ultraconservateurs les Teas Parties et que plusieurs excités ont manifestés bruyamment quelques idées délirantes, Tartempion français croit qu’il s’agit d’un mouvement raciste (quoique le racisme n’étant pas conservateur en tout état de cause) et réactionnaire.

Troisième leçon du provincialisme français : ce qui n’entre pas dans nos typologies françaises sera catalogué extrémiste.

La droite US veut détruire le système social américain

Parce qu’une partie de la droite américaine veut remettre en cause la réforme de santé faite par Obama, les Français comprennent que les Républicains souhaitent la casse sociale et que leurs électeurs sont manipulés par les lobbies.

Aron remarquait avec justesse qu’un grand préjugé de la gauche est de croire qu’il y a un lien entre la moralité d’une personne et ses convictions politiques ; on vote à gauche parce qu’on est bon et la droite sont les salauds. En réalité moralité et politique sont dissociés. Surtout les différences politiques se trouvent plus dans les moyens préconisés que dans les finalités.

Il est tout simplement absurde de penser – et c’est même intolérant – que la droite veut la casse sociale. En réalité elle vise les mêmes fins que la gauche – le bien commun – par d’autres moyens.

Une assurance maladie soutenue par l’État est-elle favorable au large tissu social existant ? Obama pense que oui, les Républicains pensent que non.

On peut désapprouver ces options politiques, on ne devrait pas réduire la volonté politique du camp que nous désapprouvons à des mauvaises intentions. Le faire, c’est montrer qu’on parle sans connaître.

4e provincialisme : ce que nous ne comprenons, nous le prendrons de haut, nous le caricaturerons, nous lui prêterons notre propre intolérance.


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